Photo: Pixabay (Succo -CC)
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Dieu, la Cour suprême et le père Noël

La semaine dernière, la Cour suprême du Canada émettait un jugement contre la récitation de la prière avant l’ouverture du Conseil municipal de la ville de Saguenay. À l’heure où les municipalités s’interrogent sur la portée de cette décision, il me semble qu’une analyse rétrospective s’impose.

En effet, tout le débat et le jugement qui vient d’être livré sont des exemples frappants d’une mécanique qui affecte plusieurs questions de société et qui émerge de plus en plus à mesure que nous avançons sur ce chemin de l’histoire.

Une police de la pensée

En faisant mes recherches pour préparer cet article, une chose m’a sautée aux yeux: la grande difficulté de trouver le texte de la prière elle-même. Tous les articles et commentaires font référence à la « prière de Saguenay », mais aucun d’entre eux ne rend ce qui est explicitement dit dans cette prière. Cela m’a amené à me poser la question suivante : comment faire un débat de société sur quelque chose dont le contenu même est ignoré ?

Rapidement, j’ai compris que nous étions, encore une fois, devant un débat idéologique qui n’a pas vraiment besoin de se référer à la réalité.

En politique, le mot « idéologique » signifie, la plupart du temps, une certaine grille d’analyse avec laquelle nous interprétons la réalité. Par exemple, une personne idéologiquement à gauche interprètera presque toujours les problèmes sociaux comme étant causés par la pauvreté et par conséquent, par un manque de redistribution étatique des richesses. Dans ce cas, l’idéologie se nourrit de la réalité pour continuer d’exister. L’acception que je donne au mot « idéologique » est différente.

En effet, ce n’était pas ici le texte comme tel qui était problématique, puisque personne n’y fait référence, mais plutôt le fait qu’on y ait attaché le mot « prière ». C’est donc le sens donné au mot « prière » qui était problématique. Pour les uns, la prière est une requête au divin pour qu’Il envoie ses bénédictions. Pour les autres, c’est un texte vide de sens s’adressant à un être qui n’existe pas ou, du moins, dont l’existence peut être remise en question. En ce sens, il est intéressant de noter à quel point il peut être étrange d’être aussi acharné à empêcher la récitation d’un texte n’ayant en lui-même, selon ce point de vue, aucune valeur…

C’est justement là que se révèle l’imposture derrière la position antiprière. Ce n’est pas contre le texte lui-même que le mouvement laïc québécois en avait, mais plutôt contre l’interprétation croyante de celui-ci. Ainsi, derrière le masque de la « neutralité de l’État » se cache une véritable police de la pensée.

Le même phénomène se produit périodiquement. C’est le cas en France. L’année dernière, on voulait interdire l’installation de crèches dans les hôtels de ville. Laissant l’idéologie de côté et retournant à la réalité au sens presque physique du terme, on serait tenté de se demander : « qui peut bien se sentir menacé par quelques statuettes représentant un père, une mère, un bébé et quelques animaux ? ».

La réponse est simple: personne!

Mais c’est justement ça le problème: ce n’est pas contre la réalité que ces gens protestent, mais contre sa signification chrétienne. Cependant, ce sens chrétien, seul le chrétien le perçoit dans son cœur et sa pensée. En d’autres termes, être contre la crèche ou la prière, ce n’est pas être contre la crèche et la prière comme telles, mais contre le sens que les chrétiens leur donnent. C’est cela que craignent les laïcistes. Mais c’est également ce sens qui suscite leur action intolérante et oppressante et qui les pousse à se comporter comme une véritable police de la pensée.

Vers une constitution inconstitutionnelle

« Dieu Tout-puissant, nous vous remercions pour les nombreuses grâces que vous donnez à Saguenay et à ses citoyens dont la liberté, les possibilités d’épanouissement et la paix. Guide-nous dans nos délibérations. »

Le texte finalement trouvé sur les lèvres d’Anne Marie Dusseault, je me suis demandé quels en étaient les éléments choquants, voire discriminatoires. De plus, je tiens évidemment pour acquis que la seule chose que l’on peut lui reprocher c’est la référence au « Dieu Tout-puissant » puisque personne de raisonnable ne pourrait être ouvertement contre la deuxième partie de la prière.

Ainsi, deux hypothèses me sont venues à l’esprit.

La première relève non pas d’abord de l’intention du texte, mais de son orientation et du fait qu’il est adressé à un être dont l’existence est, d’un côté, mise en doute et qui, de l’autre, semble gêner certaines personnes. Dans le premier cas, nous pourrions évoquer d’autres cas de figure où des êtres sont universellement reconnus comme inexistants, sans toutefois que leur présence symbolique ne gêne personne au point de provoquer un débat de société. Prenons, par exemple, le père Noël. Bien qu’il n’existe pas, sa présence symbolique parsème quand même notre quotidien durant le temps des fêtes. À quand un jugement de la Cour suprême contre les références au père Noël par nos politiciens ou nos institutions publiques ?

L’argument de la possible inexistence de Dieu pour justifier le bannissement de la récitation de la prière ne semble donc pas suffisant pour justifier cette position.

La deuxième hypothèse me semble davantage corroborer la position antiprière puisqu’elle seule semble être assez forte pour justifier un tel acharnement. En effet, l’appel à un « Dieu Tout-puissant » affirme bien une certaine vision du divin qui est surtout partagée par les religions monothéistes. C’est là que la référence peut blesser certaines personnes. De fait, plusieurs personnes croient dur comme fer que la religion est un élément néfaste pour la société et que la paix ne sera possible qu’avec l’éradication de ce qu’elles considèrent, au mieux, comme un phénomène social archaïque.

En ce sens, nous pouvons les comprendre de mettre autant d’efforts pour ce qui, selon leur conscience, est une lutte pour la justice.

Toutefois, en toute conscience chrétienne, nous ne pouvons nous laisser catégoriser d’une manière aussi réductrice. Nous ne pouvons laisser sans réponse des accusations erronées contre ce que nous avons de plus cher et de plus profond. Enfin, comme citoyens rationnels et raisonnables, nous ne pouvons nous taire contre l’illogisme d’une décision qui considère la référence publique à un Dieu bon comme contraire aux droits et libertés les plus fondamentaux. Comme le faisait remarquer Alex La Salle, le préambule de la constitution n’est-il pas « que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit » ? Les juges de la Cour suprême seraient-ils en train de juger la Constitution elle-même inconstitutionnelle ?

Le débat autour de la prière à Saguenay nous rappelle à quel point nous devons être vigilants lorsqu’il est question de nos traditions et de nos coutumes. Bien que, selon certains, elles semblent souvent dépassées, nous ne devrions pas prendre ces questions à la légère au point de ne plus savoir de quoi on parle ou encore considérer ces questions in abstracto sans référence à la réalité.

Enfin, et c’est une conséquence de cette première envolée intellectuelle, nous devrions toujours faire référence aux conséquences logiques de certaines décisions juridiques. Ce qui éviterait aux juges le ridicule consistant à scier la branche sur laquelle leurs trônes s’appuient.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.