Je suis de plus en plus enclin à croire que les interventions de Jean Tremblay ont la propriété de faire lever, comme on le dit d’un pain, la médiocrité des sphères soi-disant pensantes.
Le scénario est toujours le même: chaque intervention est prestement condamnée par les journalistes et les fonctionnaires de l’intelligence qui peuplent les cégeps et les facultés de sciences humaines, avant de faire l’objet de récupérations individuelles au sein de l’immense cohorte des magnanimes qui en profitent pour se faire du capital humanitaire aux dépens du maire Tremblay. C’est une symphonie de médiocrité à cinquante mouvements, brillamment interprétée par l’orchestre philharmonique du néant sonore, dont le thème principal – l’importance de « la » science, du savoir, de la pensée – est inlassablement répété dans une surenchère de lieux communs et de bonnes intentions.
À force d’exaspération, j’en suis venu à éprouver une franche sympathie pour Jean Tremblay. D’abord, pour une raison qu’on pourrait dire identitaire; le maire Tremblay étant l’une des seules figures publiques à se dire ouvertement catholique.
À travers les reproches qui lui sont adressés, on perçoit l’incohérence des critiques du catholicisme. D’un côté, on a accusé le catholicisme d’élitisme (surtout par rapport à l’enseignement catholique : cours classiques, facultés de théologie, etc.). D’un autre côté, avec le maire Tremblay, il est taxé d’obscurantisme ou d’anti-intellectualisme.
Ce paradoxe n’a rien de bien surprenant, puisque les détracteurs du catholicisme, quand bien même ils se revendiquent du côté du savoir et de « la » science (représentée ici, j’imagine, par un lobby écologiste), se soucient bien moins de la raison que de bafouer l’Église, faute de pouvoir l’anéantir complètement et redistribuer ce qu’il lui reste de richesse entre des organisations citoyennes et des multinationales de la charité.
C’est bien le catholicisme de Jean Tremblay qui lui vaut des répliques abjectes. Je pense notamment à ce texte, à l’affreux ton paternaliste et moralisateur, paru dans l’organe officiel des libres-bien-penseurs et signé Antoine Robinet d’eau tiède. Le folliculaire s’arme de tous les lieux communs de l’antichristianisme les plus rebattus, tel un conquistador pauvre en route vers un Eldorado de banalités, pour tonner contre la « croisade » du maire.
Sous l’inspiration d’une muse inconnue qui n’inspire manifestement rien de très grand, sinon des feuilles susceptibles de procurer une grande volupté au derrière de Gargantua, il réussit le tour de force d’assimiler la « démagogie » du maire à un « péché » sans passer pour un parfait abruti aux yeux de ses lecteurs, auxquels il fait appel pour combattre la « rougeole intellectuelle » dont Jean Tremblay serait le propagateur. Cette dernière métaphore, estimée poétiquement suffisante pour servir de chute au texte, donne le ton de l’ensemble.
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Si j’éprouve de la sympathie envers Jean Tremblay, c’est aussi parce qu’il place ses détracteurs (les « intellectuels », et plus précisément les intellectuels de gauche) dans une bien fâcheuse posture. Je veux parler ici du rapport que ces derniers entretiennent à l’égard de ce qu’ils appellent l’anti-intellectualisme ou le populisme du maire.
« Populiste » qualifie ici tout discours visant à détourner le peuple du chemin tracé pour lui par les bienveillants intellectuels de gauche, étant entendu que ces derniers savent, mieux que le peuple, ce qui est bon pour lui. Avec un peu de temps, les intellectuels de gauche pourraient éduquer ce rustaud et l’élever à la connaissance de ses propres intérêts.
Seulement, il faudrait que les populistes de la trempe de Tremblay s’abstiennent de contrarier leurs projets en flattant les basses passions et l’« anti-intellectualisme » du peuple. Or, justement, le « peuple », cette entité dont on se fait un peu trop aisément le porte-parole, n’a pas tout à fait l’air de quémander le soutien des intellectuels de gauche; à moins que l’élection du maire Tremblay, à forte (parfois même à très forte) majorité, pendant cinq (!) mandats consécutifs, ait une signification qui me dépasse complètement.
L’intellectuel de gauche étant toujours plein de bonnes intentions, il serait surprenant qu’il en vienne à donner un peu moins de conseils et à douter un peu plus de lui-même et de son penchant à se considérer comme un exemplaire idéal d’être humain.
Il se sent identique aux autres parce qu’il se rencontre partout sur les réseaux sociaux et dans les médias. Et au lieu de se demander si ces milieux ne seraient pas, par hasard, occupés par des individus tendanciellement semblables à lui, il déduit, du faux consensus qu’il observe quotidiennement, ses représentations du « peuple » et de la réalité.
Après quoi il a beau jeu de considérer tous ceux qui s’en éloignent comme étant des imbéciles ou plutôt, des gens sous l’emprise d’idéologies perverses. Et il se conforte en voyant que tous les autres intellectuels de gauche font de même.
Il n’y a qu’une façon de sortir du cercle, c’est de vénérer un peu moins l’intelligence et de s’en servir un peu plus.