Photo : Annie Simard

Marthe Laverdière, humoriste en service

Il faut vivre sous une roche pour n’avoir jamais entendu les envolées comiques de Marthe Laverdière sur les réseaux sociaux, à la télé ou à la radio. La Bellechassoise, connue pour ses capsules horticoles pour le moins originales (et un brin grivoises), cumule une dizaine de livres et sillonne le Québec depuis 2016 pour présenter des spectacles, des chroniques et des conférences. Le Verbe a fini par se tailler une place dans son agenda hyperchargé.

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Le Verbe : C’est quand même un certain défi d’interviewer quelqu’un comme toi. Tu es tellement transparente qu’on a l’impression que tu as déjà tout dit.

Marthe Laverdière : Oui, ça se peut. Je n’ai pas peur de dire ce que je pense et ce que j’ai vécu. Je me dis que tout le monde a le droit de penser ce qu’il veut.

Mais j’imagine que tu as quand même un jardin secret ?

Pas tellement, non. Plus maintenant. Ça peut être dangereux, les jardins secrets, parce que souvent, ce sont des masques qu’on se met. J’ai vécu avec des masques longtemps et ça m’a amenée dans une dépression. Si – dans le contexte d’une entrevue, par exemple – une journée je me sens fragile et que je n’ai pas envie de livrer cette fragilité, je le dis, tout simplement. Ce n’est pas malaisant. C’est se respecter. Quand on se respecte, les gens nous respectent. Même en direct à la télé, on le dit puis on passe à autre chose. On discute, on ne sauve pas le monde…

Dans ton livre autobiographique 100 % nature : confidences, tu parles assez ouvertement de ta foi. J’imagine qu’on ne te pose pas tant de questions à ce sujet-là ?

Il n’y en a pas beaucoup qui en parlent, pour différentes raisons. Je pense que beaucoup de gens ont un malaise à parler de leurs croyances. C’est plus facile en société de parler de la pluie et du beau temps, mais aussitôt que tu parles de tes croyances, tu rentres dans ton intimité. Beaucoup ne seront pas capables d’y aller. Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas la foi. Moi, ça ne me dérange pas. J’ai ma médaille miraculeuse dans le cou; je ne l’enlève pas quand je passe à la télé.

La première fois que j’ai entendu parler de toi par ton curé, il m’a dit qu’il y avait une histoire sainte dans ta famille.

Oui. J’ai eu un père qui a prié son chapelet tous les jours. Il nous a élevés dans la foi. Mes sœurs et moi, on a été dans la pastorale, on a fait la catéchèse aux enfants. Je pense que c’est important: quand tu as reçu la foi et que tu as fait cette rencontre, tu veux la transmettre. On l’a tous, cette rencontre, un jour ou l’autre, même si c’est au dernier moment de notre vie. Quand on a rencontré Dieu, on veut en parler, c’est certain.

Toi, à quel moment as-tu fait cette rencontre ?

J’en ai eu plusieurs. Voir mon père prier, lui parler [à Dieu], ça m’intriguait. Après ma dépression, j’ai réellement ressenti que Dieu m’aimait énormément. Moi, je suis une tête forte. J’ai eu besoin d’avoir de grosses claques dans ma vie pour qu’il m’arrête. Je suis hyperactive. Je pense que les hyperactifs ont de la misère à s’arrêter pour essayer de comprendre ce qui leur arrive. Il faut frapper des murs.

Quand j’ai su que ma petite-fille Jeanne était malade [atteinte du syndrome de Rett], je ne pouvais pas concevoir qu’elle naisse gravement handicapée, presque légume. Je priais pour qu’elle soit guérie. Puis, à un moment donné, j’ai entendu à l’intérieur de moi : « Marthe, tu veux que je la rende imparfaite ? Qu’elle lutte toute sa vie pour être parfaite ? » Et je me suis dit : « Maudite épaisse ! Elle l’a eu gratis ! Elle est parfaite, elle ne fera jamais de mal. Puis toi, tu veux en faire quelqu’un qui va devoir se battre pour lutter contre ses défauts, ses péchés… » Le reste, c’est certain que c’est difficile. On doit s’occuper d’elle et on a de la peine. Mais elle l’a eu gratis… C’est beau !

« Quand on a rencontré Dieu, on veut en parler. »

Dieu merci, j’ai vécu ma dépression avant Jeanne, parce que là, tu peux être sûr que je ne serais plus allée à la messe. Quand Jeanne est arrivée, j’ai trouvé ça dur. Quand on est un peu à l’écoute, Dieu nous ramène. Parfois, c’est de nous complimenter, et parfois, c’est de nous corriger. C’est un père, il nous guide. Je pense que Jeanne devait venir au monde pour que je comprenne ce qui allait m’arriver : j’allais faire une fondation pour les enfants malades comme elle.

Ç’a été Jeanne, ta dernière rencontre avec Dieu ?

Je le rencontre tous les jours. Après les spectacles, je vais voir des gens pour leur parler, pour prendre des photos. La moitié d’entre eux viennent se confier : « J’ai un enfant malade, mon conjoint va mourir… » Je vois Dieu là-dedans et je me dis que ces gens-là ont juste besoin d’une oreille pour les écouter. Je leur dis tout le temps : « Ça va bien aller. Peut-être que tu ne comprends pas, mais tu vas finir par comprendre. »

On est la main du bon Dieu, ses oreilles. Parfois, les gens me rappellent que j’ai lancé une fondation. Je leur dis qu’on est aussi le portefeuille du bon Dieu. Ça n’a pas d’importance : Dieu passe à travers chacun de nous.

Avant Jeanne, je me disais que j’étais une personne très altruiste parce que j’écoutais, mais il y a une marche – un escalier, en fait – entre demander à quelqu’un comment ça va et t’impliquer. Jeanne m’a montré à passer de l’un à l’autre. Sainte Marthe, c’est la patronne des servantes, parce qu’elle était toujours occupée. J’ai de la misère à dire mon chapelet – je m’en confesse –, mais Dieu me veut dans le service et j’ai la patronne pour ça. Et le service, parfois, c’est d’aller donner un spectacle.

Avec tout ce que tu fais, te sens-tu fatiguée ?

Je sais pourquoi je le fais : on ramasse beaucoup d’argent pour la fondation. On savait, mon mari et moi, dans quoi l’on s’embarquait. On sait que ça ne durera pas jusqu’à ma mort, donc on y va à fond. C’est certain qu’il y a de la fatigue, mais Dieu m’aide en chien. J’écris plein de livres, je fais plein de spectacles, puis ce n’est pas mon métier ! J’ai tellement conscience qu’il m’aide à faire ça pour les enfants que je ne me casse pas la tête. Je me dis qu’il va s’arranger avec ça et que, quand il jugera que c’est assez, ce sera assez.

Je me dis qu’un jour je vais être couchée dans un lit puis Dieu va me demander : « Qu’est-ce que tu as fait, Marthe, pour l’autre, avec ce que je t’ai donné ? » Il ne me demandera pas mon chiffre d’affaires… Je pense qu’il faut trouver dans la vie ce que Dieu nous a donné. Ce don est associé à ce qu’il va nous demander à l’autre bout.

Dieu envoie l’occasion. Si, en tant qu’être humain, tu as peur parce que tu es fatigué, que tu ne veux pas ceci ou cela, et que tu ne la prends pas, il ne peut pas passer par toi. En ce moment, la serre, c’est mon plus gros sacrifice – avec la famille, que je vois moins – parce que tout ça, ce n’est pas ma vraie vie. Ça m’est arrivé, mais je n’ai jamais voulu faire ça. Je n’ai jamais demandé ça. Tout ce que j’ai vécu dans ma vie, c’était pour me préparer à ça. C’est correct d’être passée par plein de choses qui m’ont fait mal. On regarde la broderie d’un côté et l’on ne trouve pas ça beau, mais Dieu voit le tout de ce qu’il veut faire. Ça ne me manquera pas quand ça va finir, parce que j’aurai une vie après.

Plusieurs, quand ils pensent à toi, ont d’abord en tête tes grivoiseries. Ça ne te dérange pas que les gens restent avec cette image, alors que tu as tellement plus à dire ?

Ha ! ha ! Les grivoiseries ! Je ne fais que parler de choses horticoles; le reste, c’est dans leur tête ! Non. Les gens découvrent l’autre Marthe de plus en plus, que ce soit par les livres ou les entrevues. Mais ce côté humoristique fait du bien. L’être humain est un être sexuel. On peut-tu en parler normalement ? Il faut dédramatiser la vie. Un moment donné, arrêtons ! On vieillit, la peau nous plisse, on blanchit. Quelqu’un m’a dit l’autre jour : « Marthe, c’est le désert en bas! » Une autre en ménopause me dit : « Je dégoutte de partout. » Ben qu’est-ce que tu veux ? Un jour, tu vas être couchée dans un lit d’hôpital et tu vas te dire que tu aimais ça dégoutter. Qu’est-ce que tu veux ? C’est ça !

Photos : Annie Simard

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.