Valérie Paul-Boncour, directrice de recherche au CNRS-Paris
«Dans ma vie, la foi et la science se nourrissent l’une et l’autre.» Voilà les derniers mots de l’entrevue que m’a accordée Valérie Paul-Boncour, directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique, et aussi laïque consacrée dans la Communauté de l’Emmanuel, en France. De Paris, sa ville natale, elle nous livre un témoignage où les stricts protocoles de la recherche scientifique côtoient les joyeuses envolées de la prière d’action de grâce.
Née en 1960, Valérie est élevée dans une famille catholique pratiquante. «J’ai réalisé ma scolarité dans une école catholique tenue par des sœurs. J’y ai vécu ma première communion et ma confirmation. Avec mes parents, j’allais à la messe le dimanche. Par contre, il n’y avait pas forcément une vie de prière à la maison. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’avoir prié avec mes parents.»
L’épreuve des preuves
À l’âge de quinze ans, toutefois, ce parcours tranquille s’arrête brusquement. «J’avais une amie très proche. Notre amitié était très forte. Nous discutions beaucoup. Un jour, elle me lance que Dieu n’existe pas. Ce fut le choc! Jusqu’à ce moment-là, je n’avais pas remis ma foi en question. C’était naturel pour moi.»
Le doute venait de s’immiscer dans sa vie d’adolescente. «Je me suis demandé: “Qu’est-ce qui me prouve que Dieu existe?” Je n’allais plus à la messe tous les dimanches. Malgré tout, dès que j’en avais la chance, je parlais de la foi avec ceux que je rencontrais. Ma soif était toujours présente.»
À dix-sept ans, Valérie passe son BAC (examen de fin d’études lycéennes). Elle demande alors des conseils afin de pouvoir poursuivre des études dans le domaine de la recherche scientifique. «J’ai toujours été attirée par la science. Ma mère m’a rappelé qu’à l’âge de dix ans j’ai demandé comme cadeau un microscope! Pourtant, mes parents n’étaient pas des scientifiques.
«À l’école, j’aimais bien les mathématiques. Je suis allée plusieurs fois au Palais de la découverte, à Paris [NDLR : un musée scientifique]. J’étais abonnée à quelques revues scientifiques pour les enfants. J’ai toujours voulu comprendre ce qui ce passait dans l’univers. J’avais une attirance pour la science, mais aussi pour les grandes questions philosophiques: Comment l’univers s’est-il formé? Comment est-il constitué? En plus de ces questions, je portais en moi des interrogations métaphysiques sur l’univers.»
Valérie est dirigée vers ce que le système d’éducation français nomme les écoles préparatoires, des établissements spécialisés préparant les étudiants à passer les examens d’admission dans les Grandes Écoles dont la réputation est prestigieuse. S’amorcent alors pour la future chercheuse deux années d’études intensives. «Nous ne faisions rien d’autre qu’étudier. Nous n’avions pas le temps de faire autre chose. C’était une période durant laquelle je n’ai pas eu le temps de réfléchir sur la foi.»
Le sens de la souffrance
Deux ans plus tard, à dix-neuf ans, Valérie passe avec succès l’examen d’entrée d’une Grande École d’ingénieurs. Une cinquantaine d’étudiants fréquentaient l’établissement. Elle y fait la rencontre de jeunes qui provenaient d’une classe préparatoire tenue par les jésuites.
«Tout de suite, dit-elle, j’ai senti que la foi était présente en eux, qu’elle orientait ce qu’ils vivaient et lui donnait un sens. J’ai sympathisé avec eux. Ils m’ont proposé de participer à des activités d’aumônerie qui se tenaient après les cours. J’ai fait des pèlerinages à Chartres. Je me rendais compte que mes études scientifiques ne répondaient pas à mes profondes interrogations sur le sens de ma vie. Je cherchais quelque chose de plus. Mes études étanchaient ma soif intellectuelle, mais cela n’était pas suffisant pour moi.»
Puis, un jour, en 1982, on lui propose de vivre une retraite inspirée par les Exercices de saint Ignace. «J’avais commencé une relation amoureuse avec un étudiant. Il a choisi de poursuivre son chemin sans moi. Cela a été douloureux. Cette rupture a sans doute accentué mon interrogation sur le sens de la vie. Je portais en moi une grande soif d’aimer.»
Elle poursuit: «Au moment de commencer ma retraite, j’avais plusieurs interrogations: Si Dieu existe, où est-il? Pourquoi la souffrance? J’en portais une autre qui prouve que, malgré tout, je sentais la présence de Dieu en moi: Si je crois en Dieu, est-ce qu’il va me demander d’accomplir des choses difficiles? Cela peut paraître curieux comme question, mais elle venait de mon enfance. J’avais lu des bandes dessinées relatant la vie de saints qui avaient vécu des moments de souffrance. J’avais cette crainte.»
La peur (ir)rationnelle
Pourtant, cette drôle de question allait devenir déterminante dans son cheminement. «Au début de la retraite, je me demandais ce que je venais faire là! Puis, je me suis adaptée. Et cette interrogation a refait surface. Alors que je la méditais, une chose surnaturelle s’est produite. J’ai clairement entendu une voix intérieure me dire: “Aie confiance!” C’était tellement fort comme sentiment que je me suis mise à pleurer abondamment. Cela m’a profondément bouleversée. Je venais de vivre ma première rencontre personnelle avec Dieu!»
Alors qu’elle médite sur l’incarnation du Christ, elle comprend que les passages de l’Évangile relatant sa naissance n’étaient pas que de simples petites fictions. «J’ai pris conscience que ces histoires pouvaient être vraies, que Dieu s’était peut-être vraiment incarné sur la terre.»
Profondément remuée par ces prises de conscience spirituelles, Valérie ressent la peur qui la paralyse. «Durant la retraite, nous avons médité sur le passage de la traversée de la mer Rouge. Nous voyions dans cette histoire les Hébreux marcher au milieu de la mer Rouge et arriver sur l’autre rive sains et saufs.»
Elle se demande alors: «Est-ce que j’accepte de traverser, ou est-ce que je reste là où j’en suis dans mon cheminement de foi? Et intérieurement, j’ai pris la décision d’avancer. J’ai profité de la retraite pour me confesser. J’en suis ressortie avec la forte impression d’avoir été complètement renouvelée intérieurement. Lorsque j’ai terminé la retraite, j’étais remplie d’une joie immense. Je pouvais dire alors: Dieu existe et je l’ai rencontré!»
Pour Valérie, cette retraite a été un moment charnière dans sa vie. «Il y a eu un avant et un après», dit-elle aujourd’hui.
À vingt-deux ans, Valérie termine son Master (sa maîtrise). Bien que ses études lui demandent beaucoup, elle ne rate jamais une chance de parler de Dieu à son entourage. Plusieurs personnes lui suggèrent qu’elle pourrait devenir une sœur. «C’était un peu sous la forme de boutades. Mais cela commençait à me poser question.
Un jour, alors que je faisais mon marché, j’ai entendu une voix intérieure me dire: “Donne-moi ta vie!”»
La double vocation
«Cette parole m’a fait très peur! En fait, je me suis dit: “Ça y est! Dieu veut que je devienne une religieuse.” À ce moment-là, je n’avais pas une idée très positive de la vie religieuse.» La joie ressentie par Valérie depuis cette fameuse retraite s’estompe alors. Elle ne voulait pas devenir religieuse. Un prêtre lui conseille de relativiser cet appel, mais elle se rend compte que la question de la vocation continue à s’imposer à elle.
Ses vieilles peurs concernant la difficulté de suivre Dieu reviennent la hanter. «L’idée d’être appelée à une vie religieuse était angoissante pour moi.»
Après avoir consulté des prêtres et avoir vécu une retraite dans un Foyer de Charité, elle fait la rencontre de la Communauté de l’Emmanuel. Durant cette période d’intense réflexion vocationnelle, Valérie travaille à sa thèse dans un laboratoire du CNRS.
Toujours porteuse du désir de clarifier sa vocation, elle se demande si elle doit mettre un terme à sa carrière scientifique. Elle en vient à se confier à la responsable du groupe de prière, qui lui parle des laïques consacrés au sein de la Communauté de l’Emmanuel. En 1985, à la suite d’une retraite dans la Communauté, Valérie accepte de faire le premier pas sur le long chemin vers la vie consacrée. En l’an 2000, elle fait ses engagements définitifs au sein de l’Emmanuel.
Sa rencontre avec cette communauté nouvelle lui permet de concilier les deux vocations qui ont pris racine en elle: la vie religieuse et la vie de scientifique. «Nous sommes appelés à être des consacrés dans le monde. J’ai très vite perçu que ma vocation comprenait celle d’être témoin de l’amour de Dieu dans le milieu scientifique.» Valérie admet que sa vocation est assez inusitée. Elle n’a encore rencontré aucune autre femme consacrée qui travaille au sein d’un laboratoire.
Entre le labo et la communauté
Au début de son cheminement vers la consécration, Valérie a eu un peu de mal à faire le lien entre ces deux mondes. «Je me sentais un peu tiraillée entre le temps que je consacrais à la recherche et le temps passé au sein de ma communauté. Je me demandais comment organiser mon temps.» Très vite cependant, Valérie prend de l’assurance. Elle témoigne de sa foi auprès de ses collègues scientifiques.
Pour elle comme pour Louis Pasteur, «un peu de science éloigne de Dieu; beaucoup de science en rapproche!» Valérie discute souvent avec ses collègues non croyants. «Certains me disent: “Tu vois bien que tu n’as pas besoin de Dieu comme hypothèse.” Au contraire, pour moi, Dieu n’est pas une hypothèse scientifique. Simplement, je me dis que la création est belle et que c’est beau de la recevoir comme un cadeau. Elle nous est donnée par amour, et elle a un sens.
«La science explique les phénomènes, selon la chercheuse française. Cependant, elle n’explique pas l’origine. Il est important de donner un sens à tout cela. Il a été donné à l’homme de comprendre tout cela. Dieu nous a fait don de sa création et nous a donné la capacité de l’explorer, de la découvrir, d’aller sans cesse plus loin dans notre compréhension.»
Pour Valérie, la science n’a jamais été un absolu. «C’est un moyen de comprendre et de découvrir. Dans le domaine artistique, l’artiste va expliquer le monde avec son art. Le scientifique va le faire en essayant de trouver la relation entre les choses.»
Comme laïque consacrée, Valérie intègre sa vie de prière et d’évangélisation. «Je ne suis pas là pour faire du prosélytisme à tout prix. Il s’agit d’être disponible pour répondre aux questions de mes collègues. Au laboratoire, je suis habillée en bleu et blanc et je porte une croix. C’est une tenue qui exprime quelque chose. Cela est arrivé très souvent que des personnes me posent des questions. Nous devons toujours être prêts à rendre compte de l’espérance qui nous habite.»
NaCl: le sel de la terre
Dans l’ensemble, ses collègues réagissent très bien à sa vocation religieuse. «Un collègue m’a déjà dit: “Tu sais, je me moque un peu de toi, mais j’admire ta foi. J’admire que tu la vives à contre-courant.” Ils sont sensibles à ma démarche.» Avec d’autres, croyants comme elle, Valérie vit des rencontres de prière.
Comme laïque consacrée, elle porte ses collègues et leurs préoccupations dans sa prière quotidienne. «Le matin, je prends un temps de louange. Je confie au Seigneur les personnes que je vais rencontrer. Il m’est déjà arrivé d’avoir de très bonnes idées pour mon travail de recherche lors de ma prière!»
En 2011, elle publie, avec Dominique Lambert, docteur en sciences physiques, le livre Scientifique et croyant. Ce bouquin va lui permettre de faire la rencontre de collègues croyants qu’elle ne connaissait pas. «Des scientifiques qui ont la foi, cela n’est pas aussi rare que ce que l’on croit généralement. J’ai une jeune Libanaise en ce moment qui travaille avec moi. Elle est croyante.»
Justement, aux jeunes scientifiques qui, comme elle, sont croyants, que leur conseille-t-elle? «Ils doivent se former et approfondir la relation entre la foi et la science. Il est bon qu’ils rencontrent d’autres croyants comme eux. Je leur dis, comme Jean-Paul II: “N’ayez pas peur.”»
Valérie, donnée entièrement au Seigneur, vit sans concession sa vocation de laïque consacrée et de scientifique. Voilà une autre preuve que science et foi peuvent très bien cohabiter… au cœur de Dieu!◊
Pour aller plus loin:
Lambert, Dominique, et Paul-Boncour, Valérie. Scientifique et croyant, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2011, 209 p.