Photo: Jametlene Reskp (unsplash.com).
Photo: Jametlene Reskp (unsplash.com).

Debout devant la croix

À la suite de mon dernier texte intitulé « Plus jamais », Mathieu Hart a écrit un commentaire en me posant une question plus que pertinente : quels sont, selon moi, les éléments « que nous voulons collectivement le moins questionner ? ». Cela faisait référence à la vision psychanalytique de Carl. A. Jung pour qui les solutions à nos problèmes se trouvent souvent là où nous voulons le moins regarder.

J’aimerais aujourd’hui lui répondre en plus de manifester en quoi l’Église pourrait ressortir grandie de cette expérience traumatisante.

Deux niveaux d’analyse

Dans un premier temps, nous devons reconnaitre que cette méthode jungienne est d’abord une analyse efficace au niveau individuel, mais peut également révéler certaines choses au plan social.

Pour répondre directement à la question de Mathieu Hart, il me semble que ce que nous voulons souvent le moins remettre en question sont, à la fois, nos grands idéaux et l’image que nous aimons projeter de nous-mêmes. Comme je l’ai dit dans mon texte « Un examen de conscience nécessaire », il m’apparait donc important de revoir l’ensemble des raisons profondes qui motivent nos vies, nos actions, etc.

Mais, comme le dit le proverbe « In sterquilinus invenetur », c’est souvent dans nos convictions les plus profondes que se cachent les plus grands obstacles à notre sanctification personnelle. De la même manière que le marxisme a pu s’imposer en U.R.S.S. en brandissant l’étendard de l’égalité et de la lutte contre la pauvreté, la volonté de camoufler les abus était justifiée (dans la tête des autorités ecclésiales) au nom de la préservation de l’image de probité de l’institution. Dans ce cas, l’honneur a clairement primé sur la dignité des victimes.

Ne nous pensons pas à l’abri de tels errements et cherchons ce qui, dans nos priorités actuelles, prend le dessus sur le seul essentiel : l’union spirituelle avec le Christ.

Nous pouvons aborder le problème de plusieurs manières. Il est clair qu’il se situe au niveau de l’image de l’Église que certains membres du clergé ont voulu préserver au détriment de la vérité et de la transparence.

D’un autre point de vue, une des sources du problème serait l’habitude à ne pas mettre la vérité au centre des décisions.

Suivre la vérité, coute que coute. Et si cela implique d’embrasser la croix de l’opprobre et de la pauvreté, ainsi soit-il!

Enfin, on pourrait souligner le fait que l’on ait perdu de vue que « le salut des âmes doit toujours être dans l’Église la loi suprême » (Can-1752). Dans tous ces cas, la seule voie de sortie est et sera toujours la même : suivre la vérité, coute que coute. Et si cela implique d’embrasser la croix de l’opprobre et de la pauvreté, ainsi soit-il !

En ce sens, je salue l’initiative de l’archidiocèse de Montréal et de ses diocèses suffragants (et de tous ceux qui suivront) pour leur acte de foi en Dieu. Prenant le beau risque de la transparence, ils ont choisi d’aller à la rencontre des éventuelles victimes qui à cause des lacunes des procédures passées n’auraient peut-être pu obtenir justice. Ce geste marque un vrai changement de culture et, peu importe les conclusions, nous en sortirons collectivement plus près du Christ.

Pour un cogito de la conversion pastorale

Dans son célèbre Discours de la méthode, le philosophe René Descartes, se trouvant « embarrassé de tant de doutes et d’erreurs » (p.7) présentes dans son esprit, se donna une méthode dont la première règle était« de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute » (p.14). De ce point de départ, il tira son célèbre « cogito ergo sum / je pense, donc je suis » (p.23) comme fondement de la connaissance. La présente situation me semble requérir l’utilisation de cette méthode qu’on pourrait nommer « cogito de la conversion pastorale ».

En effet, devant l’immensité de la crise actuelle, devant tant de viols, d’erreurs et de mensonges, un retour aux idées « claires et distinctes » (p.23) du christianisme me semble plus qu’approprié.

Ce « formatage » ecclésial ne doit certainement pas être compris dans l’optique antichrétienne de la tabula rasa. Au contraire, c’est d’un retour à l’essentiel du Christ et de sa Volonté pour l’Église d’aujourd’hui dont il s’agit.

Ce retour aux sources passera donc par l’expérience vécue de la Présence sacramentelle et kérygmatique en nos vies et en nos communautés.

Ce retour aux sources passera donc, à tous les niveaux, par l’expérience vécue de la Présence sacramentelle et kérygmatique en nos vies et en nos communautés. Cette réforme passera donc nos pratiques ecclésiales dans le tamis des critères « évidents » de la foi qu’est la primauté de la Révélation (Bible) du Magistère (pape, Concile Vatican II, Droit canon, catéchisme) et de la Tradition (avec une mention spéciale pour les Pères et Docteurs de l’Église).

Suivant cette « morale provisoire »  qui, pour un laps de temps indéterminé, nous libèrera du carcan des habitudes et des tracas bureaucratiques, nous pourrons effectuer cette remise en question fondamentale. C’est ainsi que nous pourrons considérer tout ce qui semble surajouté, superflu et faisant obstacle à la « liberté véritable des enfants de Dieu ».

Transparent de la Grâce de Dieu

La crise des abus et l’indéniable leadeurship dont font preuve les évêques du Québec ne peuvent que nous édifier et nous inviter à les suivre dans leurs démarches de vérité et d’adéquation à la Grâce que nous avons tous reçue au baptême. Ils nous stimulent et invitent à ne pas avoir peur de faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Cet appel à répondre concrètement et avec courage à « l’appel universel à la sainteté » (LG, no40) est une invitation à la transparence, à l’ouverture à la vérité sur nous-mêmes, à la rectitude de nos intentions et des idéaux que nous défendons.

Cette remise en question fondamentale nous déstabilisera certainement, mais, conscients de la Présence indéfectible de Dieu, nous pourrons nous tenir debout devant la croix, au côté de la Stabat Mater, assurés que de ce lieu seul tout homme sera attiré à Lui (Jn 12, 32).


Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.