Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Le parent est-il l’ennemi de son enfant?

Le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont récemment proposé des lois obligeant les établissements scolaires à demander l’autorisation des parents avant d’utiliser de nouveaux prénoms et pronoms pour un étudiant. L’Ontario débat de cette même question actuellement. La journaliste Laurence Taschereau de Radio-Canada a réagi avec une vidéo sur le sujet. Elle explique brièvement la situation et cite ensuite les inquiétudes d’experts en santé mentale sur les conséquences néfastes que cela pourrait avoir sur les enfants. Qu’en est-il vraiment?

Dès qu’on parle de l’identité de genre chez les enfants et les adolescents dans les médias, on répète avec force et conviction que tous les experts et toutes les études s’entendent sur ce qui est bon pour les enfants. Or, j’ai assez creusé le sujet depuis 10 ans pour me rendre compte que la réalité est simplement tout autre.

D’abord, la communauté scientifique est loin, mais très loin d’être unanime sur le sujet. Certains experts n’osent toutefois plus se prononcer par peur de représailles. Ensuite, et surtout, les quelques études qui servent de références sur le sujet à tous les corps médicaux et aux psychoéducateurs sont aujourd’hui lourdement mises à mal.

La science derrière les pronoms

L’American Academy of Pediatrics (AAP), qui donne des lignes directrices à tous ses membres aux États-Unis et au Canada en matière de pédiatrie (de la nourriture adaptée aux nourrissons aux questions de santé mentale) a publié en 2018 un énoncé de politique concernant les soins apportés aux enfants et aux adolescents transgenres.

Dès sa sortie, ce document a été fortement critiqué pour plusieurs raisons : 1) de manière tout à fait inhabituelle pour ce type de document, la conceptualisation, la réalisation et la révision des recommandations ne sont le fruit que d’un seul auteur, Jason Rafferty; 2) le document n’inclut pas de résultats concrets d’études et, plus grave encore, 3) il représente malhonnêtement les résultats des études sur lesquelles il prétend s’appuyer.

Ainsi, l’auteur amalgame des concepts et affirme qu’il y a un consensus médical sur la manière de traiter les enfants souffrant de dysphorie de genre. Il cite pour cela cinq études, mais le consensus en question dans les cinq études parle de thérapie de conversion chez les adultes homosexuels[1]. Or, à propos de la dysphorie de genre, les études citées disent même exactement le contraire des recommandations finales : la dysphorie de genre dans l’enfance se résout d’elle-même dans la majorité des cas à l’âge adulte. Après des demandes répétées ces cinq dernières années par plusieurs de ses membres, l’AAP a finalement annoncé qu’elle allait conduire une révision systématique de ce document.

L’autre principal document faisant autorité aujourd’hui est le Protocole néerlandais (souvent cité Dutch Protocol). Celui-ci sert de fondation à pratiquement tous les soins apportés aux enfants présentant une détresse de genre en Occident, incluant le Canada.

Ce document est aujourd’hui sévèrement malmené : 1) ce qui se voulait la série d’études la plus solide à ce jour sur le type de soins à apporter aux enfants souffrant de détresse de genre inclut uniquement les cas étudiés les plus favorables pour appuyer ses recommandations; 2) le rapport cache le fait que dans certaines études, certains patients se sont désistés du traitement, et cache des cas graves, dont un patient mort à la suite d’une opération chirurgicale; 3) dans les cas de réussite, l’expérience combinait trois approches (psychothérapeutique, hormonale et chirurgicale) et sans groupes contrôles, il est donc impossible de distinguer les effets thérapeutiques de leur cause réelle (thérapeutique ou même extérieure)[2].

« Les études néerlandaises présentaient des limites si profondes qu’elles n’auraient jamais dû servir de justification pour propulser ces interventions dans la pratique médicale générale » (Abbruzzese et. all, 2023).

Faux consensus

On me dira qu’on est loin ici du sujet des pronoms à l’école. Soit. Mais cela montre dans quel état se trouve réellement la littérature scientifique concernant les jeunes et le genre.

Selon l’une des auteurs ayant demandé la révision du document de l’AAP, « on fait de fortes recommandations sur des preuves qui sont faibles »[3]. « Les preuves ne sont pas là, elles n’existent pas. »[4] Or, il a en va aussi de même de la question des pronoms et de la manière dont on parle de l’identité de genre à un enfant du primaire.

Stephanie Davies-Arai, fondatrice et directrice de Transgender Trend, la plus importante organisation en Angleterre réclamant des preuves scientifiques pour les soins apportés aux enfants souffrant de détresse de genre, prévient du grave danger de dire à un enfant d’âge primaire qu’il peut être un enfant pris dans le « mauvais corps » ou dans un corps de l’autre sexe. 

Elle invite à réfléchir sur la manière dont nous communiquons avec les enfants et sur la confusion que, comme adultes, nous créons chez eux (Communicating with Kids: What Works and what Doesn't). Davies-Arai s’est vu mériter récemment la British Empire Medal pour ses travaux.

Et beaucoup, beaucoup sonnent l’alarme aujourd’hui sur le sort des enfants. C’est pourquoi les pays qui étaient les plus progressistes sur ces questions, soit la Suède, la Finlande et même l’Angleterre, font aujourd’hui marche arrière. L’AAP change aussi ses manières de faire, quoique discrètement, en redéfinissant tranquillement ce que signifie l’expression « soins affirmatifs » pour inclure des approches alternatives.

Mais les médias continuent de dire que les experts et les études sont unanimes. Nous brandissons d’ailleurs trop aisément le mot « expert » aujourd’hui, puisque les professionnels en santé dépendent aussi des corps médicaux, des séminaires de formations et de certains documents de référence en lesquels ils mettent leur confiance.

Or, on parle de plus en plus de « mythe de l’évidence scientifique » sur ces questions précises. Les approches thérapeutiques suggérées reposent elles-mêmes sur un concept philosophique extrêmement problématique : le genre[5].

Le problème est que la vérité aujourd’hui est politisée, qu’on ne se donne pas le temps, dans certaines sphères politiques et journalistiques, de scruter les preuves, et que se montrer critique est aussitôt associé au conservatisme ou même à l’extrémisme religieux. On brandit vite le drapeau de la dépression et du suicide, interdisant pratiquement toute forme de réflexion.

Comme société, cela devient extrêmement dangereux de surfer sur trop de « certitudes », surtout devant des changements culturels si rapides, et lorsque poser des questions devient malvenu.

Le parent : ennemi de son enfant?

Mais la question de fond ici est la relation de l’école avec les parents. Je peux me tromper, mais le but des législations de nos voisins des autres provinces mentionnées plus tôt me semble avant tout d’éviter que des établissements scolaires ne cachent des informations graves au sujet d’un élève à ses propres parents.

Le gouvernement de la Saskatchewan précise : « La politique vise à soutenir les étudiants qui souhaitent changer leurs pronoms et/ou prénom préférés pour correspondre à leur identité de genre. Elle reconnaît le rôle important que jouent les parents et les tuteurs dans la protection et le soutien de leurs enfants à mesure qu’ils grandissent et se développent. »[6]

Pourtant, pour la journaliste de Radio-Canada, l’argument de l’inclusion du parent ne tient pas puisque, selon la psychoéducatrice Julie-Christine Cotton, citée dans la vidéo, professeurs et écoles incluent les parents quand c’est possible. Or, en pratique, ce n’est pas si vrai. J’apprenais récemment que dans une école privée de Québec, les parents d’un enfant du primaire venaient tout juste d’être informés que, depuis des mois, leur enfant se faisait appeler par un autre prénom et un autre pronom, sans qu’ils aient été mis au courant. Y avait-il un danger pour cet enfant d’informer ses parents? Je ne peux me prononcer.

Il faut certes une politique qui protège les enfants, mais il faut aussi une politique qui protège les droits des parents pour éviter ce genre de cas. Les situations d’abus potentiel sont d’ailleurs prévues par ces nouvelles lois : « Dans les situations où il est raisonnablement prévu que l’obtention du consentement parental pourrait entraîner un préjudice physique, mental ou émotionnel pour l’élève, l’élève sera dirigé vers le(s) professionnel(s) scolaire(s) approprié(s) pour obtenir de l’aide. Ils travailleront avec l’élève pour élaborer un plan pour parler avec ses parents lorsqu’ils seront prêts à le faire. »

Quand a-t-on décidé qu’il était préférable pour le bienêtre d’un enfant de tenir le parent à distance? La théorie de
l’attachement affirme tout à fait le contraire.

Les écoles ont aujourd’hui le mot d’ordre de ne pas préciser quand sont donnés les cours d’éducation sexuelle dans les classes. Je comprends qu’il importe de protéger les enfants qui peuvent être victimes d’abus à la maison, mais tous les parents doivent-ils être mis dans le même bateau?  

De plus, le parent n’est pas toujours mis au courant de ce qui est enseigné en classe. L’an dernier, j’ai reçu une belle feuille remplie et dessinée par mon fils dans laquelle on montrait la conception de l’enfant. En réalité, et je ne l’aurais pas su si mon fils ne m’en avait pas parlé, ce n’était qu’une partie des notions étudiées puisque la vidéo à laquelle était liée l’activité profitait du sujet de la conception pour aborder l’homoparentalité.

Pourquoi ce secret, pourquoi ce manque de transparence, si ce n’est le signe d’un manque de confiance envers le parent? Le gouvernement a sorti des documents très généraux sur le contenu de son programme et ainsi, la grande majorité des parents ignorent totalement ce qui se dit en classe.

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Collaborer pour le bien des enfants

Quand sommes-nous passés de l’affirmation, par nos ministères, selon laquelle « les parents sont les premiers éducateurs à la sexualité », que le parent a pour rôle « de poser des limites, établir des repères ; transmettre ou partager ses valeurs »[7] à cette méfiance et cette mise à l’écart? Quand a-t-on décidé qu’il était préférable pour le bienêtre d’un enfant de tenir le parent à distance? La théorie de l’attachement affirme tout à fait le contraire.

Sortir les parents de la vie d’un enfant ou d’un adolescent qui vit des questionnements sur son identité, quelle que soit la voie choisie, est extrêmement dangereux. Le parent est tout à fait en droit d’amener son enfant à réfléchir sur l’influence sociale, à le prévenir des dangers des interventions hormonales et chirurgicales, à renforcer l’attachement avec lui et à l’encourager à développer tous les aspects de son identité sans être considéré comme une menace à son développement.

De plus en plus de parents s’inquiètent de ce qu’apprennent les enfants à l’école en matière de sexualité. Or, aucun parent ne devrait être inquiet lorsqu’il envoie son enfant à l’école. Les professeurs et les écoles se sont fait eux-mêmes parachuter ce nouveau programme avec lequel plusieurs ne sont pas à l’aise.

Comme parent, il est donc important de savoir que l’école n’est pas un lieu d’endoctrinement et qu’elle reflète avant tout les transformations sociales. Bien des enseignants veulent en effet collaborer avec les parents d’élèves et partagent peut-être les mêmes valeurs ou malaises qu’eux. Ces derniers doivent se montrer collaboratifs (et non en opposition, tant que possible) avec l’école, rencontrer les professeurs pour exprimer leurs inquiétudes ou leurs questions et se faire connaitre de leur école.

D’un autre côté, il est temps aussi d’arrêter de voir les parents comme une potentielle menace pour l’enfant, en général et lorsqu’ils expriment des points de vue contraires à ce qui est aujourd’hui politiquement juste. Parce que ce qui est aujourd’hui politiquement juste s’appuie sur du sable bien mouvant. La vérité est qu’on fait aujourd’hui sur nos enfants une expérience sociale dangereuse. Certaines nouvelles études sont même plutôt inquiétantes, particulièrement avec la hausse accélérée des détresses de genre chez les jeunes filles[8]. Sommes-nous en train de créer nous-mêmes ces détresses en mettant constamment la pression sur les jeunes de trouver leur identité intérieure?

Nous avons l’obligation comme société, en ce qui concerne nos enfants, de nous donner un pas de recul pour réfléchir. Au sein de cette réflexion, parents, professeurs, cliniciens, ados trans, et détransitionneurs, d’un côté comme de l’autre du spectre politique ou idéologique, devraient être attentivement et respectueusement écoutés.


[1] James M Cantor, « Transgender and Gender Diverse Children and Adolescents: Fact-Checking of AAP Policy », 2020 [version web, dec. 2019].

[2] Zhenya Abbruzzese, Julia Mason, Stephen B Levine, « The Myth of Reliable Research in Pediatric Gender Medicine »,2023. Voir aussi Michael Biggs, 2020.

[3] https://www.nytimes.com/2023/08/03/health/aap-gender-affirming-care-evidence-review.html

[4] https://gender-a-wider-lens.captivate.fm/episode/128-as-weird-as-a-chicken-crying-aap-statement-on-pediatric-gender-transition-with-dr-julia-mason

[5] https://le-verbe.com/idees/un-cache-sexe-en-forme-de-genre/ ; voir aussi Sara Heinämaa, « Sex, Gender and Embodiement », 2012.

[6] Ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, « Use of Preferred First Name and Pronouns by Students ».

[7] Ministère de la Santé et des Services sociaux, « Petit guide à l’usage des parents pour discuter de sexualité avec leur adolescent », 2014, pp. 5 et 23.

[8] À titre d’exemple, selon les chiffres du GIDS en Angleterre, en bas de 18 ans, 3 demandes de changement de sexe sur 4 proviennent d’une fille. Or à 13 ans, soit au début de la puberté, sur 7 ados ce sont 6 filles qui demandent à changer de sexe.  https://www.theguardian.com/society/2022/nov/24/an-explosion-what-is-behind-the-rise-in-girls-questioning-their-gender-identity − Les avis sont polarisés sur les causes de cette « explosion ». Mais cela va de pair avec une hausse mondiale du suicide chez les adolescentes. Une des causes, selon certains, serait une image de la femme de plus en plus violentée et dégradée dans la pornographie que consomment les adolescents. Les jeunes filles ne se sentent plus en sécurité d’« être femmes ».
Sur le sujet des effets nouveaux de la pornographie sur les jeunes, le rapport de la Commission aux enfants pour l’Angleterre : https://www.childrenscommissioner.gov.uk/resource/pornography-and-harmful-sexual-behaviour/

Alex Deschênes

Alex Deschênes détient une maîtrise en Littérature et rédige présentement une thèse de doctorat en philosophie. Marié et père de trois enfants, vous le trouverez, quand il n’est pas au travail ou avec sa famille, dans un champ avec son télescope ou en train de visionner un film de Terrence Malick.