Photo: Galen Crout (unsplash.com / CC).
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La prise du pouvoir par les sans-calottes

Si l’art de la controverse s’est perdu (quelque part entre les deux guerres), Alex La Salle s’affaire à maintenir en vie ce type de joute littéraire qui, au risque de froisser quelques surplis bien repassés et quelques t-shirts fluos de « JÉSUS », a au moins l’avantage de nous servir la langue de Bloy comme remède à la langue de bois.

« Si une erreur s’introduit dans les esprits, c’est grâce toujours à quelque vérité qu’elle déforme. Il doit y avoir au coeur de la Réforme luthérienne quelque illusion foncière qu’il importe de rechercher. Pour cela, il n’est pas de meilleure méthode que d’interroger les réformés eux-mêmes.

Que nous disent-ils? Ils nous disent que l’essence de la Réforme, c’est d’élever l’Esprit contre l’Autorité, l’énergie de l’homme maitre de son jugement contre des idées mortes et des conventions mensongères imposées du dehors. »

– Jacques Maritain, Trois réformateurs (1925)

La vieille Église catholique d’avant Vatican II est bien morte. En quelques décennies, nous sommes passés de la crispation autoritaire de la hiérarchie antimoderne à la collégialité faussement ouverte des équipes pastorales progressistes; du vieux cardinal réactionnaire et infatué, enrubanné dans sa cape et son rochet, au bon gros curé social-démocrate à bedaine et chandail de laine; du rigorisme guindé d’un clergé souvent inculte, imbécile et inquisiteur à la mise au rencart du concept de péché par des franciscains à guitare; de la défense paniquée du dogme par un épiscopat au bord de la syncope à l’institutionnalisation de la dissidence et de l’hérésie dans les facultés de théologie; enfin, des onze vicaires surnuméraires pour seconder monsieur le curé aux onze villages éparpillés pour finir de l’épuiser.

Des séquelles et des sectaires

La vieille Église revêche est bien morte. Seuls quelques bastions d’intégristes pris par la fièvre obsidionale essaient d’en perpétuer le souvenir de manière pittoresque, en jouant à la messe tridentine. Réfugiés derrière le cordon sanitaire d’une peur de la vie maquillée en amour de la morale, ils observent avec un mélange de contentement et d’effroi la décomposition du monde sans Dieu. Gracieusement dotés par le Très-Haut d’une suffisance de cathare, ils cultivent entre eux et pour eux leur pureté. Le cœur corseté jusqu’à la suffocation par les prêches de leurs pasteurs, ils tirent leur maigre joie du fait que les flammes de l’enfer ont trouvé refuge dans leur communauté, après avoir été bannies de « l’Église conciliaire ». À force d’obéir fièrement au surmoi qui leur sert de dieu, ils se laissent momifier par l’orgueil spirituel en appelant ça la sainteté.

L’Église vermoulue d’avant Vatican II est bien morte. Mais elle survit toutefois comme un spectre dans la psyché traumatisée de ses victimes ou dans l’imaginaire des hommes élevés en batterie dans le petit enclos de la modernité. Ces derniers forment une cohorte de zombis idéologiquement possédés, de fashion victims intellectuelles qui carburent au mythe de la grande noirceur et qui s’imaginent que la Pentecôte a eu lieu vers 1960.

Victimes réelles et fashion victims sont parfois les mêmes, mais pas toujours. Les premières restent hantées, et c’est compréhensible, par un passé où le conformisme social et la violence psychologique avaient le visage de la religion catholique. Les seconds, nourris au petit lait de l’égalitarisme contestataire, sont littéralement obsédés par la persistance de toute trace de Tradition.

Ces fashion victims ont d’ailleurs fait de la détestation de « l’Église-Institution » leur fonds de commerce idéologique.

Les seconds ont d’ailleurs fait de la détestation de « l’Église-Institution », garante de la Tradition, leur fonds de commerce idéologique et ils montent aux barricades dès que le dogme, le droit canon ou la discipline des sacrements font obstacle à leur infatigable furie réformiste.

Un semblant de définition claire, un reste de solennité dans la liturgie, un confessionnal qui ne sert toujours pas d’armoire à balais ou encore un évêque qui persiste à prendre des décisions, tout peut faire pousser des cris d’orfraie aux militants du sensus fidei et de la prêtrise pour tous.

C’est ainsi que certains vocables honnis, trop lourdement connotés à leur gout, en viennent à déclencher chez eux des réactions épileptiques. Entre toutes, la prononciation du mot « hiérarchie » (yark caca!) est la plus propice à faire pousser des boutons à nos luthériens en retard de cinq siècles (1).

Étude de cas

La valeur pédagogique de l’exemple n’étant plus à démontrer, nous allons à présent nous pencher sur un cas concret.

On voit poindre ce pestilentiel esprit d’aversion et même d’exécration pour tout ce qui rappelle la verticalité, la hiérarchie et l’autorité en Église, dans une courte chronique publiée en janvier dernier sur le site du journal saguenéen Le Quotidien (2). Comme tout le monde, son auteur, par ailleurs professeur de théologie, y constate le déclin vertigineux du catholicisme occidental, particulièrement marqué au Québec. Mais du constat de fait le plus banal on glisse rapidement vers la présentation d’un nouveau modèle ecclésial intégrant l’équipe d’animation locale (ÉAL). Ce dispositif structurel a du potentiel, mais il excite l’imagination des séditieux qui rêvent d’en faire une sorte de version pastorale des soviets. D’une présentation des ÉAL faussée par l’esprit factieux, on aboutit donc, dans l’article, à la promotion pas très subtile d’un nouveau modèle à répandre et pérenniser, en raison de ses vertus prétendument évidentes, comme celle d’exhaler l’amour fraternel.

On sait qu’en lui-même l’état laïc confère à l’être humain cette vertu d’humilité que le col romain, une fois revêtu, fait disparaitre.

Mais qu’a-t-il de si formidable, ce modèle contrefait? En quoi constitue-t-il pour nous, catholiques, une « pousse d’espérance », comme nous aimons à dire dans notre sabir pastoral affreusement cul-cul?  Vous l’avez deviné, il a le grand, l’énorme, l’immense mérite de n’être pas (ou si peu) hiérarchique! Il se fonde sur l’abolition des privilèges sacerdotaux! Et bien qu’il ne parvienne pas à faire du sacerdoce une chose purement décorative, aussi accessoire qu’un surplis, il rend au moins les prêtres comptables de leur gestion des ustensiles sacrés devant le Tiers état laïc.

En clair, il consacre la fin de l’Ancien régime clérical et la prise du pouvoir par les sans-calottes, cette classe ecclésiale maintenue trop longtemps dans la servitude, mais appelée aujourd’hui à briser le joug des soutanes tyranniques pour instaurer un leadership « plus humble ». (On sait qu’en lui-même l’état laïc confère à l’être humain cette vertu d’humilité que le col romain, une fois revêtu, fait disparaître immédiatement du cœur des hommes.)

En somme, c’est le rêve d’une nuit du 4 aout catholique aboutissant à l’alignement ecclésiologique sur la United Church. Original.

Refus de la compulsion contestataire

Je pense qu’il n’est pas besoin de gloser sur ces idées de réforme faisandées pour en faire voir l’abyssale niaiserie et platitude. Mais c’est une niaiserie qui flatte le démocratisme puéril et compulsif de certains, et qui pour cette raison risque de faire florès auprès des nouvelles générations de catholiques progressistes à l’esprit parasité par les paradigmes politiques de la gauche. (Verrons-nous un jour la fin de ce déluge idéologique progressiste qui donne à l’orthodoxie catholique, à l’intérieur même de l’Église, l’allure d’une arche minuscule, violemment ballotée par les flots?)

Si nous voulons des petits groupes d’évangélisation, nous devons nous appuyer sur la complémentarité des états de vie, qui est une grâce pour notre Église.

Qu’on me permette en tout cas de dire ceci: le projet d’implantation d’équipes d’animation locale dirigées par les laïcs n’a nullement besoin, pour être promue, d’être artificiellement couplé à l’anticléricalisme le plus primaire et le plus éculé. Et il n’a pas à servir de remorque à un idéal contestataire pouet pouet.

Si nous voulons des équipes d’animation et des petits groupes de vie fraternelle et d’évangélisation dignes de ce nom, nous n’avons qu’une chose à faire: nous appuyer sur la complémentarité des états de vie, qui est une grâce pour notre Église.

Cette grâce fait notre richesse et notre splendeur. Elle permet de déployer la plénitude des moyens de la mission, en coordonnant l’action agile de l’infanterie légère (le laïcat) avec la force de frappe de l’artillerie lourde (les sacrements qui sortent des mains des prêtres).

Enfin, détail de l’histoire, cette grâce trouve son origine dans la volonté du Christ d’avoir à son service des personnes qui se sont faites eunuques pour le Royaume. Mais par souci d’égalité on nous dira, j’imagine, que Jésus, qui se la joue un peu trop depuis l’Ascension, n’a pas plus voix au chapitre qu’un autre. Il peut bien avoir le Verbe haut celui-là, il ne doit pas pour autant abuser de son droit de Parole.

*

La vieille Église catholique d’avant Vatican II est bien morte. Elle est morte depuis longtemps. Tellement longtemps qu’il n’est plus possible que ce soit elle qui meurt encore aujourd’hui, sous nos yeux éperdus.

Non, l’Église qui se décompose devant nous comme une lépreuse n’est pas la vieille Église préconciliaire, avec ses manies de vieille fille picosseuse et acariâtre. C’est celle de ceux qui n’ont eu de cesse de dépecer le corps mystique depuis cinquante ans, en rêvant d’un Vatican III, IV ou V.

Aujourd’hui, ils voient leur « œuvre » pourrir sur pied sans avoir porté un fruit qui demeure.


Sur le même sujet: « La distinction et les rebellocrates », d’Antoine Malenfant.



Notes :

(1) Pour tous ceux qui ne sont pas familiers avec la rhétorique catho-progressiste dégoulinante de bons sentiments, spécifions que l’adjectif « hiérarchique », mais aussi le substantif « dogme » ou le syntagme « Église institution », sont des termes utilisés comme repoussoir par les contestataires qui les vocifèrent pour dénoncer la structure traditionnelle de l’Église et promouvoir un modèle ecclésiologique de rechange, censé nous rapprocher de l’idéal apostolique de Ac 2, 42s. En vérité, leur bucolique utopie pastorale n’a pas grand-chose à voir à avec le modèle néotestamentaire. En revanche, elle a (relativement à ses sources philosophiques et à sa phraséologie de songe-creux) de frappantes ressemblances avec l’idéal hippie de la commune de poteux, dont elle ne diffère en vérité qu’au plan olfactif, les chrétiens préférant la fumée d’encens à celle du chanvre enchanté.

On peut penser que j’exagère, que je pousse un peu loin mon humour de cabotin. Mais n’est-il pas vrai que les promoteurs de l’un et l’autre éden cultivent un même idéal niveleur, qu’ils communient tous dans une même détestation profonde envers la société traditionnelle et l’Église catholique? Cette dernière en particulier concentre sur elle toutes les haines, en raison de sa prétention séculaire, qui la leur rend odieuse, à former une « société humano-divine hiérarchisée [ouach!] constituée du clergé (ceux qui gouvernent) et des laïcs (les gouvernés) ». On l’aura compris, la matrice commune à tous ces paradis chimériques qui ressortissent à l’eschatologie gauchiste et que l’on imagine pleins de vallons délicieux et de frais coteaux, c’est la passion moderne pour l’égalité, donc pour une de ces idées chrétiennes devenues folles (je paraphrase Gilbert. K. Chesterton qui parle de « vertus chrétiennes »).

Si nous en avions le loisir, il serait instructif de remonter jusqu’aux fumisteries de Charles Fourier sur l’harmonie universelle, et plus loin encore jusqu’aux élucubrations faites à partir des thèses de Joachim de Flore concernant le règne du Saint Esprit, pour faire la généalogie de ces conceptions utopiques des rapports entre les hommes. Mais il est vrai que, dans le cas choisi pour notre étude, le chroniqueur n’abolit pas toute forme d’autorité. Dans les « petites communautés » qu’il appelle de ses vœux, il y a « une nouvelle forme de leadership, plus humble, plus ajusté à la réalité d’aujourd’hui, reconnaissant que tous et toutes possèdent un sens de la foi qui trouve son inspiration dans l’Esprit Saint et dans l’Évangile. » Chose fascinante: il suffit de lire Lumen Gentium n° 12 pour s’apercevoir que c’est déjà ce que l’Église vit et enseigne! Mais on ne lit plus les documents de Vatican II. C’est trop réac!

Si on s’aventurait pourtant à lire cette constitution dogmatique, on s’apercevrait par ailleurs que les pères du Concile n’ont pas omis de mentionner deux éléments sans lesquels l’Église n’est plus l’Église, à savoir “les vérités concernant la foi et les moeurs” et “la conduite du magistère sacré” – autrement dit le dogme et l’autorité ecclésiale, supportés par le principe hiérarchique. Est-il besoin de le dire? Ce principe a son fondement dans l’autorité apostolique, instituée par le Christ. Il faudrait donc rompre une fois pour toutes avec nos manies d’adolescents rétifs et comprendre que la hiérarchie est non seulement un principe de vie nécessaire au développement des sociétés, c’est aussi, pour ceux qui vivent dans le giron de l’Église, un don de Dieu. À ce sujet, il faut lire Lumen Gentium n° 4, qui parle des diverses grâces reçues de l’Esprit Saint, dont  les “dons hiérarchiques”. En méditant ce passage, on va peut-être enfin commencer à croire que la hiérarchie a vraiment été voulue par Dieu, et pas seulement par Constantin.

(2) Cet esprit s’étale de manière encore plus flagrante dans cette chronique d’aout 2018 qui détaille une sorte de plan de réforme d’inspiration bolchévique passant par la prêtrise pour tous, le mariages des ministres consacrés, mais surtout la prise du Palais d’hiver par les laïcs.

Version augmentée le 18-02-19 à 19:58 et mise à jour le 20-02-19 à 16:08, puis le 24-02-19 à 1:53.

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.