soft-homicide
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Le soft-homicide est un homicide

par Kevin Murray, étudiant en droit

Comment comprendre l’arrêt Carter légalisant le suicide assisté? Eh oui, un article sur une décision du plus haut tribunal du pays. Il faut s’atteler, les jugements de la Cour suprême sont toujours pleins de surprises, mais surtout dirigés selon une rhétorique argumentative peu facile d’accès!

Pour faire preuve de probité, tentons de comprendre la Cour suprême de l’interne et nous ferons place à la critique par la suite.

L’histoire derrière le jugement

Beverly McLachlin, maintenant juge en chef de la Cour suprême du Canada, avait écrit la dissidence de 2 des 9 juges dans l’affaire Rodriguez de 1993. Cette affaire concernait la demande d’une femme de 42 ans provenant de Colombie-Britannique de dépénaliser le suicide assisté (alinéa 241b du Code criminel).

Cette femme était atteinte d’une maladie dégénérative, la sclérose latérale amyotrophique et elle savait qu’elle serait rapidement incapable d’avaler, de parler, de marcher et de bouger sans aide.  Elle aurait ensuite perdu la capacité de respirer sans respirateur, de manger sans subir de gastrotomie et aurait finalement été alitée en permanence.  Son expectative de survie se situait entre 2 et 14 mois.

Bref, Mme Rodriguez souhaitait qu’un médecin qualifié soit autorisé à mettre en place des moyens technologiques qu’elle pourrait elle-même utiliser, lorsqu’elle aurait perdu la capacité de « jouir de la vie », afin de se donner à elle-même la mort. La situation de Mme Rodriguez était grosso modo la même que celle de Mme Taylor dans le jugement Carter.

Le point déterminant de l’opinion dissidente de la juge McLachlin à l’époque est le même que celui qui est véhiculé dans la décision Carter du 6 février dernier :

« Le Parlement a mis en vigueur un régime législatif qui légalise le suicide et rend illégal le suicide assisté.  Cette distinction a pour effet de refuser à certaines personnes le choix de mettre fin à leur vie pour la seule raison qu'elles en sont physiquement incapables, les empêchant d'exercer sur leur personne l'autonomie dont jouissent les autres. »

Bref, la juge ne fait pas de distinction entre le suicide et le suicide assisté. Plus étonnant encore, elle traite le choix de mettre fin à sa vie comme relevant d’un choix rationnel parmi tant d’autres. Après tout, lorsque je m’enlève la vie je ne fais pas de mal à personne, hein?

Mme Rodriguez, après le jugement, a tout de même trouvé un médecin en C.-B. prêt à l’aider à s’enlever la vie incognito.

Toujours est-il que notre juge McLachlin a su attendre jusqu’en 2015 pour remettre à l’ordre du jour son raisonnement de 1993, mais cette fois la Cour s’est prononcée unanimement et en un très court laps de temps (l’audition a eu lieu à la mi-octobre et la décision a été rendue en début février).

La chose n’est pourtant pas trop surprenante. Après la décision de la juge de première instance1 de plus de 300 pages, la voie était tracée. Il n’y eut qu’une petite embuche avec la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans laquelle des juges ont réitéré les motifs du juge Sopinka qui était majoritaire dans Rodriguez : « le caractère sacré de la vie humaine est un principe fondamental qui sous-tend la Charte des droits et libertés2 ».

Mais comment la juge McLachlin a-t-elle pu effectuer un revirement de situation 22 ans après Rodriguez autant sur le plan des dérives possibles d’une dépénalisation du suicide assisté que sur le plan de l’objectif de la loi fédérale qui est de protéger le caractère sacré de la vie ?

L’atteinte aux droits constitutionnels protégés, une évaluation raisonnable?

La Cour a jugé que l’alinéa 241b) du Code criminel porte atteinte à l’article 7 de la Charte protégeant « la vie, la liberté et la sécurité de la personne ».

Comment se fait-il qu’une disposition criminalisant l’aide au suicide viole le droit à la vie, la liberté et la sécurité de la personne? Voyons les arguments de la Cour pour chacun des aspects protégés par l’article 7 de la Charte:

  1. « La prohibition de l’aide médicale à mourir avait pour effet de forcer certaines personnes à s’enlever prématurément la vie, par crainte d’être incapables de le faire lorsque leurs souffrances deviendraient insupportables. » (§57)
  2. La prohibition de l’aide à mourir limite le droit à la liberté et à la sécurité de la personne reconnu par l’art. 7 à Mme Taylor en entravant la « prise de décisions d’ordre médical fondamentalement importantes et personnelles », en lui causant de la douleur et un stress psychologique et en la privant de la maitrise de son intégrité corporelle. (§65)

Dans Rodriguez aussi la Cour avait constaté l’atteinte à une section de l’article 7 de la Charte, mais elle avait justifié cette atteinte par sa conformité avec les « principes de justice fondamentale ». C’est ce raisonnement que la Cour n’a pas mené dans Carter. La chose est possible parce qu’elle a modifié son approche de l’objectif de la loi (al. 241b) C.cr.). Au lieu de déterminer l’objectif de la loi comme étant de préserver la vie, la Cour le détermine maintenant comme la « protection de la personne vulnérable pouvant mettre fin à ses jours dans un moment de faiblesse » (§76).

Cette nouvelle détermination est la clé de voute du jugement Carter. Grâce à la perspective de McLachlin, minoritaire en 1993, mais majoritaire en 2015, la Cour peut juger la loi pénalisant l’aide au suicide comme excessive puisqu’elle ne touche pas seulement les « personnes vulnérables », mais tous les justiciables. La Cour s’est ainsi aménagé un lieu pour introduire une flexibilité, juger excessive la portée d’une loi et permettre l’assistance au suicide. Cette création de toutes pièces n’est toutefois pas conforme à l’opinion majoritaire de 1993 pas plus qu’à l’intention du législateur : le procureur du Canada plaidait vigoureusement que l’objectif de la loi était de préserver la vie!

Bref, la Cour introduit le droit à la mort par le biais de l’article protégeant le droit à la vie en modifiant de son propre chef l’objectif de la loi. Comme si le seul temps écoulé permettait de comprendre autrement l’article du Code criminel.

L’euthanasie, un soin?

Malgré le fait que la Cour suprême, à la suite de notre législature québécoise, traite l’euthanasie comme un soin (l’aide médicale à mourir), il semble que rien ne soit moins certain. En effet, depuis quand dit-on que l’acte de provoquer intentionnellement la mort constitue un soin? … Il s’agit d’une violation du serment d’Hippocrate et du Code de déontologie des médecins (qui se verra modifié)!

Mais il y a aussi un problème dans la logique interne de la décision Carter: elle dépénalise uniquement le suicide assisté et non l’euthanasie! Quelle différence direz-vous? Le suicide assisté consiste à donner les moyens ou des informations à une personne pour qu’elle s’enlève elle-même la vie alors que l’euthanasie est l’action de provoquer la mort d’autrui.

C’est pourquoi Me Racicot qui était présent à notre dernier colloque Y a-t-il une vie après la loi? va contester la validité constitutionnelle de la Loi concernant les soins de fin de vie qui entrera en vigueur le 10 décembre prochain au Québec. Cette loi légaliserait l’euthanasie par une rhétorique autour de la notion de « continuum de soins de fin de vie » alors qu’il est de la compétence du fédéral de dépénaliser ce qui est considéré comme l’acte criminel par excellence: l’homicide.

Le despotisme doux

« Il me semble que, si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux, et il dégraderait les hommes sans les tourmenter3. »

Quel est l’effet de ce despotisme dont parle Tocqueville? Découvrons-le un peu plus.

« [Le despotisme démocratique] ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance […]4 »

Peut-être ce despotisme passe-t-il par le sentiment de notre historicité. Nous, modernes, avons foi en l’Histoire : il nous suffit de dire qu’une pratique quelconque est exercée depuis 20 ans pour sentir qu’elle est juste et bonne. Ce sentiment nous ravit à nous-mêmes : puisque la rationalité s’exerce dans l’Histoire, nul besoin de nous comprendre comme être humain agissant et donc délibérant. Faire confiance à l’Histoire au point d’en perdre la raison, c’est bien être « fixé irrévocablement en l’enfance ».

Ce dogmatisme despotique irrigue le raisonnement de la Cour suprême : «Le portrait législatif en matière d’aide médicale à mourir a changé au cours des deux décennies qui ont suivi l’arrêt Rodriguez. » (§8) Et « le droit en est venu à reconnaitre que, dans certaines circonstances, il faut respecter le choix d’une personne quant à la fin de sa vie » (§57). Depuis quand le fait que la Cour suprême en vienne à reconnaitre quelque chose suite au changement occidental du portrait législatif d’une matière révèle-t-il quoi que ce soit sur son fondement juste? La Cour suprême croule sous le poids de l’Histoire.

Jusqu’où irons-nous maintenant que l’interdit fondamental « Tu ne tueras point » véhiculé depuis plus de 2 millénaires dans les sociétés occidentales a été violé?


L'Observatoire Justice et Paix

L’Observatoire Justice et Paix est un regroupement de citoyen(ne)s catholiques intéressés par les grands enjeux et débats qui animent la société québécoise et canadienne. Il se veut un lieu de réflexion, de formation et d’intervention sur les questions politiques et sociales contemporaines, le rapport entre la culture et la foi, ainsi que sur l’Église dans le monde de ce temps.