Photo : Marie Laliberté

Sans casque et sans prétention

Mine de rien, cela fait maintenant 22 ans que le groupe Avec pas d’casque roule sa bosse avec son folk contemplatif qui baigne à merveille la poésie unique de Stéphane Lafleur. Il aura fallu attendre huit ans après Effets spéciaux pour entendre le nouveau matériel qu’ils présentent dans leur tout dernier album, Cardinal. En plus du chanteur et guitariste, nous avons rencontré Joël Vaudreuil (batterie), Nicolas Moussette (basse, lapsteel) et Mathieu Charbonneau (euphonium, claviers). Petit éloge de la lenteur dans la loge de l’Impérial Bell à Québec.

[Le Verbe] Comment vous décririez l’évolution du groupe, qu’est-ce qui a changé depuis votre premier album Trois chaudières de sang jusqu’à aujourd’hui ?

[Stéphane] En nombre, c’est évolutif, mais en son aussi. Le fait d’être au début juste guitare et drum, et n’étant pas, moi, un grand guitariste, ça faisait que c’était plus le texte qui importait. Quand je ne chantais pas, il ne se passait pas grand-chose. On dirait que le fait d’élargir en nombre, ça laisse plus de place à la musique. Puis, le son s’est poli avec le temps de façon naturelle, pas forcée. Ça a fait une espèce d’évolution constante.

Qu’est-ce que ça apporte de consacrer sa vie (même si plusieurs d’entre vous ont d’autres projets) à la musique ?

[Stéphane] C’est le mot « plaisir » qui me vient en premier…

[Joël] C’est une des formes d’art qui procure un plaisir qui est instantané, ce n’est pas comme un concept que tu développes dont tu vas voir le résultat dans longtemps, on dirait qu’il y a quelque chose de très spontané, naturel, instantané.

[Nicolas] C’est aussi social, quand on se voit. Jouer avec du monde, ce n’est pas comme jouer tout seul.

[Stéphane] Il y a des étapes. Je compose des chansons tout seul, puis il y a le plaisir de faire la toune, de la construire, de la finir; ensuite le plaisir de la partager avec les autres, puis de voir ce qu’elle devient avec les autres. Puis, c’est le plaisir de la partager avec le public, de voir la réception.

Est-ce que par la musique (avant de parler des paroles), il y a une transmission, une façon de rejoindre les autres juste par la musicalité, par les sons?

[Stéphane] C’est un mode de communication, la musique. Puis, à un certain moment, tu décides que tu t’impliques un peu dans les paroles et tu te commets un peu là-dedans, même si c’est crypté souvent. Je crois beaucoup à ça, qu’il faut se commettre un peu dans son art pour qu’il y ait une communication avec quelqu’un l’autre côté, puis que ça rebondisse et que ça ait un écho chez l’autre. Faut que tu te mouilles un peu pour que les gens le ressentent. Comme auditeur, je le ressens quand la personne que j’écoute s’est commise, qu’elle me parle un peu d’elle, qu’elle se dévoile.

Se dévoiler dans nos faiblesses, dans notre fragilité, dans notre humanité en fin de compte, c’est ça le partage en fait. C’est le partage d’un état qui est celui d’être en vie, on baigne tous dans la même affaire, je vis les mêmes affaires que tout le monde. Ça me fait sourire quand les gens me disent « T’as lu dans ma tête »; non j’ai lu dans la mienne! J’ai juste lu dans la mienne et ça se trouve qu’on vit des affaires qui se ressemblent.

Avec pas d’casque

Le nom du groupe, qu’est-ce qu’il porte ? Ça évoque quoi, l’idée de ne pas porter de casque ? Se lancer dans la vie sans protection, en étant vulnérable ?

[Joël] Quand on a commencé, c’est vraiment comme ça que je le voyais. Je le voyais comme un risque, comme se mettre en danger en proposant quelque chose même si on ne sait pas à quel point c’est prêt à être partagé. Je trouvais que c’était une belle métaphore de ce qu’on faisait et de la confiance qu’on avait à l’époque face à notre talent musical. Le fait de se lancer, de faire des shows, alors qu’on était insécures, je trouvais que le nom du band représentait bien cette affaire-là.

[Stéphane] Puis en même temps, là on vient d’en parler plus longtemps que le temps que ça a pris pour trouver le nom du band. [rires]

[Joël] Trouver un nom de band, ça prend dix minutes, après ça tu y réfléchis pendant 22 ans…

Il y a une chanson du dernier album qui s’appelle « Accepter le mystère ». Dans la création d’une chanson, n’y a-t-il pas quelque chose qui relève justement du mystère, dans l’inspiration ou dans la chimie qui passe ?

[Stéphane] Complètement, tu as tellement raison. Pourquoi cette phrase-là « pop » un matin, puis qu’elle se mêle à une mélodie ? Il y a beaucoup de mystère là-dedans. Quand les gens te demandent d’expliquer le processus de création, il y a un bout que je peux expliquer, mais il y a un bout qui ne m’appartient pas, je ne sais pas c’est quoi. Pourquoi tu vas sur cet accord-là et que tu penses que ça va bien aller avec cette phrase-là ? Il n’y a pas de logique, pas de raison rationnelle à ça.

[Mathieu] Tu passes d’un sentiment à l’autre, puis les accords suivent… Ça dépend aussi de comment tu te sens cette journée-là. Parfois, on se rencontre tous les quatre pour jouer les chansons que Steph nous a envoyées, et là il y a quelque chose qui se passe, ou des fois non. C’est mystérieux quand même.

[Joël] C’est mystérieux aussi le moment où tu considères que la proposition, c’est ça. Il y a de quoi de beau là-dedans, dans le sens où tu pourrais travailler sur une toune pendant trente ans et ne jamais la sortir. Il y a de quoi de beau dans le fait d’accepter la toune à un moment où tout le monde est d’accord. C’est un peu naturel, il n’y a pas de combat : c’est accepter que là, elle est rendue à l’étape où il faut qu’elle soit.

Dans tes textes, Stéphane, tu évoques souvent des images surprenantes. As-tu l’impression de « faire du sens » un peu par accident?

[Stéphane] Ça a du sens pour toi quand telle chanson croise ton chemin à toi. Une chanson peut avoir du sens pour toi et pas pour la personne à côté. Une toune et un auditeur, c’est une rencontre. Pourquoi tu aimes plus cette chanson-là et moins celle-là, pourquoi celle-là te parle plus, c’est parce que ce texte-là arrive à ce moment-là dans ta vie. Il y a des albums que j’ai écoutés et détestés, et quelques années plus tard, je les réécoute et là, le timing est bon.

Je trouve ça important de laisser de l’espace à l’auditeur. Surtout dans le dernier disque, il y a quelque chose de l’introspection. Souvent, les gens veulent que j’explique les chansons alors que moi, je préfère entendre l’explication des gens. Et je trouve que l’explication généralement n’est vraiment pas très loin de la mienne, mais dans des mots différents. C’est toujours plus intéressant que ce que moi j’en pense. Si toi, tu as décodé quelque chose là-dedans qui te parle, c’est plus riche, je trouve. C’est le bout que je ne contrôle pas et c’est le bout que je trouve le plus l’fun dans le fond.

[Joël] Si tu expliques trop, ça tue le bout de chemin qui lui appartient [à l’auditeur], qu’il faut qu’il fasse pour se l’approprier.

Votre rythme est souvent très lent. C’est quoi votre rapport à la lenteur ?

[Joël] Surtout pour le dernier disque, c’était un peu notre souhait.

[Stéphane] Que ça soit un peu homogène, que ça s’écoute du début à la fin comme une longue chanson. Les textes parlent beaucoup de ça [la lenteur]. Pour moi, c’est un combat de tous les jours d’essayer de ralentir ma vie. Je n’y arrive pas. On dirait que le seul moment où j’y arrive, c’est quand je suis en train de jouer de la musique. Si la toune est lente en plus, ça me permet de souffler un peu puis de ralentir.

Merci, les gars.

Photo : Marie Laliberté

Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie est maintenant journaliste chez nous! Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu'elle découvre sans cesse.