Mon fil d’actualité Facebook m’annonce, par l’intermédiaire d’un article de l’auteur et sociologue Mathieu Bock-Côté, que le pape François aurait excommunié Donald Trump, candidat aux primaires républicaines, aux États-Unis. J’étais un peu surprise, puisque j’ai suivi la même nouvelle sans avoir eu vent d’une excommunication quelconque.
Ma curiosité piquée, j’ai ouvert le lien et lu avec beaucoup d’intérêt l’article de Bock-Côté : je trouve toujours ses chroniques intéressantes.
En réalité, Mathieu Bock-Côté parle d’une excommunication « dans les codes de la société médiatique ». Je dois avouer que je suis bien ignorante de ces codes. Cependant, je ne peux qu’exprimer ceci : l’expression, ainsi que sa justification, est cinglante. L’argumentation de l’auteur comporte un jugement à la fois explicite et tacite des intentions du pape, chose que nous devrions nous abstenir de faire : non seulement avec le pape, mais avec n’importe qui. Qui peut lire dans le cœur de l’autre?
Excommunier ou ouvrir une porte?
Excommunier, dans l’Église catholique, est une mesure disciplinaire très grave, qui coupe la personne, le croyant ou la croyante, de la communion avec le reste de la communauté qu’est l’Église. En gros, la personne n’a plus accès aux sacrements jusqu’à ce que l’excommunication soit levée. On ne l’emploie que pour des circonstances très graves.
Est-ce vraiment là ce que le pape François a voulu faire et a fait jeudi dernier? Il faudrait voir ce que le pape a dit au complet avant de penser qu’il a lui-même prétendu lire dans le cœur de Trump.
Dans l’avion qui le ramenait de son voyage au Mexique à Rome, le pape s’est fait demander ce qu’il pensait de la promesse du candidat républicain Donald Trump d’ériger un mur sur la frontière américano-mexicaine, pour empêcher les migrants d’entrer. Ce à quoi le pape répond: « Une personne qui ne pense qu’à bâtir des murs, peu importe où ils se trouvent, et non pas à construire des ponts, n’est pas chrétienne. Ce n’est pas là l’Évangile. Quant à vous conseiller de voter ou de ne pas voter, je ne m’en mêlerai pas. Je dis seulement que cet homme n’est pas chrétien s’il a dit de telles choses. Il faut vérifier qu’il ait dit les choses de cette façon. Et je lui donnerai le bénéfice du doute » (1).
Les médias ont bien des vertus, mais ils ont la fâcheuse tendance de ne rapporter que des bribes d’une affirmation, d’une conversation ou d’un évènement.
Le casse-tête représentant l’image de la situation est incomplet, mais nous – oui, nous le faisons tous! – tirons des conclusions rapides à partir des quelques morceaux qu’on a. Le pape le sait trop bien lui-même, et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il a insisté qu’il « fallait vérifier que Trump avait vraiment dit de telles choses ».
Peut-être le pape se tournait-il justement vers les journalistes en leur adressant ce petit rappel.
Juger le cœur ou « chercher le moindre rai de lumière »?
Le chroniqueur Bock-Côté commence son article en disant que « […] le pape François, qui aime se faire applaudir comme une star internationale, s’est mêlé indirectement de la campagne présidentielle américaine ». Voilà ici un jugement des intentions du pape, auquel je faisais référence un peu plus haut.
Voilà ici un jugement des intentions du pape. Qui peut dire que le pape François aime se faire applaudir « comme une star internationale » ?
Qui peut dire que le pape François aime se faire applaudir « comme une star internationale » ? Quand on est en position de leadership, lorsqu’on se fait confier des responsabilités et lorsqu’on a un devoir de représenter une communauté de plusieurs millions de croyants à travers le monde, il est un peu normal que l’on se fasse harasser, médiatiquement parlant. Mais de là à dire que le pape s’y complait et recherche cette attention, il y a loin de la coupe aux lèvres.
C’est méconnaitre le pontife que de le soupçonner ou de l’accuser d’excommunier quelqu’un, lui qui vient de demander à ses prêtres, pendant le jubilé de la Miséricorde, qu’ils « […] accordent le pardon à tous les catholiques qui ont avorté ou provoqué l’avortement, pourvu qu’il y a une démarche de repentir ».
Pourrait-on supposer que le pape François invitait Trump, par ses paroles et sa volonté de laisser à ce dernier le bénéfice du doute, à revoir, en tant que chrétien, des paroles ou des dispositions d’exclusion envers le prochain, « peu importe où il est » ?
Le Verbe a consacré un article à la superbe entrevue du pape François avec Andrea Tornelli, consignée dans le petit livre Le nom de Dieu est miséricorde. Le pape y dit que « […] cette maxime juridique […] est toujours valable, et selon laquelle ‘in dubio pro reo’, c’est-à-dire que le doute doit toujours profiter à l’accusé » (2), mais même au-delà de cela, il faut en chacun « chercher le moindre rai de lumière » qui permet la conversion.
La bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde qu’a écrite le pape renvoie aux mêmes conseils: « Il nous est dit, d’abord, de ne pas juger, et de ne pas condamner. Si l’on ne veut pas être exposé au jugement de Dieu, personne ne doit devenir juge de son frère. De fait, en jugeant, les hommes s’arrêtent à ce qui est superficiel, tandis que le Père regarde les cœurs ».
À la lumière de cela, en remettant les choses dans leur contexte et en les citant dans leur entièreté, je me demande si le pape était vraiment, comme écrit Mathieu Bock-Côté, en train de « […] distribuer [d]es certificats de bon chrétien […] », ou s’il cherchait non seulement en Trump, mais chez les journalistes et chez tous ceux qui allaient entendre sa réponse, un rai de lumière qui provoque une réflexion de conversion.
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Notes:
(1) « AM : Pope questions Trump’s Christianity », BBC World Service, Global News Podcast, jeudi le 18 février 2016, via iTunes, traduction libre.
(2) Pape François, Le nom de Dieu est miséricorde. Conversation avec Andrea Tornelli, Robert Laffont, Presses de la Renaissance, 2016.