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Photo: Unsplash

Combien d’étoiles voyez-vous?

Aout 2003. New York, la ville qui ne dort jamais, s’assoupit. Dans une panne d’électricité historique, les gratte-ciels s’éteignent et révèlent un autre ciel. Du jamais vu pour les New-Yorkais. Quelle est donc cette étrange trainée lumineuse qui fend la nuit en deux? Le service de police reçoit un nombre élevé d’appels téléphoniques de citoyens inquiétés par l’étrange spectacle de la… Voie lactée.

Il existe bel et bien des citadins pour qui l’observation du ciel nocturne et de ses myriades d’étoiles est inconnue. Et d’autres pour qui le fait de vivre dans une galaxie et d’en être témoin par une nuit sans lune ne veut strictement rien dire. Cet épisode somme toute anecdotique pose tout de même une question plus sérieuse: quel effet provoque sur la psyché l’extinction des étoiles due à la pollution lumineuse?

Vous me direz peut-être qu’en quelques clics on peut atteindre des images grandioses du cosmos. Que l’œil nu est un bien pauvre instrument de toute façon pour saisir l’étendue véritable de notre univers. Mais en termes d’expérience existentielle, n’y a-t-il pas quelque chose qui se perd avec le virtuel et la lumière artificielle?


Ce texte est tiré de l’édition papier du magazine Le Verbe, été 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.


Si les constellations urbaines voilent celles au-dessus de nos têtes, comment vivre ce sentiment élémentaire d’humilité et de petitesse devant l’infini qui nous surplombe? Comment se laisser interpeler en temps réel par ces milliers d’autres soleils qui sont autant de points d’interrogation à nos origines?

Le ciel vide et terne est l’image de l’horizon qui renferme l’homme sur lui-même. Comme si l’homme moderne, n’ayant nulle part où lever la tête, était condamné à vivre dans un monde fait à son image, où se reflètent les lueurs de son firmament industriel comme dans un miroir.

Si avec les étoiles s’éteignait ce lien du sacré qui unit l’homme au reste du cosmos, siège de sa genèse? «Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie», disait Pascal. L’homme d’aujourd’hui peut-il se laisser ainsi toucher?

La voute sacro-céleste

Pour Mircea Eliade, historien des religions, l’expérience religieuse se révèle dans la manifestation du sacré qui ouvre l’homme sur quelque chose de plus grand que lui.

Dans les religions archaïques, le ciel joue ce rôle d’élever l’homme à cette dimension tout autre.

«La simple contemplation de la voute céleste provoque dans la conscience primitive une expérience religieuse. […] Le ciel se révèle tel qu'il est en réalité: infini, transcendant. La voute céleste est par excellence “tout autre chose” que le peu que représente l'homme et son espace vital. Le symbolisme de la transcendance se déduit, dirions-nous, de la simple prise de connaissance de sa hauteur infinie. Le “Très-Haut”, devient tout naturellement, un attribut de la divinité» (Traité d’histoire des religions).

La prière chrétienne du «Notre Père qui est aux Cieux», une des prières les plus populaires du monde, évoque bien cette idée du Dieu très haut. Si le christianisme se distingue toutefois des religions archaïques par le fait d’un Dieu radicalement distinct du cosmos, ses pères ont toujours reconnu que la nature porte la trace de son Créateur et qu’elle en est une première révélation de son existence.

Saint Paul, dans la lettre aux Romains, parle «des réalités invisibles de Dieu rendues visibles par ses œuvres à l’intelligence». Pour le théologien Jean Daniélou, le monde est un livre qui nous parle de Dieu: «Le cosmos tout entier prend une dimension symbolique. Les réalités qui le constituent, les étoiles, la régularité de leur cours, le soleil et son éclat, l’orage et la terreur qu’il inspire, le rocher et son immuabilité, la rosée et sa bénédiction, sont autant de hiérophanies, des manifestations visibles, à travers chacune desquelles un aspect de Dieu se manifeste. Tout être étant une participation de Dieu porte de Lui quelques vestiges» (Dieu et nous).

En quête d’infini

Si aujourd’hui un fossé existe entre la science et la religion, la quête de chacune n’a jamais été complètement disjointe. Les racines grecques du mot cosmologie signifient «discours sur l’ordre de l’univers». L’étude de l’univers suppose donc que le monde est ordonné et intelligible.

Aux 16e et 17e siècles, la recherche scientifique est conçue comme un moyen de comprendre la sagesse de Dieu manifestée dans la création. «Mais toi, Seigneur, tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids», énonce le livre de la Sagesse. Quelle aspiration profonde pouvait motiver Newton ou Galilée, sinon la croyance en l’unité et la symétrie du monde qu’ils tentent ardemment de décrypter?

Cette quête plurimillénaire du récit de nos origines, ce souci de maitriser le temps et l’espace résident autant dans la construction d’équations complexes que par l’élaboration de mythes. Au fond, elle nait de l’étonnement devant l’immensité mystérieuse du cosmos. Une complexité qui nous échappe et qui se dérobe chaque fois que nous croyons l’avoir saisie.

On a longtemps supposé que l’univers se limitait aux 6 000 étoiles visibles à l’œil nu. Or, au fil des découvertes en astronomie, les dimensions de l’univers se sont avérées défier toujours plus les bornes de l’imagination.

C’est seulement depuis 1924 que nous connaissons la nature des taches floues dans le ciel, à la source de débats dans la communauté scientifique de l’époque. Grâce à la découverte de Edwin Hubble, le grand mystère des «nébuleuses» a été résolu: ces taches inconnues sont en fait d’autres galaxies comme la nôtre. Notre univers ne se limite pas à notre galaxie, comme on le pensait. Mais on était encore loin de se douter du nombre de galaxies dans l’univers.

Entre 2003 et 2004, les astronomes se sont amusés à pointer le télescope Hubble dans un des coins les plus sombres du ciel. La photo prise par Hubble a de quoi surprendre. Elle qui couvre une minuscule portion du ciel, soit l’équivalent d’une tête d’épingle, dévoile 10 000 galaxies. Aujourd’hui, on estime que l’univers contient plus de 2 000 milliards de galaxies contenant chacune des milliards d’étoiles. Quand on sait qu’il y a autant d’étoiles dans l’Univers que de grains de sable sur la Terre, il y a certainement de quoi être pris de vertige.

Éclosion cosmique

C’est au terme d’une lente marche cosmique que l’homme apparait dans l’univers et est à même de contempler le fruit de cette laborieuse évolution. Il faut compter environ 10 milliards d’années pour que le carburant des étoiles produise la matière nécessaire à la formation de la matière organique. Le calcium de nos os vient aussi loin que les étoiles que nous observons dans l’azur de l’été. Les contempler n’est rien de moins que regarder vers le lieu d’où l’on vient.

L’astronome Carl Sagan a placé l’apparition de l’homme sur un calendrier cosmique analogique. Si, sur une année, le bigbang survient le 1er janvier et que la Voie lactée est formée le 1er mai, Homo sapiens apparait seulement le 31 décembre à 23 h 56, telle une fleur cosmique qui vient d’éclore au terme de 13,7 milliards d’années.

Mais comme le pense le biologiste Jacques Monod, l’homme n’est-il qu’un pur accident dans l’univers? «L’univers n’était pas gros de la vie ni la biosphère de l’homme. Notre numéro est sorti au jeu de Monte-Carlo. Quoi d’étonnant à ce que, tel celui qui vient d’y gagner un milliard, nous éprouvions l’étrangeté de notre condition?»

Pour l’astronome, Trinh Xuan Thann, il en va tout autrement:

«La capacité de notre cerveau à comprendre les lois naturelles n'est pas un simple accident de parcours, mais un reflet de l'intime connexion cosmique entre l'homme et le monde.»

Au sein de la communauté scientifique, les interprétations sur la place de l’homme dans l’univers divergent. Son existence marginale dans le vide intersidéral a-t-elle un sens? La science ne peut répondre à l’interrogation, puisque le concept de sens est hors de son domaine d’objets; or, la beauté qu’elle dévoile laisse penser que, si un tel sens existe, il doit être d’autant plus riche et profond.

Finement ajusté

Le principe anthropique, formulé en 1974, énonce que les lois physiques de notre univers comportent un grand nombre d’ajustements fins sans lesquels la vie ne serait pas apparue sur Terre. Par exemple, si la constante gravitationnelle était légèrement plus forte, les étoiles auraient une existence trop brève pour que la vie planétaire évolue; si la constante était plus petite, les étoiles ne seraient pas assez massives pour former les éléments lourds essentiels à la vie.

La vie sous la forme que nous connaissons n’aurait pas pu apparaitre dans n’importe quel modèle de cosmos. En faisant varier les valeurs des constantes fondamentales et des conditions initiales de notre univers par modélisation sur un superordinateur, les scientifiques obtiennent pratiquement tous des univers stériles. D’autant plus que, parmi les univers considérés comme possibles par les physiciens, le nôtre est dans une catégorie tout à fait marginale; si l’univers est le fruit d’une expérience aléatoire effectuée sur l’ensemble des univers possibles, sa possibilité d’émergence est égale à zéro.

«L’existence d’un réglage précis pourrait être un heureux hasard. Mais l’existence de toute une série de réglages précis (à priori) indépendants les uns des autres, reposant sur les valeurs d’une quinzaine de constantes et d’un certain nombre de conditions initiales, pose de formidables questions», nous dit l’essayiste Jean Staune.

Sans confondre ce genre de considérations avec les preuves d’un Créateur, on peut penser qu’elles sont suffisantes pour fonder l’impératif d’un examen. Un esprit en quête de la vérité, devant une telle piste, ne saurait rester totalement indifférent.

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Pascal disait que l’homme est un «néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout». Loin du chaos urbain, par une nuit dégagée, pourquoi ne pas vous coucher dans l’herbe et méditer cette parole en vous perdant dans l’infinité du ciel? «Seigneur, qu’est-ce que l’homme pour que tu en prennes souci?»


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Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.