James Webb
Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Télescope James Webb: immensité, mode d’emploi

300 millions d’années après le Bigbang. Donc, il y a 13,5 milliards d’années.

C’est le regard dans le passé le plus lointain qu’aura jeté l’homme jusqu’ici. Tout cela grâce au joujou flambant neuf de la Nasa, le télescope spatial James Webb, perdu quelque part entre Mars et Pluton. La lumière provenant de la galaxie GLASS-z13 a mis tout ce temps pour venir jusqu’à nous. On lui souhaite d’avoir eu un peu de lecture en chemin.

C’est comme regarder une photo de son arrière-grand-mère qui aurait été oubliée dans un tiroir pendant des années. Cela fascine. Qui était-elle? À quoi pensait-elle? Comment vivaient les gens à cette époque?

Ce genre d’avancée astrophysique ramène aussi quelques questions à la surface. En nous approchant ainsi de l’origine temporelle du cosmos, est-ce qu’on n’effleure pas aussi ses limites physiques? On dit que l’univers est infini, mais considérant qu’il a un début et un taux d’expansion, il doit bien avoir aussi une fin? Une extrémité? Et au-delà de ça, il y a quoi?

On nous expliquera que c’est l’espace-temps lui-même qui prend de l’expansion, et donc que la notion d’espace n’existe tout simplement pas en-dehors de ce pain aux raisins qui grossit sans arrêt.

Il faut ici, par un effort d’abstraction, extraire la bulle conceptuelle de l’espace-temps du cadre référentiel en trois dimensions auquel nous sommes habitués. Il faut renoncer à le visualiser, quoi. En gros, c’est l’espace lui-même qui se dilate, et non seulement les objets qui se promènent dans un espace statique et déterminé. Coquetterie spéculative de physiciens blasés, sans doute…

En tout cas, l’univers est vaste. Suffisamment vaste pour contenir tous les objets connus, ça c’est sûr, et pour que la lumière provenant des plus lointaines galaxies mette des milliards d’années à venir jusqu’ici. D’ailleurs, pourquoi venir ici? Autre sujet.

La grandeur, un mystère

Reste que l’univers est vaste. Même que ça dépasse l’entendement.

Imaginez une distance très grande dans votre tête, c’est encore plus grand que ça. On ne peut même pas le mesurer. On peut seulement le démesurer. Ça vous donne une idée du complexe mégalomaniaque dont souffre le créateur de toutes choses. La taille moyenne d’une galaxie aurait pu être dix fois moins grosse, on l’aurait encore trouvée énorme. Vous voyez ce que je veux dire.

De mon côté, j’ai de la difficulté à garder l’eau de ma piscine propre. Je n’essaie d’impressionner personne avec ça, d’ailleurs. Elle est pleine de sciure de bois parce que j’ai coupé les planches du deck sur place, avec une scie ronde. Ça fait plein de petites particules en mouvement, qui tournoient dans l’eau sous l’effet de la pompe. Mais je n’ai pas la prétention de mettre tout ça en expansion et la couleur de mes algues ne décale pas vers le rouge. Je pousse égal, comme on dit.

Mais, sans blague, on fait comment pour entrer en relation avec un dieu aussi grandiloquent?

La grandeur est toujours un mystère. C’est vrai pour les étoiles, c’est vrai pour les lobes d’oreille de mononcle Gérard. C’est aussi vrai pour le génie comique de Boris Vian. Elle nous force à nous arrêter et à froncer les sourcils pour en prendre vaguement la mesure.

La grandeur, la lenteur, l’allongement spatiotemporel sont autant de fleurs du tapis qui font trébucher dans sa course l’homme urbain et technologique.

Quand tu oublies ton cellulaire dans le char et que tu as une demi-heure à tuer en attendant Monique, par exemple. Le temps passe tranquillement. Mais passée l’étape de la panique et du déni, il y a tout un territoire qui s’ouvre: la possibilité de penser, de réfléchir.

Sortir de la stupeur

D’ailleurs, la contemplation, cette errance sans but de l’esprit, cette douche, ce désencombrement de l’imagination, cette cure de désintox, elle est rarement planifiée. Elle survient. Elle nait soit de circonstances extérieures, soit d’un étonnement intérieur qui nous fait lâcher le guidon.

L’incursion inusitée des images de James Webb dans l’actualité est l’une de ces perturbations extérieures. C’est aussi une très drôle de parenthèse dans le flot continu des nouvelles et de l’information (pas drôle dans le sens de haha!).

Rien, absolument rien ne se passe. On a juste une meilleure vue qu’avant sur certains paysages cosmiques. Et on s’arrête pour les regarder, ébranlés par la grandeur des choses qui existent. Ce n’est pas de l’actualité furieuse, disons.

Mais même le plus vulgaire pantin du consumérisme, le matérialiste le plus cynique ou le goinfre le moins scrupuleux des jouissances bon marché, ces jours-ci, laisse tomber sa cuillère, se plante le nez au ciel et se mouche dans les étoiles, comme disait Jacques Brel.

L’immensité a le pouvoir de nous tirer de notre stupeur.

L’autre manière de s’en rendre compte, c’est quand l’un des gueux que nous sommes, habitué à mendier sa subsistance matérielle ou affective, s’accroche les pieds dans une messe et se retrouve nu d’artifices devant la communion, à mastiquer un morceau de Saint-Sacrement, immobile et pensif. Absorbé par la grandeur de la gratuité divine. Et sa proximité à la fois.

Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.