jeunes religieux
Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Les jeunes sont plus religieux que vous croyez

Un texte de Andrew Bennett

Ancien ambassadeur du Canada pour la liberté de religion et actuel directeur du programme foi et communautés pour l’Institut Cardus, le docteur Andrew Bennett est l’un des plus perspicaces observateurs des phénomènes religieux au pays. Lors du deuxième Forum Foi et Espace Public, tenu à Québec le 9 octobre 2024, il a pris la parole pour ébranler, études à l’appui, le mythe d’une jeunesse canadienne de moins en moins intéressée par la religion. Le Verbe présente ici une version adaptée et révisée de sa conférence.

J’aimerais vous dire quelque chose d’intrigant et peut-être même de choquant : les jeunes sont religieux !

Je sais, cela semble aller à l’encontre de tout ce que les commentateurs, les critiques culturels et les médias d’aujourd’hui nous font croire. Pourtant, je constate cette réalité toutes les fins de semaine dans ma paroisse ukrainienne gréco-catholique, à Ottawa. Après les Ukrainiens déplacés par la guerre qui sont arrivés à nos portes ces dernières années, le groupe qui connait la plus forte croissance est celui des jeunes hommes de 20 à 35 ans.

Et ils sont particulièrement fidèles !

Ils viennent aux vêpres le samedi et les jours de fête pour un service qui dure entre une et deux heures. Ils viennent le dimanche pour un service des matines d’une heure et demie, qui se poursuit par une heure et demie de discussion sur les textes patristiques. Ils restent encore à la messe, qui dure une heure et demie, suivie d’un déjeuner d’une heure. Cela représente plus de six heures à l’église chaque fin de semaine.

Mais pourquoi viennent-ils ? Et comment savoir si mon expérience dépasse la simple anecdote locale ?

Une enquête révélatrice

Pour répondre à ces questions, le laboratoire d’idées Cardus, où je travaille, en partenariat avec l’Institut Angus Reid de Vancouver, enquête régulièrement sur les attitudes des Canadiens à l’égard de la religion. Depuis 2017, nous avons mené 12 enquêtes avec des échantillons de 2000 à 4000 répondants. Dans chaque enquête, nous cherchons à établir à quel point les Canadiens sont (ou pas) religieux. Pour ce faire, au lieu de demander simplement à quelle fréquence ils participent à des services religieux, nous leur posons ces sept questions :

  1. Croyez-vous en Dieu ou en une puissance supérieure ?
  2. Croyez-vous à la vie après la mort ?
  3. Pensez-vous qu’il est important pour un parent d’enseigner à ses enfants les croyances religieuses ?

Et, si oui :

  • À quelle fréquence ressentez-vous la présence de Dieu ?
  • À quelle fréquence priez-vous Dieu ou une puissance supérieure ?
  • À quelle fréquence lisez-vous la Bible, le Coran ou un autre texte sacré ?
  • À quelle fréquence assistez-vous à des services religieux (autres que des mariages ou des funérailles) ?

Les résultats de ces enquêtes sont étonnants.

D’abord, 18 % de la population canadienne affirme croire ou faire régulièrement toutes ces choses. C’est à peu près l’équivalent des 18,5 % de Canadiens qui affirment ne pas croire et ne pas faire ces choses, sinon une seule.

Ensuite, 15 % de nos concitoyens déclarent croire ou faire quatre ou cinq de ces choses. Il est bien probable qu’ils ne lisent pas de texte sacré ou n’assistent pas à des services religieux d’une manière régulière. Nous pourrions les qualifier de « croyants privés ».

Le reste de la population, soit environ 43 %, affirme tout de même croire ou faire deux ou trois de ces choses.

Enfin, lorsque nous ventilons ces chiffres par tranche d’âge, nous constatons quelque chose de tout à fait étonnant : les jeunes de 18 à 34 ans sont plus pratiquants (20 %) que leurs grands-parents bébé-boumeurs âgés de 55 ans et plus (15 %).

Nous sommes loin d’une nation d’athées.

Les deux tiers des jeunes croient à la Résurrection

Plus récemment, en 2024, nous avons mené une nouvelle enquête avec l’Institut Angus Reidet et la Société biblique canadienne. Nous avons constaté des résultats fort intéressants sur les croyances religieuses des jeunes de 18 à 34 ans.

Nous leur avons proposé trois affirmations avec lesquelles ils devaient manifester leur accord ou leur désaccord.

Première affirmation : Les enseignements moraux chrétiens devraient évoluer avec les changements d’attitude de la société.

Résultat : 66 % des répondants de plus de 55 ans étaient d’accord avec cette affirmation contre 59 % des 18 à 34 ans.

Deuxième affirmation : Jésus a eu de nombreux rôles tels qu’enseignant et prophète, mais il n’était pas Dieu.

Résultat : 57 % des répondants de plus de 55 ans étaient d’accord avec cette affirmation et confessaient au moins un arianisme implicite. Il est intéressant de noter que seulement 40 % des 18 à 34 ans étaient d’accord, soit une différence de 17 %.

Troisième affirmation : La résurrection de Jésus-Christ est un évènement historique qui s’est réellement produit au premier siècle.

Résultat : 56 % des personnes de plus de 55 ans étaient d’accord contre 68 % des 18 à 34 ans, soit une différence de 12 %.

Plus de la moitié de nos ainés et les deux tiers de nos jeunes croient à la résurrection du Christ. Qui l’eût cru ?

Plus orthodoxes et traditionnels

En 2022, nous avons présenté les résultats de nos enquêtes à des dirigeants chrétiens de dix villes du pays.

Nous leur avons demandé si ces données semblaient démontrer que les jeunes ne quittaient pas en masse la religion, mais qu’ils y restaient et, dans certains cas, y revenaient. Cette foi était même souvent plus orthodoxe et traditionnelle.

Voici ce qu’ils nous ont dit :

Les jeunes ont tendance à être attirés par l’histoire et la tradition de leur religion. Ils se présentent à leurs services « en quête de sens ».

Ils se disent insatisfaits des discussions qui ne portent que sur l’actualité et qu’ils perçoivent comme superficielles.

Comme l’a dit un participant : « (…) ce qui, pour de nombreuses personnes d’âge moyen, est le vestige d’une tradition légaliste, pour les jeunes (si on leur explique bien pourquoi), ces traditions sont devenues des piliers de clarté dans un monde où tant de choses sont floues ».

« Les messes latines, qui durent beaucoup plus longtemps que les messes traditionnelles, sont remplies de jeunes », a noté un prêtre catholique. Un pasteur protestant a également affirmé que le groupe d’étude de son église sur les credo chrétiens, qui remontent à plusieurs siècles, était populaire auprès des jeunes fidèles.

En quête de vérité

Alors qu’un quart des jeunes Canadiens âgés de 18 à 34 ans ne sont pas religieux, 20 % le sont. Ils désirent des traditions authentiques et intègres que les croyances laïques en constante évolution ne peuvent offrir.

Les dirigeants juifs signalent également une tendance croissante de l’orthodoxie chez leurs jeunes.

Ces jeunes qui fréquentent les églises — le dimanche, mais souvent à d’autres moments de la semaine — ne le font pas parce que c’est socialement nécessaire ou culturellement cool ; bien au contraire. Ils y vont parce qu’ils croient ou parce qu’ils désirent quelque chose qu’ils ne peuvent pas manifester par eux-mêmes : la vérité !

C’est là surement ce qui est le plus intrigant, et peut-être même choquant.

Les jeunes ont soif de vérité à une époque que l’on qualifie d’ère post-vérité. Ils sont spécialement attirés par celui qui a dit : « Vous connaitrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (Jean 8, 32).

Inspirés par les mages, aidez-nous par un présent à rejoindre tous les chercheurs de sens.

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