Avec son message de miséricorde et de fraternité vécues, le pape François est parvenu à modifier l’attitude des grands médias occidentaux à l’égard de l’Église catholique. On peut se demander toutefois si la guerre froide médiatique entre l’Église et l’Occident libéral-libertaire ne reprendra pas bientôt.
La contribution du pape François à l’assainissement des relations entre ces deux pôles de pouvoir idéologique (pour parler un langage de sciences humaines) est inestimable. Elle ouvre des chemins de dialogue nouveaux et pleins de promesses.
Cependant, la détente qui prévaut grâce au pape argentin depuis 2013 pourrait connaitre une fin abrupte après la clôture du Synode ordinaire sur la famille, lorsque paraitra l’exhortation apostolique postsynodale qui doit suivre (1).
Les orientations nouvelles que le Pape y proposera sur des sujets qui tiennent à cœur au monde libéral et libertaire pourraient être jugées « cosmétiques » par l’élite journalistique et provoquer l’ire d’une presse qui, forte de sa morale de tolérance, se sent le droit et le devoir d’exiger des réformes à une Église catholique encore enfermée dans une « logique d’exclusion ».
Profondeur historique du conflit
Il se peut, bien sûr, que la lune de miel se prolonge indéfiniment, que le charme continue d’opérer jusqu’au bout, tant le charisme de charité de cet homme crève tous les écrans du monde, capte l’attention des plus distraits, perce les cœurs les plus endurcis.
Mais il n’est pas impossible non plus qu’une certaine caste médiatique gardienne de la révolution libertaire retourne à ses critiques habituelles (voire à ses imprécations) si l’Église, dans son « immobilisme » doctrinal et disciplinaire, en vient à décevoir ses espoirs de changements en matière de mœurs ecclésiales, sexuelles et conjugales (rôle de la femme, unions entre personnes de même sexe, divorcés remariés, etc.).
Sur ces sujets, l’Occident contemporain et l’Église ne s’entendent pas depuis Humanae vitae (1968), et même avant.
Si jamais on en revenait à la situation tendue de naguère, les causes profondes d’une nouvelle ère glaciaire médiatique serait à chercher, au-delà de la déception du moment, du côté de l’histoire des idées, dans un clivage culturel dont les origines philosophiques et idéologiques remontent aux Lumières du 18e siècle, à la révolution libérale anglaise du 17e siècle, et même au tournant humaniste du 16e siècle – clivage qui est allé s’accentuant ces dernières décennies avec l’institutionnalisation des mœurs nouvelles, enchâssées dans le droit.
Contestation du Magistère
Depuis ses origines, l’Église affirme avoir autorité en matière de foi et de morale. Elle soutient que ce qui touche le croire et l’agir humain est de sa compétence par mandat divin. Le croire, parce qu’elle conserve et protège le dépôt de la foi depuis l’âge apostolique ; l’agir, parce qu’elle est, par l’exemple du Christ, homme parfait, « experte en humanité ».
De façon plus imagée, on pourrait dire que l’Église prétend connaitre à la fois le cœur de Dieu et le cœur de l’homme. Forte de ce capital de sagesse et d’amour, elle entend se mettre au service de l’humanité, blessée dans sa fibre la plus intime, mais promise à un renouvèlement profond grâce au don du Saint-Esprit.
Aujourd’hui, cette prétention à servir l’homme est largement contestée, comme est contestée, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église, sa prétendue expertise. Les critiques, précisons-le, sont surtout dirigées contre l’enseignement moral du Magistère, car les querelles théologiques n’ont plus vraiment la cote, sauf auprès de cercles assez fermés de fidèles ou de dissidents.
On peut bien s’écarter du dogme de la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie, écrire un livre contre la transsubstantiation (2), multiplier les colloques sur la valeur symbolique de l’hostie, on ne parviendra jamais à intéresser Radio-Canada ou CNN au sujet (même si, à sa manière, l’Eucharistie est un sujet sanglant).
Au cœur des débats: la morale
Il en va autrement des questions d’ordre moral. Elles passionnent et polarisent.
On se trouve ainsi dans la situation paradoxale d’un monde occidental déchristianisé qui, du fait de l’incroyance des masses et de l’ignorance des croyants eux-mêmes, rejette l’autorité de l’Église en matière de morale tout en scrutant anxieusement ce que dit le pape sur la sexualité, le divorce, la contraception, l’homosexualité.
Peut-être doit-on voir là l’expression d’une secrète inquiétude morale et la preuve à rebours de l’attachement de notre civilisation à la Parole de vérité et d’amour.
Peut-être doit-on voir là l’expression d’une secrète inquiétude morale et la preuve à rebours de l’attachement de notre civilisation à la Parole de vérité et d’amour. Comme si la lutte avec l’ange se continuait.
On se souvient du pugilat opposant Jacob et l’ange de Dieu en Genèse 32, 23-33. Au cours du combat, Jacob dit à son adversaire céleste: « Je ne te lâcherai que si tu me bénis. »
Or, on a le sentiment qu’à travers ses critiques récurrentes, le monde occidental ne dit pas autre chose à l’Église: « Je ne te lâcherai que si tu me bénis. » Comme si la seule issue satisfaisante pour lui était de rallier Dieu à ses vues.
Rappelons par ailleurs que c’est à la suite de ce combat que Jacob a reçu le nom « Israël », qui signifie précisément « Tu as lutté avec Dieu. »
C’est peut-être aussi le nom que recevra notre civilisation – d’ici un ou deux siècles.
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Notes:
(1) Une exhortation apostolique postsynodale est, comme son nom l’indique, un document préparé par les pères synodaux réunis autour du pape, et auquel ce dernier apporte sa contribution et son sceau dans la foulée d’un Synode (une assemblée d’évêques réunis autour du pape pour traiter d’un sujet précis). La dernière exhortation apostolique postsynodale parut à ce jour est (si on exclut Evangelii Gaudium (2013) qui ne suit pas les lois du genre et qui ne porte pas l’adjectif « postsynodal ») celle du pape Benoît XVI intitulée Ecclesia in Medio Oriente, qui faisait suite au Synode sur « L’Église catholique au Moyen-Orient », tenu à Rome du 10 au 24 octobre 2010.
(2) Le CNRTL définit ainsi « transsubstantiation » : B. − THÉOL. (CATH. ET ORTHODOXE). Dans l’Eucharistie, changement total de la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ au moment de la Consécration, alors que ces espèces restent les mêmes. […] Transsubstantiation du pain et du vin; dogme, mystère de la transsubstantiation. Une place éminente est accordée à l’eucharistie: au cours de la treizième session [du Concile de Trente] (1551), les Pères proclamèrent la réalité de la transsubstantiation, c’est-à-dire la conversion, après la consécration, de toute la substance du pain et du vin en celles du corps et du sang de Jésus-Christ (Hist. relig., t. 2, 1973, p. 1054 [Encyclop. de la Pléiade]).