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Photo: Alex Gagareen (Unsplash)

Faut-il avoir peur de la rectitude politique?

L’accroissement continuel de la bonté et de la sensibilité fait qu’il est de plus en plus commun de tenir compte des réalités diverses. Parler d’acceptation de l’autre, de respect et de tolérance est devenu un lieu commun. Nous discutons aussi davantage de leur corolaire : la rectitude politique.

Elle est une chose fantastique, sous-estimée et peu appréciée pour elle-même. Plusieurs s’en déclarent allergiques, d’autres la conspuent et la majorité, peut-être, ne sait même pas qu’elle existe. Ingrats petits vauriens.

Omettons un instant le fait qu’il est possible aujourd’hui de tenir à peu près n’importe quel genre de discours ou même de multiplier les galipettes amoureuses avec épanchement sans risquer la guillotine, luxe dont ne purent jouir Marie-Antoinette ou Pierre-Gaspard Chaumette.

La police de la pensée a les dents moins aiguisées qu’à une certaine époque.

Disons-le, nous sommes des pleurnichards.

Mais omettons ce fait, dis-je, et admettons que la rectitude politique, dans la mesure où elle a la liberté de s’exprimer et de s’épanouir, est une opportunité.

Elle permet la subversion, chose qui n’existerait pas sans elle. Et disons aussi ceci : nous avons la subversion bon marché de nos jours.

Il suffit par exemple que la marionnette d’une émission pour enfant s’exprime en créole pour faire lever la poussière.

Ou encore qu’un athlète mette un genou au sol pendant l’hymne national pour qu’il se fasse mettre à la porte d’une ligue de sport professionnel.

Un politicien peut même s’offrir un frisson médiatique pour pas cher en se présentant à l’Assemblée nationale en chaussures Doc Martens.

Mais là n’est pas la question.

Rond de poêle collectif

L’enjeu qui devrait être sur notre rond de poêle collectif en ce moment est la survie du français sur la terre du Québec.

Vous le savez peut-être, de plus en plus de Québécois savent parler anglais, le font et en retirent même une certaine fierté. On peut facilement se faire répondre en anglais à Montréal, contre son gré, sans en faire un plat.

En effet, notre beau et sophistiqué héritage langagier n’est pas tant menacé par l’impérialisme canadien ou par Netflix que par notre excessive politesse.

On peut aussi entendre des milléniaux intercaler une expression aussi élaborée que I’m struggling au beau milieu d’une phrase et se mettre à sourire mollement, comme si de rien n’était. Là est le problème.

En effet, notre beau et sophistiqué héritage langagier n’est pas tant menacé par l’impérialisme canadien ou par Netflix que par notre excessive politesse.

Nous sommes bonasses et, comme dirait Christian Saint-Germain, nous exhibons notre psyché de colonisés jusque dans notre combat pour la souveraineté. Nous observons et interprétons nos propres actions selon le regard de la race supérieure.

C’est ce qu’on appelle vivre dans l’œil de l’autre.

Il ne nous viendrait pas à l’esprit de manquer de considération envers les Anglophones, de peur que ceux-ci peinent à trouver leur place sur le continent par une trop forte affirmation de notre identité.

Or, nous le devrions.

Entamer le mouvement de décolonisation implique d’apprendre à nous en battre l’oeil de ce que les Anglos pensent. Même ceux du Québec. Pas par esprit de méchanceté, mais comme une sorte de thérapie collective.

Pierre Bourgault affirmait que la protection de la langue française était beaucoup plus facile qu’il ne le paraissait. Il suffisait de comprendre et d’accepter que nous fussions maitres chez nous, et d’agir comme tel.

Il fallait simplement décider de le faire.

Révolution à bas prix

Ce désir est naturel et je suis sûr qu’il est ressenti en même temps qu’il est énoncé.

L’histoire fait parfois de curieux détours.

Il peut arriver que, par suite d’échecs et d’humiliations, un peuple décide de se rabattre sur une révolution à sa portée. Je vous propose trois exemples : la montée du nazisme après la défaite de la Première Guerre mondiale, l’avènement du country dans la culture populaire américaine et… la loi 21.

Dans les deux premiers cas, vous savez de quoi il en retourne. Dans le troisième, on peut l’interpréter comme une compensation à petite échelle d’un désir d’affirmation enfoui. Une souveraineté ratée. Un remède à la recherche d’une maladie.

On sait tous que nos églises risquent plus la massue des promoteurs immobiliers que celle des constructeurs de mosquées. Les périls du capitalisme de confession « tous à poil » sont une menace bien plus sérieuse pour nos enfants que celle des enturbannés et des surhabillés.

Il n’en demeure pas moins que, eut égard à notre identité culturelle, la loi sur la laïcité de l’État représente avant tout un désir de protection et d’affirmation. Il n’y a rien de grandiose là-dedans, mais c’est possible de le faire et l’effort à y mettre est raisonnable.

Voilà peut-être la clé pour comprendre l’accession de cette idée fade au rang de projet de société : elle n’est pas si difficile à réaliser.

Elle est un (petit) pied de nez au concept de rectitude politique. Et en plus, elle est en rabais dans la section déjà en solde de l’étalage des idées subversives.


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Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.