La diffusion du film Les éblouis a fait apparaitre l’expression « secte catholique » dans les médias québécois. Plus près de nous, c’est la Famille Marie-Jeunesse, visée par un recours collectif, qui a été taxée de ce terme.
Un ancien membre accuse son fondateur d’être un « gourou » qui aurait abusé physiquement, psychologiquement et spirituellement de ses membres.
Quant au film, la réalisatrice puise dans ses souvenirs pour y relater le parcours d’une famille au sein d’une communauté du Renouveau charismatique. À travers le regard de Camille, adolescente, on observe les dérives de ce groupe rassemblé autour du personnage du Berger.
Au début des années 2000, les autorités catholiques sont intervenues auprès de la communauté en question. Ils en ont retiré le leader dont le comportement a été jugé problématique.
Par manque de compétences et d’informations, je ne veux pas en dire davantage sur les cas qui précèdent. Je veux plutôt, par souci de clarté, donner quelques repères quant à la notion de secte.
Une inquiétude légitime
On utilise habituellement cette notion pour référer à des mouvements inspirés de l’ésotérisme et du nouvel âge ; elle n’a pas l’habitude être accolé à des communautés catholiques.
La notion de « secte » évoque par ailleurs des pratiques spectaculaires, sensationnelles et mortifères. Les années 1990 ont été marquées par la condamnation de Roch « Moïse » Thériault, les suicides collectifs de l’Ordre du temple solaire et le siège de Waco.
On pourrait se défendre en rejetant le qualificatif de « secte » du revers de la main : « cela ne peut pas nous concerner ». Au contraire, on pourrait s’en servir pour discréditer des spiritualités qui ne correspondent pas à notre sensibilité personnelle : « je vous avais dit que ces gens étaient bizarres ».
Qu’est-ce qu’une secte ?
Au sens strict du terme, le mot « secte » est descriptif et renvoie à un sous-groupe de croyants au sein d’une religion. Du latin sequi, les membres d’une secte sont ceux qui adhèrent à une doctrine particulière. Par exemple, les Juifs de l’antiquité ont pu percevoir les premiers chrétiens comme appartenant à une « secte ».
Suivant la transformation du religieux dans les sociétés modernes, la baisse de la pratique catholique et l’émergence de nouveaux courants spirituels, le concept de « secte » n’est plus employé ni par les spécialistes du religieux ni par les autorités judiciaires.
Aujourd’hui, on emploie le terme « secte » en référant à son sens étymologique secare, c’est-à-dire « couper ». Dans ce cadre, la secte est le groupe qui se constitue en dehors de la religion de la majorité. Au XXe siècle, cette majorité était bien sûr celle du catholicisme.
Suivant la transformation du religieux dans les sociétés modernes, la baisse de la pratique catholique et l’émergence de nouveaux courants spirituels, le concept de « secte » n’est plus employé ni par les spécialistes du religieux ni par les autorités judiciaires.
En effet, des groupes pourraient se rassembler autour de croyances marginales sans pour autant être le lieu de violences de toutes sortes. Et force est d’admettre que des abus peuvent être perpétrés au sein de groupes reconnus par l’institution.
Les dérives sectaires
En France, où la culture de la laïcité alimente une certaine méfiance à l’égard du religieux, les pouvoirs politiques ont mis en place différentes mesures pour encadrer les nouveaux mouvements à vocation spirituelle.
De 1998 à 2002, le gouvernement français a soutenu la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). Cette mission avait établi une liste (abolie en 2005) de 173 groupes identifiés comme sectaire, toutes religions confondues.
Aujourd’hui, on préfère parler de « dérives sectaires ».
On évalue la dangerosité des groupes en se basant sur la façon dont ils structurent les relations entre leurs membres et le reste de la société.
De 2002 à aujourd’hui, c’est la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) qui coordonnait les actions préventives et répressives en la matière. Elle avait établi une liste de critères permettant de relever la présence de dérives sectaires :
- la déstabilisation mentale
- le caractère exorbitant des exigences financières
- la rupture avec l’environnement d’origine
- l’existence d’atteintes à l’intégrité physique
- l’embrigadement des enfants
- le discours antisocial
- les troubles à l’ordre public
- l’importance des démêlés judiciaires
- l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels
- les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.
Au Québec, seul l’organisme indépendant Info-Sectes se consacre à de telles activités de prévention.
En janvier 2020, la Miviludes a été dissoute pour être intégrée au ministère de l’Intérieur. Les autorités françaises souhaitent travailler davantage en prévention de la radicalisation, un enjeu jugé davantage préoccupant pour la sécurité publique.
Le processus de radicalisation peut se comparer à celui de la dérive sectaire en ce sens qu’il participe à un clivage entre soi et un autre diabolisé, à qui on attribue la faute de tout ce qui va mal dans le monde.
Une réalité tristement humaine
Les réalités auxquelles ont fait référence quand on parle de dérives sectaires ne datent pas de l’invention des hippies. En 1756, dans l’encyclopédie de Diderot, on retrouve sous l’entrée « fanatisme » la définition suivante :
c’est un zèle aveugle et passionné, qui nait des opinions superstitieuses, et fait commettre des actions ridicules, injustes, et cruelles ; non seulement sans honte et sans remords, mais encore avec une sorte de joie et de consolation. Le fanatisme n’est donc que la superstition mise en action.
Deleyre y dresse lui aussi sa liste de critères, dans laquelle on retrouve notamment « l’atrocité de la morale », « la confusion des devoirs » et « l’intolérance ».
Bien qu’on entende souvent parler de « lavage de cerveau », la relation qui unit le « gourou » à ses disciples est beaucoup plus complexe. Les personnes qu’on retrouve dans ces groupes ne sont pas nécessairement les victimes passives qu’on se plait à dépeindre.
Alain Bouchard, sociologue des religions, parle plutôt d’une relation de « codépendance maladive entre des gens intérieurement blessés intérieurement, à la recherche de quelque chose. Tant le leadeur que les adhérents trouvent tout d’un coup une grande satisfaction ».
Si le recours collectif contre la famille Marie-Jeunesse est autorisé, ce sera la première fois au Québec que la notion d’abus spirituel sera utilisée dans un contexte légal.
Cette affaire pourrait avoir des retentissements dans d’autres secteurs, comme celui de l’alimentation et du développement personnel, où des coachs et autres influenceurs portent une industrie en pleine croissance et brassent des millions de dollars.
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