Amy Coney Barrett
Photo : The White House / Flickr.

Amy Coney Barrett : candidate qualifiée ou choix politique ?

Le 18 septembre dernier décédait Ruth Bader Ginsburg (« RBG »), juge à la Cour suprême des États-Unis, icône du féminisme et du progressisme pour des générations d’Américains. Son éventuel remplacement par la conservatrice Amy Coney Barrett (« ACB »), rendu probable par la majorité républicaine au Sénat, est un séisme politique dans une société déjà polarisée par les évènements. Qui est Amy Coney Barrett et quelles sont les implications de sa nomination ?

Amy Coney Barrett est une juriste prolifique formée à l’Université Notre-Dame, où elle enseigne depuis plusieurs années. Reconnue pour la ferveur de sa foi catholique, Barrett est — en plus d’une professeure et juge accomplie — la mère de sept enfants, dont deux adoptés et un aux besoins spéciaux.

Décrite par le commentateur Ross Douthat comme l’éventuel symbole d’un nouveau féminisme conservateur, elle est la favorite du mouvement pro-vie, qui voit dans son parcours les meilleures chances d’un renversement jurisprudentiel au sujet de l’avortement

Un biais idéologique ?

L’expression publique de sa foi et de son engagement pour la vie suscite toutefois de vives préoccupations chez ses adversaires progressistes, qui remettent en question sa capacité à exercer de manière impartiale sa fonction de juge à cause de ses croyances.

Face à ces critiques, d’autres observateurs s’inquiètent plutôt d’une recrudescence de l’anticatholicisme. Elizabeth Bruenig, chroniqueuse au New York Times, nuance toutefois cet argument en soutenant que cette situation met davantage en relief une tension bien réelle entre l’éthos libéral propre aux États-Unis d’Amérique et les prétentions du catholicisme. 

Des questions majeures comme l’accès à l’avortement, l’état du système de santé et le résultat de l’élection à venir pourraient être grandement affectées par un tel changement à la Cour.

Si la nomination de la juge catholique est confirmée, nous assisterons sans doute à un changement radical à la Cour suprême des États-Unis. Six des neuf juges seraient alors conservateurs et relativement jeunes. Coney Barrett serait même l’une des juges les plus conservatrices du banc et seulement la cinquième femme à exercer cette fonction.

Des questions majeures comme l’accès à l’avortement, l’état du système de santé et le résultat de l’élection à venir pourraient être grandement affectées par un tel changement à la Cour.

Regard dans le rétroviseur

Pour mieux comprendre les implications de cette nomination, un retour en arrière s’impose.

En février 2016, meurt à l’âge de 79 ans Antonin Scalia, un juriste conservateur dont la notoriété n’a d’égale que celle de « RBG ». Ce juge originaire du New Jersey est surtout connu pour avoir fait la promotion de l’originalisme et du textualisme, deux systèmes d’interprétation caractérisés par l’attention donnée au sens originel et ordinaire des textes constitutionnels. Amy Coney Barrett — qui a travaillé sous la direction de Scalia — est directement liée à cette tradition.

Ce mouvement juridique est né en opposition à l’activisme judiciaire, qui se dit d’une Cour ambitieuse dépassant le strict cadre du langage constitutionnel pour en dégager un sens supposément adapté aux conditions d’une époque donnée.

Au moment du décès de Scalia, la présidence américaine est alors exercée par Barack Obama. Le président démocrate a durant son mandat déjà eu l’occasion de nommer deux juges progressistes à la Cour suprême. Il a alors pour une nouvelle fois l’opportunité de remplacer le juge conservateur par un troisième candidat progressiste et ainsi avoir un impact majeur sur l’avenir de la Cour.

En l’absence de Scalia, la Cour suprême n’est plus composée que de huit juges, séparés également entre progressistes et conservateurs. Celui qui remplacerait Scalia ferait donc pencher la balance de son côté pour les années à venir. Barack Obama ne décide toutefois pas de nommer un juge particulièrement progressiste. Il porte plutôt son choix vers le modéré Merrick Garland.

La realpolitik de Mitch McConnell 

Après la nomination présidentielle de Garland, il appartient cependant au Sénat d’entériner ou de rejeter l’entrée en poste du candidat.

Mais voilà que soucieux de mobiliser l’électorat socialement conservateur, le chef de la majorité au Sénat de l’époque, le républicain Mitch McConnell, annonce que la candidature de Garland ne sera même pas considérée. Il soutient alors qu’il appartient au successeur d’Obama de nommer le nouveau juge, puisque le pays est déjà engagé dans une année électorale.

La nomination d’un nouveau juge est donc reportée à plus tard. C’est finalement Donald Trump qui choisira en janvier 2017 le juge conservateur Neil Gorsuch pour remplacer Scalia.

Cette « règle » de ne pas nommer de juge en année électorale n’avait jamais été formulée auparavant. Elle apparait selon plusieurs observateurs uniquement dans le but de répondre à des impératifs stratégiques. L’attitude de Mitch McConnell est d’ailleurs fortement critiquée, car elle entre en contradiction avec les pratiques habituelles du Sénat, qui acceptait jusqu’alors les candidatures à la Cour suprême sur la base de la compétence et non de l’orientation idéologique.

Quatre ans plus tard, le président Trump a eu l’occasion à son tour de nommer deux juges conservateurs supplémentaires. À quelques semaines de l’échéance électorale, la mort de « RBG » met la minorité progressiste toujours plus en péril.

Cette situation limite est d’abord due au fait que Mitch McConnell a ouvert la voie à la confirmation éclair d’Amy Coney Barrett pour remplacer la défunte Ruth Bader Ginsburg. Rejetant toute accusation d’hypocrisie, il soutient aujourd’hui qu’à la différence de ce qui s’est passé en 2016, cette nouvelle nomination intervient dans un contexte où la présidence et le Sénat sont contrôlés par le même Parti républicain.

La realpolitik — que McConnell cache à peine — est à l’œuvre et il apparait vraisemblable que la nouvelle juge catholique entrera en fonction quelques jours avant la tenue des prochaines élections du 4 novembre.

Stratégie politique ou compétence juridique ?

Il est probable que ce processus aggrave encore davantage la polarisation extrême entre les partis, polarisation dont Mitch McConnell est un grand responsable. Or, même si l’attitude de ce dernier en 2016 et ses conséquences sur le processus de nomination des juges sont à déplorer, la candidature proposée mérite néanmoins d’être examinée pour elle-même. 

Si Amy Coney Barrett est effectivement une femme de foi, elle est du même souffle une juriste hautement compétente dont la réflexion et l’activité professionnelle s’inscrivent dans une tradition intellectuelle complexe et nuancée. La libre expression de sa religion dans l’espace public n’est en rien incompatible avec l’accomplissement des fonctions qu’elle souhaite désormais exercer.

En somme, même si la nomination d’Amy Coney Barrett relève manifestement d’un choix politique, elle ne s’en trouve pas moins qualifiée pour l’emploi.


Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Quand il n’est pas en congé parental, il assume au Verbe médias le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés.