Photo: Pixabay/Foundry
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Les gâteux vont y gouter

« Que de fois encore, tu me dorloteras, croyant presser l’autre sur ton cœur. »

– Déclaration de Satan à l’abbé Donissan (Sous le soleil de Satan)

Il leur a suffi de créer un privilège, façon Ancien Régime, pour qu’ensuite leurs petites âmes nourries d’égalitarisme s’émeuvent du fait qu’il soit, ce privilège, réservé à une infime minorité. Rappelez-vous, l’« infime minorité » était un des arguments de vente de la loi sur les « soins de fin de vie » (sic). L’« aide médicale à mourir » (re-sic) n’allait concerner qu’une « infime minorité » d’égrotants. On piquerait les perclus avec parcimonie, en somme. Donc pas de panique pépère!

Aujourd’hui, renversement de situation.

Les restrictions de la loi 2, « ça l’a pu d’allure! » Il faut incontinent en élargir l’application! Coup de bol : le ministre est willing. Le processus de réexamen est donc à la veille d’être enclenché.

Les gâteux vont y gouter.

Et pourquoi pas les neurasthéniques, les héroïnomanes et les culs-de-jatte tandis qu’on y pense. À force de compassion compulsive et de langoureux larmoiements, on arrivera bien un jour à l’euthanazie pour tous, en bons démocrates.

Vous me pardonnerez, j’espère, ce jeu de mots facile (euthanazie). Vous l’avez déjà entendu tant de fois probablement qu’il n’a plus de mordant. Peut-être l’avez-vous fait vous-mêmes quand vous avez appris qu’on songeait à légaliser le meurtre médical.

En fait, dès qu’on parle de la loi 2, ce jeu de mots vient irrépressiblement à l’esprit des réactionnaires, comme vous et moi, que les progrès mirobolants de la modernité mécontentent, parce qu’ils nous arrachent toujours un peu plus aux douceurs du Moyen Âge – époque bénie où il faisait bon croquer des navets vermineux avec nos dents pourries, entre deux épidémies de peste bubonique.

Mais elle dit bien ce qu’elle dit, cette homophonie. À moins qu’elle ne dise pas encore assez… Ou pas assez bien.

Comme le rappelle Alain Finkielkraut dans Au nom de l’Autre (2003), « voir le déjà-vu dans l’évènement, c’est, sous l’apparence de la sagesse, rêver les yeux ouverts. […] Si nous voulons affronter la réalité, nous devons scier les barreaux de notre prison rétrospective. […] Il ne suffit pas d’être sans illusions pour accéder au vrai. Le pessimisme n’a pas droit à la paresse : même les mauvaises nouvelles peuvent être nouvelles; même les démons peuvent être dans la fleur de l’âge et piaffer d’innocence. »

A. Hitler & Associés Inc.

L’actuelle dérive morale de l’Occident libéral rappelle certes la campagne d’élimination des indésirables lancée par les nazis au siècle passé.  Mais elle s’en distingue aussi.

Eux tuaient les faibles, les handicapés, les attardés, parce qu’ils méprisaient la faiblesse, parce que la petitesse excitait leur haine en apportant un intolérable démenti à leur orgueil démesuré. Leur culte de la force justifiait l’élimination des ratés, des tarés, de tous les ratatinés de corps ou d’esprit qui narguaient leur goût de la grandeur du seul fait d’exister. Qui leur rappelaient trop éloquemment, par leur déchéance physique ou mentale, qu’ici-bas l’homme n’a pas beaucoup plus de poids, de puissance, de splendeur, au plan matériel, que la pointe d’un poil de patte de pou.

S’ils invoquaient parfois la miséricorde pour légitimer leur hygiénisme criminel, ils étaient trop francs, trop entiers, trop purs d’une certaine façon pour croire bêtement à leur propre duplicité.  Ils ne se sont jamais servi des bons sentiments humanistes autrement que comme d’un masque destiné à dissimuler leurs véritables intentions : l’élimination du déchet humain en vue du raffinement de la race aryenne.

Nous, c’est autre chose. Nous prétendons vraiment tuer par amour, par compassion, par sollicitude. Avec un sincère souci de l’autre et un air de commisération jamais feint, en disant au client exactement ce qu’il veut entendre, au moment où il veut l’entendre, parce que le client a toujours raison.

« Vous avez fait le bon choix, madame Mortel. Euh… je veux dire Madame Martel. La mort vous ira à ravir! »

À l’expression brutale des passions les plus abominables ou à leur dissimulation derrière le voile d’une propagande dont personne n’est dupe et qui n’existe que pour la forme, nous avons substitué, stupéfiant prodige, la transsubstantiation des meilleurs sentiments en leur contraire. Au point d’avoir l’intime conviction d’être en train d’aimer quelqu’un quand on est en train de le tuer.

Ou peut-être assiste-t-on simplement à la confusion des sentiments les pires et les meilleurs au fond d’une monstrueuse indifférence froide.

Studium diaboli

Nous avons en tout cas atteint un degré de sublimité et de sophistication dans le mal que les derniers Moukmouks de l’État islamique nous envieraient à coup sûr, s’ils avaient une chance de lire, entre deux vagues de Peshmergas péniblement repoussées, une dépêche d’ici estampillée du sceau de la Propagandastaffel radiocanadienne.

Leur boucherie de bachibouzouks a des airs de folklore à côté de nos règles parlementaires tracassières, nos discussions juridiques byzantines et nos hauts standards médicaux.

Cette orgie de procédures, outre qu’elle décourage à peu près n’importe qui d’essayer d’y voir clair tellement elle est assommante, possède néanmoins une vertu : elle permet de camoufler sous un voile d’urbanité notre goût du meurtre rituel et donne une apparence d’humanité à ce qui n’est que hideuse résurgence païenne.

Bien sûr, ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité que Baal opère sous pseudonyme. Rien qu’au 20e siècle, on a sacrifié des millions d’hommes sur l’autel de la race, du progrès ou de la classe. Mais jamais n’avions-nous vu la miséricorde non pas contrefaite, mais vraiment vécue, alimenter les fours crématoires.

À moins qu’il y ait méprise.

À moins que nous ayons été dramatiquement abusés par la fantasmagorie la plus cruelle. À moins que cette pitié doucereuse qui nous alanguit au spectacle de la misère des autres et nous fait glisser tranquillement vers l’acceptation de la mort provoquée, puis vers l’acte de tuer lui-même, ne soit pas ce que nos cœurs sentent qu’elle est. Il faudrait alors en conclure, avec Tertullien, qu’« ici encore, nous reconnaissons l’application du diable à contrefaire l’œuvre divine. » (De Baptismo, V, 3.).

Pour plus de détails sur le sujet, contactez l’abbé Donissan.

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.