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La liberté sans éthique est liberticide

Un texte de Steeve Lavoie*

Dans de mon dernier article, je défendais l’importance de la culture religieuse comme moyen, entre autres, de combattre l’intégrisme religieux. Ici, je voudrais illustrer l’importance de l’autre volet du cours que je donne à mes étudiants du secondaire, à savoir l’éthique. Car elle aussi est prise à partie de nos jours… même si c’est de façon insidieuse.

Qu’y a-t-il de pire, pour les assoiffés de liberté que nous sommes, que de faire ou de se faire faire la morale? Heureusement, on ne peut pas encore se faire faire l’éthique. (Ça viendra sans doute.)

Car l’éthique, ne nous en déplaise, n’est pas fondamentalement différente de la morale.

C’est un mot qui passe mieux, mais qui réfère aux mêmes choses, comme on peut le constater en consultant n’importe quel dictionnaire. Par exemple, le Larousse en ligne donne deux définitions:

  • Partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale;
  • Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un.

La liberté

On dit qu’il n’y a pas de morale chez les animaux parce que l’animal est guidé par son instinct. L’existence de la morale chez l’homme est inhérente à l’existence de son libre arbitre. C’est parce qu’il agit librement qu’il peut faire librement de mauvaises actions.

D’ailleurs, tout le système judiciaire occidental repose sur ce fondement : tu es libre d’agir, mais si tu utilises mal ta liberté, on va te l’enlever en te mettant en prison.

Ce qu’un Guy Turcotte va essayer de faire, c’est de convaincre qu’il n’avait pas son libre arbitre au moment de poser le geste qu’il a posé, et donc que le meurtre de ses enfants n’a pas été fait suite à une mauvaise utilisation de sa liberté puisqu’il ne l’avait plus, sa liberté, au moment du meurtre.

Ne pouvant prouver qu’il ne sait pas bien utiliser sa liberté (puisqu’il n’avait pas au moment du meurtre), on n’a pas le droit de la lui enlever.

La folie

On entend souvent: « Il faut être fou pour tuer quelqu’un ». À plus forte raison, ses propres enfants. Turcotte et ses avocats ont basé leur défense sur ce lieu commun en sachant que les fous, on ne les envoie pas en prison, on les envoie à l’Institut Pinel.

Ça aura marché une fois.

On s’en étonne encore quand on y repense. Un tel verdict aurait été impensable à une autre époque. Comment expliquer qu’il l’ait été à la nôtre? En partie par le fait qu’une armée d’idéologues travaille avec acharnement à nous convaincre que la morale (et donc l’éthique) est quelque chose de fondamentalement nuisible.

L’idée de faire un procès à un animal nous semble absurde. L’animal ne fait pas de mauvaises actions parce qu’il ne prend pas de décisions. Il est guidé par son instinct. Mon caniche ne saura jamais pourquoi il est mal de faire caca dans le salon. Il sait seulement qu’il sera puni s’il le fait.

Dressage n’est pas éducation, du moins j’ose encore le croire.

La morale

Cependant, on nous annonce que l’antispécisme sera LE mouvement des droits civiques des années 2010. Il s’agit, en gros, d’une idée qui stipule que l’homme n’est en rien supérieur à l’animal, qu’il n’a absolument aucune dignité que l’animal n’a pas.

L’homme a l’impression d’être libre, mais il est tout autant guidé par l’instinct que le premier invertébré. C’est seulement que cet instinct est plus complexe, et donc qu’il nous donne l’illusion du libre arbitre.

Plusieurs n’adhèreront pas à cette idée, mais elle fera son chemin tranquillement, et nous verrons d’autres parfaites aberrations judiciaires. Tout ça, dans le but, toujours, d’en découdre avec la morale liberticide.

On voit le schéma: il faut se débarrasser de la morale (qui brime notre liberté) en niant l’existence de ce qui la rend nécessaire (le libre arbitre). Car s’il est vrai que sans libre arbitre la morale n’a aucun sens, il va de soi que le meilleur moyen d’en découdre avec la morale est de nier le libre arbitre. Au nom de la liberté bien sûr… que la morale brime.

Sur un autre front, on ne va pas aller jusqu’à nier que l’on soit librement impliqué dans une décision, on va seulement minimiser l’impact que pourra avoir le fait de prendre une décision ou une autre sur le cours des choses. Car la morale est importante dans la mesure où une mauvaise décision peut avoir des conséquences très regrettables, ou au contraire qu’une bonne décision peut changer le cours de choses de façon positive et significative.

Si les conséquences d’une décision ou une autre sont négligeables, il va de soi que la morale n’a plus vraiment d’importance, autre façon de la discréditer. Toujours au nom de la liberté…

L’impuissance

Dans son édition du 7 novembre 2016, le magazine Time consacrait un dossier spécial au malêtre des adolescents américains d’aujourd’hui.

Anxiété, dépression, automutilation… Le portrait est sombre, mais je peux vous assurer qu’il ressemble passablement à celui des jeunes Québécois d’aujourd’hui. “The Kids Are Not All Right: American teens are anxious, depressed and overwhelmed.”

Les auteurs interrogeaient des experts et des jeunes, surtout des filles, et l’une d’elles expliquait son désespoir ainsi: “We’re the first generation that cannot escape our problems at all.”

On a donc convaincu les jeunes que la morale était inutile en les persuadant que leurs actions étaient sans conséquence.

Je ne sais pas si c’est ce qu’on leur a dit littéralement, mais c’est certainement ce qui est ressorti de ce qu’on leur a enseigné. Ce n’était pas par mauvaise foi, on voulait seulement ne pas les enfermer dans un cadre moral strict. On les a donc convaincus que la morale était inutile en les persuadant que leurs actions étaient sans conséquence.

Parce que si nos actions (libres) peuvent avoir des conséquences importantes, alors la morale est nécessaire, ce qu’on veut leur éviter. On en a fait des gens libres, mais impuissants… Pour leur plus grand bien, cela va sans dire.

L’éducation

L’un des mandats que je me donne donc, comme prof d’ECR, est d’abord d’enseigner aux jeunes qu’ils sont libres et que cette liberté leur donne une dignité incontestable et un pouvoir immense. Ça peut sembler trivial, mais ce n’est clairement plus quelque chose qui va de soi à notre époque.

C’est seulement ensuite que j’essaie de les amener à réfléchir sur ce en quoi consiste une bonne utilisation de ce pouvoir.

Note :

* L’auteur est enseignant en physique et en ECR dans un établissement d’enseignement secondaire privé de la région de Québec.

Collaboration spéciale

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