fêter
Photo : Jacob Bentzinger / Unsplash.

Dieu peut-il nous apprendre à fêter ?

Dans nos sociétés, la fête semble omniprésente. Aux yeux d’un philosophe français, l’individu occidental contemporain serait même un homo festivus, un homme centré sur la fête. De plus, pour plusieurs, la festivité se serait déployée en se libérant de Dieu et des religions, qui apparaissent rabat-joies.

Et si ce n’était pas l’inverse qui est vrai ? Se pourrait-il que Dieu nous apprenne à pleinement fêter ? Alors que les chrétiens sont dans les cinquante jours où ils fêtent Pâques, c’est le bon moment pour réfléchir au sens de la fête.

Deux visions de la fête

Commençons par mieux comprendre ce qu’est fêter. Derrière ce mot de « fête » se cachent deux réalités différentes et opposées : une plus contemporaine et une autre plus ancienne ou traditionnelle.

La vision contemporaine de la fête nous est assez bien connue. Elle apparait en pleine lumière dans la chanson à succès Alors on danse. Comme Stromae l’exprime justement, la fête apparait comme un lieu pour fuir et oublier la vie dure et parfois même absurde. Dans cette optique, la fête permet de sortir d’une réalité difficile et aide à y retourner par la suite. On comprend pourquoi l’alcool et la drogue occupent une place importante dans bon nombre de fêtes ! Évidemment, cette vision contemporaine de la fête n’est pas la seule qu’on connait aujourd’hui, mais elle représente plutôt une trame générale ou importante.

On peut fêter pour oublier et fuir la réalité qui est dure, ou on peut au contraire fêter pour faire mémoire et accueillir la réalité qui est fondamentalement bonne.

En effet, la vision ancienne ou traditionnelle de la fête ne nous est pas complètement étrangère. Dans cette approche classique, la fête est comprise comme une activité où l’on sort du quotidien pour faire mémoire d’une réalité qui est très bonne ou significative. Pour un temps, on s’arrête et on accueille d’une manière extraordinaire un évènement ou une réalité qui marque notre vie ordinaire et lui donne sens. C’est ce qu’on voit par exemple dans un anniversaire de mariage, lorsqu’un couple fait mémoire du moment fondateur de leur union. C’est aussi ce qu’on voit à Pâques, alors que les chrétiens s’arrêtent pour rendre à nouveau présentes la mort et la résurrection de Jésus-Christ, évènement fondateur de leur foi.

Évidemment, la fête ainsi comprise amène aussi une détente par rapport au quotidien. Cependant, ce repos n’est pas le cœur de la célébration, mais plutôt une conséquence ou un fruit de celle-ci.

Le vrai sens de la fête

Ce trop rapide survol met en lumière deux conceptions de la fête qui se distinguent et s’opposent. On peut fêter pour oublier et fuir la réalité qui est dure, ou on peut au contraire fêter pour faire mémoire et accueillir la réalité qui est fondamentalement bonne. Cependant, ce premier sens ressemble moins à la fête qu’à ce que le philosophe Pascal appelait le « divertissement ». La véritable fête n’a pas son origine dans la dureté ou l’absurdité de la vie, mais dans sa bonté profonde.

Ici, une précision importante s’impose : ne confondons pas la détente ou la pause qui est saine et bonne avec le divertissement qui disperse et fatigue. Quand on se détend, on ne cherche pas à fuir ou à oublier la réalité, mais on essaie de mieux vivre cette dernière en se reposant.

Dieu : le roi de la fête

On voit maintenant mieux comment Dieu entre dans le décor festif. Si la fête est comprise comme un lieu pour fuir la réalité difficile, il est préférable qu’il n’y ait personne pour m’empêcher de fêter comme je l’entends. Ici, Dieu risque d’apparaitre comme un trouble-fête. De plus, si Dieu ne fait pas partie de la réalité, on peut comprendre que cette dernière apparaisse encore plus dure et absurde.

Par contre, si la fête est comprise comme un lieu pour faire mémoire et mettre en lumière ce qui est bon dans notre vie et dans ce monde, alors Dieu apparait comme la source même de la festivité. En effet, dans un monde sans créateur, et donc dépourvu de sens, d’ordre et de bien, on voit difficilement ce qu’on pourrait fêter de bon. Ici, Dieu n’apparait pas comme un rabat-joie, mais plutôt comme la source ou le roi de la fête. D’ailleurs, dans l’Ancien Testament, fêter le Sabbat est même un commandement fondamental que Dieu donne à son peuple (Ex 20,8-11). Pour les chrétiens, c’est la résurrection de Jésus-Christ qui deviendra le nouveau Sabbat, la nouvelle fête fondamentale de leur vie.

Ainsi, loin d’être opposé à la fête, Dieu en est plutôt l’instigateur, celui qui la rend possible et qui nous invite à pleinement fêter. Évidemment, on peut fêter sans connaitre Dieu. Cependant, sans le savoir, on est alors comme ceux qui boivent l’eau de la rivière, mais qui ignorent sa source ou qui s’en coupent.

Cinq conseils pour cultiver la fête

Si Dieu lui-même met la fête en troisième place dans ses commandements, cela nous montre bien que c’est important et que ça n’est pas toujours simple. C’est aussi ce que notre expérience nous fait voir : il est souvent plus aisé de se divertir que d’entrer dans cette mémoire joyeuse de ce qui est très bon et digne de mention. Pour nous aider à cultiver le sens de la fête dans nos vies, voici cinq conseils non exhaustifs.

Nourrir notre mémoire et notre intelligence. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, on ne fête pas mieux en perdant la tête : plus on nourrit la mémoire et l’intelligence de ce qui est bon et fondamental dans notre vie et plus on a de raisons de fêter. Comment pourrait-on fêter ce qu’on ignore ? Ainsi, la connaissance du sens profond de notre vie et de notre monde est à la source de la véritable fête.

Nourrir la gratuité et fuir l’activisme dans notre vie. En accordant plus de place à ce qui est gratuit ou inutile dans notre vie et en fuyant l’activisme, on se dispose à mieux fêter. En effet, celui qui pense toujours en matière d’utilité ou de production est peu disposé à accueillir et à fêter ce qui est très bon dans le monde. La mentalité utilitaire ou activiste veut moins contempler et fêter qu’inventer et travailler.

Veiller à la dimension matérielle de la fête. Étant donné que nous ne sommes pas de purs esprits, nous fêtons toujours avec notre corps. Cela nous demande de veiller à ce qu’il y ait de bonnes conditions matérielles pour fêter. Sans tomber dans une considération démesurée pour l’aspect matériel de la fête, il importe de veiller au choix des lieux, du temps, du nombre de personnes, de la musique, de la nourriture, des vêtements, etc. Idéalement, on ne fête pas un anniversaire de mariage ou Noël dans un dépotoir !

Veiller à vivre la discipline et la pénitence. Même si la fête se distingue du travail et de la pénitence, celui qui ne leur accorde pas de place dans sa vie ne peut pas pleinement fêter. Il en est ici comme pour l’artiste qui ne peut obtenir la joie d’un concert sans les efforts de la pratique. Une personne sans discipline ne peut pas pleinement vivre la fête au moment venu, car elle n’est pas maitre d’elle-même.

Favoriser la communion ou l’amitié. Ultimement, il importe de se rappeler que la fête est toujours orientée vers la communion ou l’amitié entre les personnes. Quelle que soit la fête, elle n’est jamais une activité solitaire ou impersonnelle, mais elle implique toujours une relation personnelle. Si la fête était privée de sa dimension personnelle, elle serait coupée de son fondement à la fois humain et divin, car l’homme est, à l’image de Dieu, un être personnel. Il importe ainsi que cette finalité imprègne et modèle notre manière de fêter. 

Jean-Philippe Murray

Jean-Philippe a étudié la philosophie à l’Université Laval. Il est ensuite entré au séminaire où il chemine présentement pour devenir prêtre. Il ne cesse pas d’être attiré par la Vérité qu’il cherche avec passion et embrasse partout où il peut la trouver.