Texte de Nicolas Mazellier
Regard pétillant derrière des lunettes en écailles, sourire franc et poignée de main généreuse. Tout respire la joie chez Mgr René Guay. Et pourtant, un barreau de prison est planté au centre de ses armoiries épiscopales. Un barreau qui représente son ministère en milieu carcéral, mais aussi plus largement toutes les formes d’esclavage, de pauvreté et d’oppression. Entrevue avec l’évêque du pays des Bleuets.
Comment porter la joie au cœur d’un monde atteint par tant de souffrances? En choisissant la voie de l’option préférentielle pour les pauvres, comme se plait à le rappeler souvent le pape François. Non pas une option politique ni même une option idéologique, mais un choix central au cœur de l’Évangile et dans les pas de Jésus.
Cette option a été le fil conducteur de ce chemin qui a mené l’enfant de Saint-Thomas-Dydime (au nord du lac Saint-Jean) du Grand Séminaire à la cathédrale Saint-François-Xavier de Chicoutimi en passant par le Chili et l’aumônerie de deux prisons.
Le jeune Didymien
Né en 1950 dans une famille de onze enfants, il s’est très tôt senti attiré par la dimension spirituelle de la vie. « J’aimais prier, aller à l’église. Jeune, j’ai même joué à la messe. Enfant, il m’est même arrivé de bénir les mariages de mes sœurs et de mes voisins. J’ai été aussi enfant de chœur. J’aimais servir la messe et me laisser transporter par la beauté des célébrations. Cela me permettait de profiter d’un climat de prière, de silence, d’intériorité et de communier », raconte-t-il aujourd’hui.
Malgré une certaine précarité financière, ses parents ont accepté de l’envoyer étudier au Petit Séminaire de Chicoutimi. « Devenir prêtre n’était pas le seul projet que je caressais. Je désirais surtout être attentif à ce que le Seigneur attendait de moi. » Et c’est à 20 ans, en septembre 1970, qu’il est entré au Grand Séminaire de Chicoutimi afin de vérifier si l’appel du Seigneur se confirmait en lui. Il a été ordonné prêtre le 13 juillet 1975, par Mgr Marius Paré, en l’église de sa paroisse natale.
Le Chili de Pinochet
« Mon évêque, Mgr Marius Paré, était au courant de mon désir d’être prêtre missionnaire au Chili. Le diocèse étant associé depuis le début des années 1960 avec la Société des prêtres des Missions-Étrangères, c’était un souhait que je caressais de partir avec eux pour la mission du Chili. Quatre ans après mon ordination presbytérale, Mgr Paré a consenti généreusement à mon départ.
« En décembre 1979, je suis arrivé au Chili. J’étais pas mal au courant de la situation sociale, politique et ecclésiale du Chili depuis le fameux et sanglant coup d’État militaire du 11 septembre 1973 », explique René.
L’option préférentielle pour les pauvres s’exprimait ainsi concrètement une première fois dans sa vie.
À l’époque de la dictature militaire, la population du pays était divisée. Dans les quartiers populaires de la capitale, la pauvreté et la faim se faisaient sentir. Sans liberté politique, les opposants au régime militaire devaient vivre dans la clandestinité. Une partie de la mission pastorale du jeune prêtre était ainsi d’accompagner les communautés ecclésiales de base, de travailler avec la jeunesse et avec la pastorale ouvrière et les organisations populaires en lien avec la défense des Droits humains. « Comme la majorité des missionnaires dans les quartiers populaires, j’ai dû accueillir et cacher des militants poursuivis par le régime ».
« En vérité je vous le dis, tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25,40). Voilà ma motivation la plus profonde. Voilà ce qui explique mon choix pour les plus pauvres et pour les sans-voix. L’option préférentielle pour les pauvres, je la vivais avec mes confrères missionnaires dans ces différentes manières d’être présent et solidaire avec les luttes et les espoirs d’un peuple appauvri qui souhaitait le meilleur pour ses enfants et pour sa patrie. »
Montrer un chemin d’espérance
Même si la plupart des évêques chiliens avaient choisi d’être solidaires avec les pauvres et les persécutés par le régime militaire, quelques évêques, plusieurs prêtres et de nombreux catholiques, provenant souvent des quartiers riches, se disaient amis ou proches de Pinochet. Ces divisions au sein de l’Église, présentes dans le Chili des années 1970 mais aussi, dans une autre mesure, dans l’Église d’aujourd’hui, Mgr Guay les explique simplement :
« L’Église étant au cœur du monde, il est normal que les problèmes qui affectent la vie des sociétés puissent provoquer des tensions et même certaines divisions en son sein même. Ce que je retiens de ces tensions, c’est l’importance de dénoncer ce qui menace l’humanité et de montrer un chemin d’espérance pour les femmes et les hommes de notre temps. Ce qui me questionne, ce sont les options que, comme Église et comme chrétiens et chrétiennes, nous prenons ou que nous ne prenons pas. »
« Je crois que les Québécoises et les Québécois rêvent d’une société où la personne humaine sera vraiment première et où les jeunes pourront réaliser leurs aspirations les plus profondes. » – Mgr Guay
Lors de notre entretien, j’ai aussi demandé à l’évêque de Chicoutimi quel était le regard qu’il portait sur l’évolution de la société québécoise au cours de ces 25 dernières années. La réponse a fusé : « Elle me semble vieillissante, parfois fatiguée, essoufflée et en recherche. Les rêves d’une certaine génération semblent s’être transformés en un objectif difficile à atteindre.
« Notre société avance péniblement en s’appuyant sur ses sécurités plus que sur son audace créatrice. Le rêve social se réduit souvent aux battements de cœur d’un modèle économique qui fait mal et qui blesse. Quel est le grand projet de société pour le Québec que nous aimons? L’économie semble la seule réponse qui nous est servie. Je crois que les Québécoises et les Québécois rêvent d’une société où la personne humaine sera vraiment première et où les jeunes pourront réaliser leurs aspirations les plus profondes. »
Sévère ou lucide? Lucide, sans aucun doute.
Professeur, aumônier de prison et docteur en théologie
De retour au pays à la fin d’octobre 1992, René se voit offrir les fonctions de directeur spirituel du Grand Séminaire de Chicoutimi, tout en étant chargé de cours à l’UQAC, avant de poursuivre comme professeur à l’Institut de formation théologique et pastorale du diocèse de Chicoutimi jusqu’en 2015. En 2016, il obtient un doctorat en théologie pratique de l’Université Laval.
Mais ce n’est pas cette immersion dans le monde universitaire qui allait l’éloigner de sa vocation. Pendant 20 ans, entre 1995 et 2015, il a été membre de l’équipe pastorale de l’Établissement de détention de Chicoutimi, puis aumônier de l’Établissement de détention de Québec de 2015 à 2018.
L’épiscopat et l’annonce de la Bonne nouvelle aux pauvres
Nommé évêque du diocèse de Chicoutimi par le pape François le 18 novembre 2017, l’abbé René Guay est ordonné évêque le 2 février 2018 par le Cardinal Gérald C. Lacroix en la cathédrale de Chicoutimi. Il prend alors comme devise épiscopale quelques mots forts qui font partie du texte du prophète Isaïe lu par Jésus à l’aube de son ministère :
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Luc 4, 18-19).
Quand je demande à René de résumer son itinéraire de prêtre, puis d’évêque en trois mots, la réponse vient sans hésitation : « Aimer, servir et joie. »
Et ces mots d’un jésuite de mon enfance qui me reviennent et qui rappelait aux élèves que nous étions que la volonté de Dieu était « un Homme debout, lucide et libre. » C’est incontestablement ce qu’est l’évêque de Chicoutimi! Un homme debout, lucide et libre au service des plus pauvres.