Je ne sais pas si vous avez noté la même chose que moi, mais, de nos jours, il m’est très difficile d’avoir une conversation sur la religion.
Notez bien que je ne me réfère pas ici à la désormais célèbre réunion familiale où les conversations sont souvent aseptisées par le Guy A. Lepage de substitution qu’est devenue la conscience de nombreux Québécois.
Au contraire, je parle ici de cette tendance à toujours faire dévier les questions religieuses vers des questions de morale, pour ne pas dire de morale sexuelle.
« Pourquoi vas-tu à la Messe? Tu savais pas que l’Église est contre la contraception ! » ai-je déjà entendu mainte fois. Cela pose une question fondamentale sur le référent mental qu’ont les esprits de notre société sécularisée lorsque le concept « religion » atteint leur attention span.
Du côté de l’Église, cela pose le défi de la réappropriation et de la réorientation de ce concept millénaire.
Une notion à redécouvrir
On connait tous la définition étymologique du mot « religion » qui est selon moi très solide théologiquement parlant. Du latin relegere (relier), on comprend que la religion est ce qui permet aux hommes d’atteindre ce qui serait sans elle, inatteignable c’est-à-dire, ce qui surpasse les potentialités humaines : la transcendance, la mort, etc.
Toutefois, ce n’est plus du tout ce que nos contemporains ont à l’esprit lorsqu’ils parlent de religion. Comment se fait-il que nous soyons passés d’un concept à première vue éloigné des choses de ce monde à celui tenant lieu d’une loi morale censée régler la vie en ce monde? La question est fondamentale et demande aux chrétiens eux-mêmes de se questionner.
Ce que je note, c’est qu’on a souvent affaire à des réductionnismes, c’est-à-dire que les chrétiens eux-mêmes rapetissent souvent la foi à l’une de ses dimensions ou à l’un de ses effets.
La foi n’est pas une pilule
Un premier exemple (et une simple visite dans une librairie chrétienne suffira à vous en convaincre), est celui du fort penchant à présenter la foi comme une recette psychologique vous permettant, non pas de régler tous vos problèmes, mais, au moins, de leur donner un sens.
Je ne nie pas que la foi puisse avoir cet effet, mais que faire lorsque c’est la foi elle-même qui vous apporte des « problèmes » (Mt, 10, 35).
De plus, on présente souvent la foi comme une relation personnelle avec le Christ. Cela est vrai pourvu que l’on comprenne que cette relation n’est pas de même nature que celle qui existe entre les hommes. Nous sommes en présence d’une relation d’abord ontologique, c’est-à-dire que c’est tout notre être qui est élevé, voire même divinisé.
Ainsi, puisque cela dépasse infiniment la compréhension que nous pouvons en avoir, on devrait davantage amener nos contemporains à contempler ce mystère plutôt que de tenter de leur expliquer en réduisant ce dernier à l’un ou plusieurs de ses effets sur notre santé mentale.
L’Église n’est pas une ONG
Une deuxième réduction de la religion, très répandue au Québec, est l’herméneutique de la foi comme force de lutte pour la justice sociale. J’ai participé cette semaine à quelques-unes des activités chrétiennes du Forum Social Mondial où j’ai pu rencontrer beaucoup de ces personnes que l’on a souvent surnommées des « chrétiens de gauche ».
Selon cette perspective, elle-même emprisonnée dans des grilles d’analyse elles-mêmes aliénantes ou archaïques, la foi est d’abord comprise comme un envoi à l’action, à « changer le monde » en le libérant des structures perpétuant les injustices et les souffrances des innocents. Le langage des « valeurs » n’est pas étranger à cette reformulation pélagienne qui nous présente souvent le Christ comme un grand moralisateur venu nous donner un exemple à suivre par nos propres forces.
Par contre, comme le dit le pape François, « l’attente de la béatitude éternelle ne nous dispense pas de l’engagement de rendre notre monde plus juste et plus habitable », mais cela doit être compris comme un fruit de la Grâce présente en nous et qui donne valeur d’éternité à nos actions sans quoi celles-ci s’évanouiraient dans la consommation de notre aumône.
La vie du Lόγος, du Verbe de Dieu en nous ne devrait plus être considéré comme ayant besoin qu’on y rajoute un autre qualificatif, qu’il soit « de gauche » ou « de droite ».
Ainsi, puisque « l’Église n’est pas une ONG, mais une histoire d’amour », tout en se portant vers celui-ci, la motivation de notre action doit provenir de ce Mystère, d’où l’orientation fondamentalement confessante ou missionnaire de la charité chrétienne.
De la réappropriation à la réorientation
C’est en cela que se trouve le coup de génie du pape François qui a bien vu les divisions que la trop grande appropriation de l’enseignement chrétien en des matières d’opinion avait créées… éloignant ainsi bon nombre de personnes de la foi, se croyant elles-mêmes illégitimement exclues.
En mettant de l’avant la dimension missionnaire de l’Église, il avait compris que chaque nouveau missionnaire allait devoir mettre de côté ses propres inclinations et interprétations pour s’adapter à ceux à qui il était envoyé et ainsi revenir de facto à l’essentiel de la foi c’est-à-dire à sa dimension kérygmatique et métaphysique.
De retour à notre réunion de famille, on comprend facilement pourquoi nos proches nous parlent souvent de l’Église en termes de morale et semblent totalement désorientés lorsqu’on les amène quelque peu au-dessus du plancher des vaches.
Bien sûr, nous ne devons pas esquiver l’opportunité que nous avons de manifester la vérité et la beauté de l’enseignement des vertus chrétiennes. Mais nous ne devrions pas oublier de manifester qu’elles sont des conséquences du Mystère que nous portons lorsque nous acceptons l’invitation universelle à redevenir enfant de Dieu par la participation à la mort et à la Résurrection de Son Fils unique.
Ainsi nous pourrons finalement reparler de religion avec nos contemporains.