Photo: Île Bonaventure et Rocher Percé (Fotolia)
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Fiers d’être quoi?

La Solennité de la Saint-Jean-Baptiste arrive à grand pas et avec elle un ensemble de manifestations et revendications concernant l’identité nationale.

J’aimerais offrir ici ma contribution aux différentes réflexions que l’on entendra certainement sur ce sujet de l’identité québécoise au cours du Colloque* intitulé Pour une guérison de la mémoire au Québec organisé par l’Observatoire Justice & Paix et qui aura lieu le 25 juin prochain dans la vieille capitale.

Qui sommes-nous?

Qu’est-ce donc que l’identité québécoise ? Quelle est son essence ? Plusieurs bibliothèques ne suffiraient pas à définir celle-ci, étant, comme toutes les réalités humaines, mystérieuse au sens théologique du terme.

Toutefois, il est clair qu’une tentative de réponse doit inévitablement interroger l’histoire du peuple de ce territoire nord-américain sur lequel s’impose, malencontreusement, le mur symbolique de la Révolution tranquille. J’ai déjà parlé des obstacles à la transmission et des limites des valeurs qui portaient cette période de notre histoire.

Aujourd’hui, j’aimerais plutôt faire un bref résumé des différentes théories actuelles qui tentent d’expliquer l’identité de la Révolution tranquille avant de proposer ce que je considère être une nouvelle ouverture en ce sens.

Rupture ou continuité?

Dans son livre Les origines catholiques de la Révolution tranquille (1931-1970)**, l’historien Michael Gauvreau propose deux grandes écoles de pensée dans lesquelles entreraient les différentes études sur la question. D’un côté, on trouve « l’orthodoxie libérale » que je nommerais la version « mainstream » puisque partagée par la grande majorité des Québécois d’aujourd’hui.

Selon cette théorie, la Révolution tranquille serait le résultat des efforts d’un groupe d’intellectuels, de politiciens et de leaders syndicaux dont le but était de libérer la société civile du joug de l’Église catholique en opérant une « modernisation » des institutions par l’État. En ce sens, les changements du siècle dernier seraient le résultat d’une bataille entre modernes et anti-modernes.

Bien qu’on se demande souvent, une fois Duplessis mis de côté, qui mettre sous le chapeau du clan des réfractaires face à ce qu’on nomme ici « modernité »?  Dans tous les cas, il ne fait pas de doute, selon les auteurs liés à l’orthodoxie libérale, que la Révolution tranquille est un phénomène en rupture radicale avec l’histoire du Québec.

Liberté ou déterminisme?

D’un autre côté, on trouve l’école dite des historiens « révisionnistes » qui depuis les années ‘70 ont orienté leurs recherches vers l’étude « des processus et des structures économiques et ont cherché à interpréter le Québec à l’intérieur du cadre du capitalisme libéral moderne » (p.5). En ce sens, les changements au Québec ne seraient pas tant le résultat d’une quête de liberté d’une génération, qu’une conséquence presque déterministe du système économique global en Amérique.affiche_colloque-1

Ainsi, la Révolution tranquille ne serait révolutionnaire qu’en apparence puisque n’étant, en réalité, que le fruit de ce qui était avant. Elle ne serait donc pas tant en rupture avec le passé qu’en parfaite continuité avec lui.

C’est l’impasse : la « Révolution tranquille » n’a-t-elle de révolutionnaire que le nom ? Ne serait-elle qu’une prophétie autoréalisatrice au sens où l’on nous aurait tellement habitués à interpréter les faits en ce sens que nous en sommes venus à y croire et à construire un édifice politique à l’effigie de ce qui n’était en fin de compte qu’une vue de l’esprit?

Une troisième voie?

L’histoire étant faite de ruptures (sinon ce serait toujours un perpétuel retour au même) et de continuité, (sinon nous aurions affaire à un donné perpétuellement nouveau ce qui est également impossible), nous pouvons conclure qu’il y a nécessairement beaucoup d’éléments de vérité dans les deux théories.

La thèse de Gauvreau manifeste bien à quel point les historiens n’ont pas su voir la « poutre qu’ils avaient dans l’œil »!

Cependant, une lacune majeure demeure. Et le livre de Gauvreau rayonne de par sa pertinence et, à mes yeux, de par l’évidence de la thèse. Cette thèse, de plus, manifeste bien à quel point les historiens n’ont pas su voir la « poutre qu’ils avaient dans l’œil » !

Pour Gauvreau, la clef de compréhension de la Révolution tranquille se trouve dans le rôle qu’a joué l’Église catholique.

Selon lui, cette volonté de réforme radicale serait née d’une critique religieuse issue de l’intérieur même de l’Église contestant une certaine pratique du catholicisme au Québec. Cette contestation se serait transformée, par la suite, en mouvement politique.

Pour l’auteur et historien, « la Déchristianisation des années 60 ne fut ni une éjection du clergé de l’éducation et des services sociaux, ni une simple diminution de la pratique religieuse des catholiques mais plutôt une volonté de certains intellectuels catholiques de dénigrer les fidèles de la classe ouvrière dont les pratiques religieuses étaient considérées comme incompatibles avec la société moderne » (p.356-357).

Ceci dit, on remarque bien que cette réinsertion de l’apport de l’Église dans la genèse de la Révolution tranquille prend pour acquis que ce même événement soit en rupture avec l’histoire du Québec. De ce point de vue, on pourra donc affirmer que Gauvreau s’inscrive lui-même comme un historien de « l’orthodoxie libérale ».

Opposer ou réunir?

Je vous invite à lire le livre de M. Gauvreau aussi passionnant qu’insolite, particulièrement dans le climat culturel québécois actuel. Rétablir les ponts avec notre histoire collective nécessite que nous puissions combler l’immense chaînon manquant que représente la Révolution tranquille.

Réintégrer le rôle fondamental de l’Église catholique tout au long de l’histoire du Québec, y compris dans la deuxième partie du XXe siècle sans se laisser prendre au piège idéologique de la considérer comme une force réactionnaire m’apparait une première étape importante.

Ne plus opposer mais plutôt réunir les écoles de pensée de la rupture et de la continuité en est une autre. Une série d’études manifestant l’apport de l’Église catholique à la « Révolution tranquille » suivant une grille théorique et méthodologie davantage « révisionniste » pourrait, selon moi, aider à compléter le portrait.

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Notes :

* Ne manquez pas le 25 juin prochain, au lendemain de la Fête de la Saint-Jean-Baptiste, le Colloque Pour une guérison de la mémoire organisé par l’Observatoire Justice et Paix à Québec (http://observatoirejusticepaix.org/events/pour-une-guerison-de-la-memoire-au-quebec).

** Les origines catholiques de la Révolution tranquille (1931-1970), de Michael Gauvreau (http://www.editionsfides.com/fr/product/editions-fides/essais/histoire/les-origines-catholiques-de-la-revolution-tranquille_309.aspx).

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.