homme
Photo: Ben White/Unsplash

Comment devenir un homme ?

Il parait qu’on juge une culture à ses fruits.

Et bien, quelle sorte d’homme l’Occident arrive-t-il à produire, désormais?

Entre les extrêmes du machiste décérébré et de l’efféminé, les hommes errent, en quête d’une identité à revêtir. Pour Jason M. Craig, auteur de Leaving boyhood behind : reclaiming catholic brotherhood, le problème du masculin est bien ancré, à contextualiser dans l’immaturité générale de nos sociétés. Au-delà de la crise, l’auteur s’interroge : comment faire, de nos fils, des hommes? Parce qu’on ne nait pas homme, on le devient

Qu’est-ce qu’un homme?

Un roc? Un phare? Un roseau? Un loup? Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Au-delà des traits caricaturaux qui peuvent nous venir à l’esprit, la masculinité dans sa forme idéale serait essentiellement à trouver dans la figure du Christ. L’homme est celui qui sait mettre à profit sa nature biologique (caractérisée principalement par la force physique) au service du plus faible, en sacrifice pour l’autre. Cet autre est, par exemple à l’intérieur du mariage, en premier plan son épouse, puis ses enfants.

Il est possible d’observer à travers l’Histoire, autant dans les sociétés primitives que civilisées, la présence de rites de passage vers la masculinité. La jeune fille, de son côté, n’a pas droit à ces cérémonies pour elle-même. Injustice? Patriarcat oppressif?

Non. Cela s’expliquerait par une différence de nature. La jeune fille, lors de ses premières menstruations, se retrouve face-à-face, du reste de manière dramatique et inéluctable (quoique cela est moins vrai depuis le « progrès »), avec sa féminité dans sa dimension sacrificielle. Dit autrement, son corps porte en elle la mécanique du rite de passage. À l’opposé, le garçon n’a pas en lui d’équivalent le propulsant naturellement dans sa masculinité.

Ainsi, l’homme ne sera pas homme par l’intérieur, par la force du pinch, mais nécessairement par une initiation extérieure. L’anthropologie note trois grandes étapes permettant cette transformation.

Première étape : la séparation de l’enfance maternelle

Le garçon grandit s’attendant à un monde qui répond à ses besoins, à ses demandes. Quoiqu’absolument nécessaire en bas âge, il faut éventuellement « tuer » cette représentation du monde, sans quoi il en découle des sociétés adultes sur le plan des préoccupations et des soucis matériels, mais infantiles et égocentriques, voire narcissiques, dans leur rapport avec l’autre.

Il quittera en tant qu’enfant qui reçoit, pour mieux revenir en tant qu’homme qui donne

L’enfant doit donc être séparé symboliquement de la mère, dont le sein bienveillant représente ce monde utopique. Il devra muer, faire « disparaître ce qui est de l’enfant en lui », comme l’écrit saint Paul. Il quittera en tant qu’enfant qui reçoit, pour mieux revenir en tant qu’homme qui donne.

Traditionnellement, c’est la responsabilité du père d’arracher ses fils au confort de l’enfance pour les mener vers cette douloureuse plongée dans le monde du sacrifice pour autrui, qui constitue la seconde phase du rite.

Deuxième étape : l’initiation ou la transition

Lorsque l’égo de l’enfant meurt, l’adolescent vit l’appel du héros intérieur. Il se questionne jusque dans ses entrailles : serai-je à la hauteur de la mission? Aurai-je ce qu’il faut? Dès lors, il lui faut impérativement se retrouver face à des guides, des mentors, qui traceront les contours de sa nouvelle identité masculine. Ils ne le feront pas par des mots, mais en actes, invitant le jeune garçon dans des expériences concrètes où il sera appelé à mettre sa force physique grandissante au service de l’autre.

Ces mentors seront ses modèles; aussi il importe que ce nouveau monde des hommes implique le sacrifice et la responsabilisation. Autrement dit, il ne suffit pas d’inclure le jeune garçon dans les loisirs des hommes. Si ces loisirs sont puérils et uniquement tournés vers le plaisir partagé, quitte même à devenir le reflet d’une fuite de la réalité familiale, ce qui est une forte tentation pour l’homme, les effets ne seront pas ceux escomptés.

S’il stagne à ce stade sans trouver de mentors, eux-mêmes des hommes, qui le sécurisent dans sa nouvelle identité en construction, le jeune cherchera toute sa vie, et de manière compulsive, à prouver sa valeur, par ses propres forces et essentiellement pour nourrir son orgueil.

Troisième étape : l’incorporation dans la fraternité des hommes

Les deux premières étapes se déroulent normalement entre 12 et 18 ans. L’ultime étape, soit l’incorporation dans la fraternité, est donc la plus importante, car elle se prolonge jusqu’à la mort. On ne devient pas homme à un moment fixe et de manière durable. Tout comme le chemin vers la sainteté, celui vers la masculinité doit être vu comme un idéal à atteindre et pour lequel il faut sans cesse se convertir.

De nos jours, de plus en plus de garçons se retrouvent séparés de l’enfance et initiés au monde des hommes, mais ensuite laissés à eux-mêmes, dans la solitude. Ils muent, opèrent une transition, mais dans le vide. Nécessairement, ils s’égarent à l’âge adulte, ou même régressent et retombent dans des manières infantiles. Comme des perdus qui se regardent entre eux pour se trouver, ils demeurent dans l’errance.

Le chrétien, d’abord baptisé et confirmé, a ensuite besoin d’incorporer une communauté pour grandir dans la foi. Le mari, qui a d’abord quitté père et mère pour se marier, a ensuite besoin de faire corps avec son épouse chaque jour pour que croisse et s’enracine leur union. De la même manière, la masculinité naissante a besoin d’être affermie, consolidée dans une fraternité d’hommes, pour le restant de la vie.

Derrière le poil, il y a un homme. Le recouvrons-nous ?

Thomas Plouffe

Thomas Plouffe est doctorant en psychopédagogie et chargé de cours à l’Université Laval. Il a huit flèches dans son carquois. Toutes ses bonnes idées lui viennent de sa femme, surtout celle de la laisser écrire son mot de présentation.