masculinité
Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Sauver l’homme au masculin

Le 19 novembre, nous soulignons la journée internationale de l’homme. Une fête que l’on aborde, avouons-le, un peu à reculons, avec timidité, voire avec énervement. L’homme, un être dont on ne sait plus quoi faire, et que certains voudraient même «effacer». Pourtant, il y a bien des raisons de célébrer. Pour les connaitre, il ne faut pas s’empêcher de parler de l’homme au masculin, un masculin qui ne l’emporte pas sur le féminin, mais auquel on peut tout de même s’accorder.

La masculinité ne se porte pas très bien. En juin dernier, la Semaine québécoise de la paternité avait pour thème: Papa, as-tu besoin d’aide? De fait, un sondage initié par le Regroupement pour la Valorisation de la Paternité (RVP) nous apprenait à cette occasion qu’un père sur sept souffre de détresse psychologique au Québec.

Les facteurs en cause? La solitude et le manque de confiance en ses habiletés parentales, notamment. Ce n’est donc pas pour rien que le Québec a décidé de nommer le 19 novembre «journée de la santé et du bienêtre des hommes». Après tout, le mois de novembre (ou «Movembre») n’est-il pas consacré à la sensibilisation sur le cancer de la prostate…?

Ouille. Et ce n’est pas tout.

On connait de plus en plus les statistiques de la détresse masculine. Environ 75% des suicides sont commis par des hommes. Deux élèves sur trois qui ont des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage sont des garçons, sans parler de la nette disparité sexuelle du taux de décrochage scolaire.

Attention, produit toxique

Les hommes souffrent, mais ils font aussi souffrir. Féminicides, agressions sexuelles, violences armées: l’actualité nous le rappelle presque quotidiennement. D’où la notion aujourd’hui bien connue d’une «masculinité toxique». Au mieux, la masculinité est toxique à cause de modèles culturels trompeurs, du gars tough avec plus de biceps que de matière grise au séducteur jamesbondesque. Au pire, et certains le soutiennent, la masculinité souffre d’une intoxication élémentaire, irrémédiable, que seuls peuvent sauver son effacement ou sa «féminisation».

Bien sûr, il y a des résistances à ce point de vue pessimiste. Pour d’autres, le problème résiderait au contraire dans l’émasculation, soit le fait de priver les hommes de leur identité masculine par la dévaluation ou, justement, la féminisation des tâches et des rôles traditionnellement masculins. De ce point de vue, le mépris de l’homme est la cause des égarements de l’homme.

Dans tous les cas, la situation n’est pas reluisante. L’homme tue et se tue. Il génère et dégénère. Il fait des enfants et des enfantillages. Comme on dit, pour surmonter ces obstacles, il va falloir un homme, un vrai!

La masculinité authentique

C’est quoi, un homme vrai? Répondre à cette question est une entreprise périlleuse. Beaucoup l’ont tenté, peu ont réussi. Et pour cause: l’homme et la femme ne sont pas deux espèces distinctes. Leur masculinité et leur féminité se mêlent à leur nature humaine partagée comme une même pièce de musique jouée sur différentes tonalités.

Comme une mélodie qui envoute, les sexes tiennent en quelque sorte du mystère et ne sont perceptibles qu’à travers leur complémentarité – au-delà des archétypes dans lesquels nous avons trop souvent voulu les enfermer. Mais encore, cette perception n’est possible qu’à travers une écoute bienveillante et une relation ouverte et généreuse.

À notre époque, plusieurs penseurs ont bravé les difficultés inhérentes à ce sujet, en plus de l’hostilité sociale, pour parler de l’homme avec sérieux et clarté. Quelques traits ont été esquissés afin de circonscrire l’identité masculine: le gout de l’aventure, la maitrise de soi dans les situations risquées, ou alors la vulnérabilité au masculin.

Je ne veux pas ici discuter ces thèses, dans lesquelles on trouvera beaucoup de vérité comme des aspects plus discutables. J’aimerais simplement proposer quelque chose de plus simple, et peut-être de plus fondamental pour saisir la masculinité. Quoi? Je ne vous étonnerai pas: la force.

La force, mais pas n’importe laquelle. Oui, les hommes peuvent soulever de lourdes charges, fendre de grosses buches et courir le 100 mètres en moins de dix secondes. Mais cette puissance de motion est dépendante d’une puissance de mission bien plus noble : être la force qui soutient, le roc sur lequel on peut s’appuyer, et ce, au bénéfice de tous, en commençant par la femme et les enfants.

Cette vision de la masculinité véritable est éloquemment soutenue par le philosophe français Martin Steffens dans un ouvrage récent. Ce dernier définit la virilité, soit l’excellence de l’homme en tant que masculin, comme «une vigueur inemployée, un surcroît de puissance et de vie qui inspirent confiance». Ainsi, la virilité n’est pas tant ce qui en «impose» que ce sur quoi on peut «reposer» (Tu seras un homme, Cerf, p. 51).

Donner sa vie pour protéger la vie

Disons-le clairement: je ne crois pas que la force soit un trait masculin qui soit exclusivement masculin. En fait, je ne pense pas qu’on puisse cerner aucun attribut qui soit exclusivement masculin ou féminin. Plutôt, les ingrédients sont les mêmes, mais les proportions de la recette diffèrent. Et cette différence de proportion est due à une différence de fonction, et donc de mission.

La mission de l’homme, c’est celle de permettre, de protéger et de faire grandir la vie dans toutes ses formes. La vie biologique des enfants, la vie familiale, la vie communautaire. Bien sûr, la femme donne la vie et elle doit aussi être solide. Notamment, devenant mère, elle est une «enceinte» pour l’enfant à naitre. Mais, justement, comme elle «tombe» enceinte, elle a besoin de quelqu’un pour la relever (comme le dit bien Steffens), pour la soutenir et lui assurer un avenir sûr.

Fondamentalement, nous pouvons dire que la femme, puisqu’elle porte la vie, ne peut pas risquer sa vie autant que l’homme. L’homme est celui qui, finalement, meurt pour les autres. Il meurt parfois abruptement, comme à la guerre, et parfois lentement, comme sur une croix. Comme l’écrit saint Paul dans une de ses lettres:

Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ: il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle.

Lettre de saint Paul aux Éphésiens, chapitre 5, verset 25

Examen de conscience

Pour une certaine partie «conservatrice» de l’opinion, le constat est clair: la masculinité est en crise. À mon avis, cela n’est pas tout à fait vrai. La masculinité n’est pas en crise, car elle l’a toujours été: elle est une crise, au sens profond du mot, c’est-à-dire une situation indéterminée qui requiert un jugement difficile. La masculinité est en quelque sorte le passage incessant d’une situation «critique» à une autre.

Refuser d’être en crise, voilà la masculinité toxique, une masculinité qui refuse d’être ce qu’elle devrait être. Si donc le rôle primordial de l’homme est d’être un appui solide, une vigueur prête à l’emploi et au sacrifice, alors sa tentation principale est d’être tout le contraire: un lâche. Et cette lâcheté se décline, il me semble, en trois tentations distinctes: l’agressivité, la fuite et l’abstraction.

L’agressivité survient lorsqu’un homme utilise sa force physique non pour le bien des autres, mais pour son propre intérêt.

La fuite consiste à chercher l’absence pure et simple en se réfugiant dans le divertissement, la consommation ou le travail pour éviter les responsabilités.

L’abstraction est la tentation de construire la réalité de façon unilatérale, selon ses propres plans ou calculs, plutôt que de l’accueillir généreusement. C’est la tentation du «surcontrôle».

Chaque tentation, ou faiblesse, a son remède. Contre l’agressivité, la douceur. Attention: la douceur n’est pas la mollesse. Elle est plutôt la maitrise de soi couplée à la charité. L’homme le plus viril de tous les temps a d’ailleurs déjà dit: «Je suis doux et humble de cœur.»

Pour remédier à la tentation de fuite, la filiation et la confiance qu’elle suscite. On fuit lorsqu’on craint d’échouer en ses responsabilités, d’être jugé ou ridiculisé, ou alors quand ces mêmes responsabilités semblent n’avoir aucun sens. Dans tous les cas, c’est là que s’installe le syndrome de «l’à-quoi-bon?».

Or, pour avoir une mission et l’assumer, il faut une identité. Et comme on ne peut se construire soi-même une identité solide, il faut la recevoir. De qui? De ses propres parents, de sa culture natale, de son groupe d’amis, de sa communauté spirituelle et surtout, de Dieu lui-même qui a une mission pour chacun de nous. Cet ancrage confèrera alors la confiance nécessaire pour aller de l’avant.

Contre l’abstraction, l’attention à ceux qui nous encourent. Sortir régulièrement de nos têtes, de nos plans idéaux et se prendre moins au sérieux. Plus incarnés, nous serons aussi plus à même d’être à l’écoute et de donner le meilleur de nous-mêmes au bon moment.

Le beau risque

Beaucoup pourrait être ajouté, beaucoup pourrait être nuancé. Finalement, il n’y a peut-être pas de masculinité véritable, mais seulement des hommes vrais. L’enjeu n’est pas tant de délimiter des fonctions ou des qualités, mais de donner aujourd’hui un sens et un espace à la masculinité. Bien sûr, nous sommes des êtres humains avant tout, mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas considérer, soigner et même «sauver» les multiples couches de notre identité personnelle, de la plus biologique à la plus spirituelle, en passant par l’identité sexuelle. 

À cause de ses forces et de ses faiblesses, la masculinité est, et sera toujours, un risque. Collectivement, ne pas courir ce risque, c’est laisser la masculinité à elle-même, face au poids de ses tentations. Mais avec un peu d’espace et de bienveillance, l’homme peut être un levier qui soulève les plus lourdes charges: facile, en apparence, mais impossible sans un métal solide.

Pour aller plus loin:                                     

Hadjadj, Fabrice, Être père avec saint Joseph. Petit guide de l’aventurier des temps postmodernes, Magnificat, 2021.

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Équipe Ignis

Maxime Huot-Couture

Maxime œuvre en développement communautaire dans la région de Québec. Il a complété des études supérieures en science politique et en philosophie, en plus de stages à l'Assemblée nationale et à l'Institut Cardus (Ontario). Il siège sur notre conseil éditorial.