Photo: Fotolia
Photo: Fotolia

Exode des poulets, transmission et patrie

Depuis quelque temps déjà, nous entendons parler de la vente des « fleurons » de la société québécoise et du départ des sièges sociaux d’entreprises qui ont fait la renommée et la fierté de notre peuple. Comment se fait-il que ce soit de plus en plus difficile de garder nos entreprises dans des mains québécoises? Il me semble que le problème en soit un de transmission.

Devant cette tendance dans laquelle s’inscrivent les départs du Cirque du Soleil, de Rona et, maintenant, de Saint-Hubert, plusieurs acteurs et commentateurs politiques y sont allés de leur diagnostic.

Certains ont mentionné la faible reconnaissance sociale dont sont l’objet les entrepreneurs au Québec. D’autres ont parlé de l’attitude du Québec ayant un certain dédain pour la classe patronale qu’elle conçoit comme une ennemie toujours prête à profiter de la veuve et de l’orphelin. À cela s’ajouterait une mentalité hostile à l’argent et à l’autorité qui rendrait les activités de ces derniers toujours plus périlleuses.

Enfin, l’environnement politique actuel, toujours plus soucieux du traitement des apparences médiatiques que de la réalité des enjeux économiques, ne trouve pas d’autre intérêt à satisfaire que la machine bureaucratique sur laquelle il s’appuie pour l’élection suivante. Hélas, on ne peut nier catégoriquement ces pronostics.

Toutefois, cet exode représente un danger pour notre société. L’apport des entreprises au Bien commun ne peut être réel que dans la mesure où celles-ci, non seulement paient leur juste part d’impôt (du moins, nous l’espérons), mais également lorsqu’elles s’insèrent dans la société civile par l’entremise du tissu social qui les compose.

Une question de transmission

Si, culturellement, la transmission de notre héritage n’est une priorité pour personne, pourquoi, alors, nous offusquer des manifestations économiques d’une telle logique? Selon moi, deux grands acteurs se partagent la responsabilité.

Dans un premier temps, la logique libérale en son sens large tente désespérément d’isoler les individus les uns des autres. Que ce soit en imposant le monopole de la primauté du plaisir ou en influençant l’ensemble des rapports sociaux du côté de l’égoïsme narcissique, cette volonté commerciale d’augmenter les besoins des consommateurs semble n’avoir aujourd’hui aucune limite si ce n’est celle de se débarrasser des indésirables une fois leur utilité dépassée.

L’État n’a pas su faire preuve d’une grande capacité à combattre cette logique de dissolution des liens sociaux.

D’un autre côté, l’État n’a pas su faire preuve d’une grande capacité à combattre cette logique de dissolution des liens sociaux. Au contraire, si on y regarde de plus près, la logique étatique, depuis plusieurs décennies, a plutôt tenté de se substituer aux relations familiales pour justifier son expansion à tous les niveaux, carburant au malheur même que sa logique de déresponsabilisation généralisée avait créée.

En ce sens, les politiques universelles d’avortements, le nivèlement de l’institution du mariage à un choix parmi d’autres sans égard au droit naturel, les affronts constants contre la primauté du droit des parents en matière d’éducation et de liberté religieuse, ne sont que quelques exemples de l’asservissement de l’État à l’individualisme destructeur.

Devant un tel constat, comment se plaindre de la perte du lien d’appartenance à la société québécoise? De quel droit pouvons-nous nous plaindre qu’une relève familiale pour ces entreprises n’ait pas été possible?

La famille, rempart à l’individualisme?

La question de la transmission ne pourra faire l’objet d’un réel souci de réhabilitation tant que nous n’aurons pas pu reconsidérer la centralité de la famille dans notre société. Quel est le lieu primordial de la transmission si ce n’est la famille?

À ce niveau, les statistiques sur les divorces et les conflits familiaux, sans mentionner le faible taux de natalité, ne sauraient nous laisser croire que nous sommes sur la voie de l’amélioration. Des pistes de solutions politiques et sociales se font parfois voir ici et là comme autant de « diachylons » n’arrivant pas à colmater les fissures qui apparaissent avec toujours plus d’intensité.

Mon opinion personnelle sur l’efficacité des institutions technocratiques m’empêche de pencher vers une solution politique à ce problème. Peut-être l’exhortation apostolique postsynodale du pape François sur la famille Amoris Laetitia pourra-t-elle nous aider à trouver des solutions à cette crise qui fragilise même les plus solides d’entre nous!

Transmission me dites-vous? Le premier pas ne serait-il pas justement de faire confiance à notre héritage pour y puiser, peut-être, au moins des pistes de solutions? En ce sens, que peut nous apprendre l’histoire du Québec sur les moyens de sortir des périodes de crise?

Héritage et sortie de crise

Si crise il y a eu par le passé, impossible de nier l’apport de l’Église catholique à traverser nombre de tempêtes.

Or, à ce sujet, elle s’est déjà exprimée par la bouche de saint Jean-Paul II, lors de son passage à l’Université Laval en 1984, lorsqu’il avait dit :

Votre devise est “Je me souviens”. Il y a vraiment des trésors dans la mémoire de l’Église comme dans la mémoire d’un peuple! Mais à chaque génération, la mémoire vivante permet de reconnaitre la présence du Christ, qui nous interroge comme aux environs de Césarée: “Vous, qui dites-vous que je suis?”. La réponse à cette question est capitale pour l’avenir de l’Église au Canada, et aussi pour l’avenir de votre culture.

– Saint Jean-Paul II

L’avenir du Québec, qu’il soit économique, politique, social ou artistique ne pourra survivre au flot du temps que si chacun de nous, croyant ou non, examine sa conscience à la lumière des Évangiles.

Seul ce baume spirituel a le don de redonner vie là où la mort avait pris le dessus ; de redonner espoir en la seule vraie réalité capable d’étancher la soif d’absolu présent dans le cœur humain et ainsi sortir du cynisme causé par les attentes déçues des fausses utopies qui nous ont poussés à nous détourner de notre seule mère patrie : le ciel.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.