Esprit Saint
Illustration : Andre Laame

Raniero Cantalamessa : «Se noyer dans un océan de lumière»

Frère capucin, prêtre, théologien, professeur et auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, le cardinal Raniero Cantalamessa a nourri la vie spirituelle des trois derniers papes et de toute l’Église en tant que prédicateur de la Maison pontificale depuis 1980. La figure de l’Esprit Saint est sans doute ce qui unifie l’ensemble de la vie et de la mission de ce grand promoteur du renouveau charismatique catholique. Le Verbe l’a questionné sur le «grand méconnu» du christianisme qui pourtant nous conduit «dans la vérité tout entière» (Jn 16,13).

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Le Verbe: Selon saint Séraphin de Sarov, la véritable fin de la vie des chrétiens est d’acquérir l’Esprit Saint. Néanmoins, pour plusieurs, le Saint-Esprit demeure une réalité mystérieuse, voire abstraite. Quelles images ou quels symboles peuvent nous aider à mieux le comprendre et l’acquérir?

Cardinal Cantalamessa: Le Saint-Esprit n’est pas une entité concrète. Dans la Bible, nous ne trouvons que des images et des symboles qui expriment ses fonctions: le vent – d’où dérive son nom hébreu ruah –, la lumière, la colombe, le feu, l’eau, le parfum. Même le nom «Paraclet» n’indique qu’une de ses fonctions, celle de défenseur et de consolateur. Dans le grec du Nouveau Testament, son nom même, pneuma, est un neutre! De tous les symboles retenus, celui qui lui convient le mieux est peut-être la lumière. La lumière illumine tout et suscite des couleurs différentes selon l’endroit où elle atterrit, sans qu’elle soit visible, tout comme le Saint-Esprit.

«Le vrai but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition du Saint-Esprit de Dieu. Quant à la prière, au jeûne, aux veilles, à l’aumône ou à toute autre bonne action faite au nom du Christ, ce ne sont que des moyens pour l’acquisition du Saint-Esprit.» – Saint Séraphin de Sarov

L’Esprit est comme le vent, le feu, la lumière, etc. Mais c’est avant tout une personne divine, n’est-ce pas?

Oui et nous pouvons, nous devons même, continuer à parler du Saint-Esprit comme d’une «personne». Non pas cependant, suggérait le théologien Heribert Mühlen, comme la troisième personne du singulier de la Trinité, mais comme la première personne du pluriel! En d’autres termes, le Saint-Esprit serait le «nous» du Père et du Fils, l’amour qui les unit. En ce sens, la Trinité ne s’exprime pas en «Je – Vous – Lui», mais en «Je – Vous – Nous». Loin d’être un «appendice» de la Trinité, le Saint-Esprit en est le cœur même!

Pourquoi l’appelle-t-on «Saint-Esprit»? Qu’est-ce que ce nom nous dit de sa nature ou de sa mission?

Selon saint Augustin, son nom propre n’est pas à proprement parler «Saint-Esprit». Le Père et le Fils sont également saints et également esprit! Son nom distinctif est plutôt celui de «Don». Dans la Trinité, il est le don que le Père fait de lui-même au Fils et que le Fils fait de lui-même au Père. Dans l’histoire du salut, il est le don que le Père et le Fils font ensemble aux croyants et que nous appelons «grâce». C’est pourquoi il est dit que tout baptisé est un «temple du Saint-Esprit», et saint Paul nous met en garde de ne pas «attrister le Saint-Esprit qui est en nous» (Ép 4,30).

«L’Esprit est vraiment le lieu des saints, et le saint est pour l’Esprit un lieu propre, puisqu’il s’offre à habiter avec Dieu et est appelé son temple.» – Saint Basile

Peut-on l’invoquer même si l’on n’est pas chrétien?

Bien sûr qu’on peut invoquer le Saint-Esprit sans croire en la Trinité! Cependant, ce n’est plus le Saint-Esprit comme nous, chrétiens, le comprenons, c’est-à-dire l’amour incréé du Père et du Fils. Ce sera soit la divinité en général, puisque «Dieu est Esprit» (Jn 4,24), soit le principe d’inspiration, comme pour les artistes, l’équivalent de la muse pour les poètes.

Même si nous savons qu’ils existent, les dons de l’Esprit demeurent énigmatiques pour plusieurs croyants. Que sont-ils et à quoi servent-ils?

Les fameux sept dons du Saint-Esprit deviennent moins énigmatiques si – comme je suis convaincu que nous devrions le faire – nous les prenons pour ce qu’ils étaient dans la Bible et dans la tradition primitive de l’Église, c’est-à-dire comme rien d’autre qu’une catégorie particulière de charismes, c’est-à-dire de dons gratuits de Dieu, en particulier les charismes destinés, dans la Bible, au futur Roi-Messie (Isaïe 11) et, dans l’Église, à ceux qui exercent un ministère pastoral de gouvernement. La manière la plus sure de comprendre ce que sont les dons de l’Esprit est de relire ce que dit la constitution Lumen gentium de Vatican II sur les charismes. Cela mérite d’être rappelé, compte tenu de l’actualité des charismes à une époque où est mise de l’avant l’idée de la synodalité et de la participation des laïcs – hommes et femmes – à la vie et au gouvernement de l’Église:

«L’Esprit Saint ne se borne pas à sanctifier le Peuple de Dieu par les sacrements et les ministères, à le conduire et à lui donner l’ornement des vertus, il distribue aussi parmi les fidèles de tous ordres, “répartissant ses dons à son gré en chacun” (1 Co 12,11), les grâces spéciales qui rendent apte et disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au renouvèlement et au développement de l’Église, suivant ce qu’il est dit: “C’est toujours pour le bien commun que le don de l’Esprit se manifeste dans un homme” (1 Co 12,7). Ces grâces, des plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être reçues avec action de grâce et apporter consolation, étant avant tout ajustées aux nécessités de l’Église et destinées à y répondre» (LG, 12).

«La vie morale des chrétiens est soutenue par les dons du Saint-Esprit. Ceux-ci sont des dispositions permanentes qui rendent l’homme docile à suivre les impulsions de l’Esprit Saint. Les sept dons du Saint-Esprit sont la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte de Dieu. Ils appartiennent en leur plénitude au Christ, Fils de David (cf. Is 11,1-2). Ils complètent et mènent à leur perfection les vertus de ceux qui les reçoivent.
Ils rendent les fidèles dociles à obéir avec promptitude
aux inspirations divines.»
Catéchisme de l’Église catholique, nos 1830-1831

Vos armoiries et votre devise épiscopale Veni Creator Spiritus font référence à l’Esprit Saint. Quel rôle a-t-il joué dans votre histoire personnelle et quel don avez-vous spécialement reçu de lui?

J’avais appris tout ce que je vous ai dit jusqu’à présent sur le Saint-Esprit au cours de mes études de théologie. Ce qui m’a fait non seulement comprendre, mais vivre tout cela, c’est l’expérience de l’Esprit faite dans le renouveau charismatique et en particulier le baptême dans l’Esprit. Maintenant, je comprends ce que Jésus voulait dire quand, dans ses discours d’adieu, il a promis que le Paraclet conduirait à toute la vérité sur lui, qu’il serait avocat, conseiller et surtout qu’il prendrait ce qui lui appartient et nous le donnerait. Le plus beau don que m’a fait le Saint-Esprit, en plus de renouveler mon amour pour la Parole de Dieu et la prière, a été de me faire comprendre ce que signifie avoir une relation personnelle avec le Christ comme «mon Seigneur».

Avez-vous un symbole préféré pour vous représenter l’Esprit Saint? Comment l’imaginez-vous quand vous le priez? Lui donnez-vous un visage humain?

J’ai renoncé à me faire une image du Saint-Esprit, du moins lorsque je le prie. Plus qu’une image, Jésus nous a suggéré un phénomène naturel qui me semble le plus éloquent, celui du vent: «Le vent souffle où il veut: tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit» (Jn 3,8). Tout comme le vent n’est connu que par les effets qu’il produit – les arbres qui se courbent, les vagues qui s’élèvent, les nuages ​qui se rassemblent –, il en est de même de l’Esprit. Tout comme le vent existe sous deux formes – comme l’air qui tourbillonne à l’extérieur et comme le souffle doux qui entre en nous –, de même il en va pour le Saint-Esprit. Il est significatif que le jour de la Pentecôte, l’Esprit se manifeste sous la forme d’un «vent impétueux», alors que, le soir de Pâques, il est décrit comme un souffle léger que le Ressuscité insuffle aux apôtres. Cela nous dit que l’Esprit Saint est en même temps la force de Dieu et la tendresse de Dieu, celui qui vient «au secours de notre faiblesse» (Rm 8,26) et celui qui comble notre solitude dans le monde.

«Si vous voulez vivre de l’Esprit Saint, conservez la charité, aimez la vérité, désirez l’unité, et vous atteindrez l’éternité.»
– Saint Augustin

De nos jours, divers courants spirituels, comme le New Age, parlent abondamment d’un certain esprit dit «universel» ou «source d’énergie». En quoi cet esprit est-il similaire ou différent de l’Esprit Saint de la révélation judéo-chrétienne?

Dans la recherche de «spiritualité» propre au New Age et à de nombreux autres courants similaires, on peut voir une aspiration positive à surmonter le matérialisme théorique et pratique de notre monde postmoderne. Un désir assez superficiel et stérile, puisqu’on n’a pas la moindre intention de renoncer à ce que nous offre «la chair». Mais la différence la plus radicale est autre. Le Saint-Esprit des chrétiens est «créateur». L’esprit – à écrire ici avec une lettre minuscule – du New Age fait partie, lui, de la création, quand ce n’est pas de l’imagination! Cet esprit créé est un postulat humain, quelque chose de désiré plutôt que de réellement donné. Malgré tout, il faut reconnaitre que Dieu «n’éteint pas une mèche qui couve ni ne brise un roseau meurtri», comme le dit l’Écriture (Is 42,3). En d’autres termes, Dieu peut utiliser tout ce qui est accompagné d’un authentique désir de bonté et d’une recherche de la vérité… même le New Age!

«Viens, Esprit Créateur, visite les âmes de tes fidèles, comble de la grâce d’en haut les cœurs que tu as créés.»
– Extrait du Veni Creator Spiritus

À la suite du concile Vatican II, plusieurs groupes dits «charismatiques» ont développé une spiritualité fortement marquée par une prière à l’Esprit Saint et l’exercice de ses charismes. Pourquoi Dieu a-t-il suscité ces mouvements et comment peuvent-ils influencer positivement toute l’Église?

J’aimerais répondre à votre question en vous partageant l’expérience réelle de mon ami Johannes Hartl, qu’il m’est arrivé de relire ces derniers jours. Elle parle mieux selon moi que toute explication, et elle est loin d’être un cas isolé. Lisons-la directement de sa plume:

«Tout s’est passé un soir d’été lors d’une conférence du renouveau charismatique catholique. Non pas que je sois heureux d’être là, et encore moins de chercher Dieu: je suis déjà chrétien, quoiqu’un adolescent rebelle qui fait ce qu’il veut. Je ne veux rien écouter ni participer à quoi que ce soit. Pendant le sermon et le chant, je sors jouer au frisbee avec mon ami, ou je m’assois sur le dernier banc, prenant l’attitude d’un observateur désintéressé. Ce sont des gens sympas, surtout les filles. Des gens normaux et pourtant si différents: mains levées, visages radieux… Plus pour échapper à l’ennui qu’autre chose, au moment de l’appel, je me dirige vers l’autel. Ce qui a suivi a divisé ma vie en deux parties pour toujours. Un jeune homme a posé sa main sur mon épaule et a dit quelques prières impromptues. J’ai dit “Amen” et je suis reparti. Je fais quelques pas et, chose étrange, tout est devenu différent. Pas de vision, d’extase ou de “voyage”. Juste une certitude absolue. Une joie infinie et douce qui a fait disparaitre pendant quelques heures tout le reste. C’est comme tomber amoureux, mais d’une manière infiniment plus profonde et plus calme. J’ai eu la certitude absolue d’avoir rencontré une personne, une beauté qui n’est pas de ce monde. Mon ami a eu la même expérience. Nous nous sommes embrassés en murmurant: “C’est donc ça le Saint-Esprit!”» (Hartl, 2018; traduction libre).

Cela fait une vingtaine d’années que cet adolescent rebelle a fondé, à Augsburg en Allemagne, une maison de prière (Gebetshaus Augsburg) où l’on prie, en présentiel ou en ligne, 24 heures sur 24, 365 jours par année. Les réunions ouvertes attirent plus de dix-mille personnes chaque fois, en majorité des jeunes. Tout cela en pleine harmonie et collaboration avec l’Église catholique locale et avec les autres réalités chrétiennes de la région. J’ai été invité à l’une de ces rencontres ouvertes en 2018 et j’ai eu la preuve qu’il est possible encore aujourd’hui d’être «fascinés par Jésus Christ», comme disait le titre de la rencontre.

«Il est impossible d’expliquer combien le Seigneur nous aime. C’est seulement par le Saint-Esprit que cet amour peut être connu, et l’âme, incompréhensiblement, ressent cet amour.»
– Saint Silouane

Il est souvent question d’être à l’écoute de l’Esprit en ce moment, notamment en ce qui a trait aux travaux du synode sur la synodalité. Comment s’assurer que c’est réellement l’Esprit Saint qui nous parle, et non une voix simplement majoritaire ou idéologique, d’un côté comme de l’autre?

Il n’existe aucun critère universel permettant de distinguer un esprit d’un autre. Pour nous catholiques, un élément déterminant, en fin de compte, est l’obéissance à l’autorité compétente, et finalement au pape, lorsqu’il se prononce dans la plénitude de son pouvoir. À côté de ce critère, il y a la convergence d’une majorité, lorsque celle-ci est obtenue à partir d’un dialogue franc et ouvert, comme cela a été le cas lors de la récente assemblée synodale de Rome, et non le résultat de pressions extérieures à la foi et à l’Église. Mais comme le dit Jésus, la preuve de la bonté ou non de l’arbre peut être connue par le fruit qu’il produit. La foi de l’Église se comporte comme l’eau de la mer: elle retient ce qui est vide à sa surface, tandis qu’elle attire vers son fond ce qui a de l’épaisseur et de la consistance. Comme Jésus nous en prévient encore dans l’Évangile, il ne faut pas se laisser entrainer par l’envie de séparer prématurément le bon grain de l’ivraie.

«Saint Thomas d’Aquin, parlant du Christ comme tête du Corps de l’Église, compare le Saint-Esprit à son cœur, parce qu’il “vivifie et unifie invisiblement l’Église” comme le cœur “exerce une influence à l’intérieur du corps humain”.»
– Saint Jean-Paul II

Quel sera le rôle spécifique de l’Esprit dans le Royaume des Cieux? Nous pensons moins souvent à lui lorsque nous imaginons l’au-delà, et pourtant, il ne sera pas moins présent dans la vie des élus pour l’éternité.

Comme je vous l’ai dit, le Saint-Esprit est l’amour qui coule éternellement dans la Trinité du Père au Fils et du Fils au Père. Le Père, écrit saint Augustin, est l’amant, le Fils le bienaimé et le Saint-Esprit l’amour qui les unit. Dire «amour», c’est dire bonheur, lumière, beauté, douceur, car l’amour, à sa source, est tout cela et au plus haut degré. Ce sera comme se noyer dans un océan de lumière. Mais comme le dit Giacomo Leopardi, l’un de nos plus grands poètes italiens, en parlant de l’Infini, «le naufrage est doux dans cette mer». On ne peut pas embrasser l’océan, mais on peut faire quelque chose de mieux, c’est-à-dire plonger dedans et se laisser envelopper par lui. Il en sera de même de l’amour de Dieu. Le Saint-Esprit, c’est l’«air» qu’on respire là-haut.

«Comme une belle colombe blanche qui sort du milieu des eaux et vient secouer ses ailes sur la terre, l’Esprit Saint sort de l’Océan infini des perfections divines et vient battre des ailes sur les âmes pures, pour distiller en elles le baume de l’amour.» – Saint Jean-Marie Vianney

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Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.