Louis Dionne
Photo: Le Verbe

Louis Dionne: du bistouri aux soins de fin de vie

Je reçois, il y a quelques mois, le courriel d’un homme qui me propose de publier un texte sur la vie après la mort: «C’est une sœur augustine qui m’a suggéré de vous l’envoyer», affirmait-il.

Sans aucune présentation de sa part, je nageais en plein mystère. Question de savoir à qui j’avais affaire, je décide donc d’interroger l’auteur sur son pedigree. Je n’étais pas peu honoré d’apprendre qu’il s’agissait du cofondateur de la Maison Michel-Sarrazin. Je l’ai été encore plus qu’il accepte mon invitation à le rencontrer, et ce, au lieu même qui justifie son renom.

Une médecine en transition

Natif de Rimouski, Louis Dionne est reçu médecin-chirurgien en 1957.

C’est durant sa résidence qu’il se découvre « la vocation de traiter uniquement les cancéreux », me dit-il. L’Hôtel-Dieu, alors encore administré par les Augustines, deviendra son deuxième chez-soi. C’est d’ailleurs là aussi qu’avait pratiqué Michel Sarrazin, l’un des premiers chirurgiens de la Nouvelle-France.

En pleine Révolution Tranquille, il partira dans les grandes villes du monde pour développer son expertise. Il sera nommé, en 1964, chirurgien spécialisé en cancérologie.

«C’était un patient sur deux qui mourrait de sa maladie», affirme Louis Dionne. Comme cancérologue, il devait assumer de plus en plus la responsabilité de patients en phase palliative et terminale et les médecins recevaient très peu de formation en soins aux mourants.

«Le malade avait le sentiment d’être abandonné. Je vivais un profond malaise, un sentiment d’impuissance lorsque je devais leur annoncer que la médecine avait échoué à freiner l’évolution de leur maladie et qu’il fallait arrêter les traitements devenus inutiles, voire nuisibles.»

Les visites n’étaient autorisées que deux fois par jour : deux heures en après-midi et deux heures en soirée. M. Dionne en rajoute : «Une femme faisait le pied de grue devant l’ascenseur pendant que son mari décédait parce qu’elle attendait l’heure des visites.»

Il y avait toujours les religieuses, «les sœurs de la mort», qui acceptaient généreusement de venir auprès des patients lorsqu’ils étaient seuls, et parfois même la nuit.

Son chemin de Damas

C’est à Londres, en 1969, que Louis Dionne entend parler d’une maison pour les mourants, la toute première au monde. Le St.Christopher’s Hospice, fondé deux ans auparavant par Cicely Saunders, aura été pour lui une révélation. Cette travailleuse sociale considérait que les cancéreux étaient laissés pour compte. Elle s’est donc lancée en médecine et a ouvert cet hôpital pour soigner les personnes en phase terminale.

De retour au Québec, Louis Dionne passera les prochaines années de sa vie à tout mettre en œuvre pour fonder, avec sa femme Claudette, Jean-Louis Bonenfant et quelques autres, une version québécoise de St.Christopher.

La suite, on la connait. Depuis 1985, plus de mille personnes (médecins, infirmières, etc.) auront été formées à Michel-Sarrazin et près de 350 bénévoles y œuvrent chaque année.

«C’est très curieux», affirme M. Dionne, «nous avons créé une maison pour les mourants et on a influencé le reste de la médecine». Il me cite en exemple le petit salon qui permet à la famille d’attendre lorsqu’un proche est aux soins intensifs, des repas qui peuvent être offerts en trois services, les infirmières pivots en oncologie qui ont une personne à charge, etc.

«Nous voulons que les gens vivent leur fin de vie et non pas qu’ils meurent leur vie»

Thérèse Vanier, qu’il avait rencontrée à St.Christopher, s’était un jour exclamée: «quand la médecine nous dit qu’il n’a plus rien à faire, tout reste à faire».

Ce qui pourrait être interprété comme de l’acharnement à maintenir quelqu’un en vie est en fait tout l’inverse. Il s’agit de déployer tous les moyens humanistes possibles pour accompagner la personne, à partir du moment où elle ne peut plus être guérie, jusqu’à la fin de sa vie. «Nous voulons que les gens vivent leur fin de vie et non pas qu’ils meurent leur vie», rajoute Louis Dionne.

Éloge des soins palliatifs

Dans notre discussion, je comprends qu’il existe trois phases dans l’accompagnement d’une personne malade : la phase curative, la phase palliative et la phase terminale :

La phase palliative commence à partir du moment où le patient ne peut plus être guéri, mais rien ne dit qu’il décédera dans la prochaine année. Les soins palliatifs intègrent donc tout le suivi social, économique, psychologique et même spirituel qui peut être offert à la personne.

Le cancérologue d’expérience m’explique : «Non seulement la personne malade doit être accompagnée, mais aussi la famille, qui est le premier analgésique à la souffrance!».

«Nous proposions le retour au mourir à la maison, en famille:  À défaut de mourir chez soi, mourir à la maison Sarrazin comme chez soi, accompagné de ses proches, disions-nous. C’était un changement de paradigme rappelant le mourir à domicile d’autrefois. »

Louis Dionne me raconte: En 1998, alors que le Musée des Beaux-Arts de Québec donnait à voir les sculptures du célèbre Rodin, une femme qui séjournait à la maison Michel-Sarrazin a demandé de s’y rendre. Un coup de fil est passé à M. Porter et voilà que la femme a pu avoir un accès singulier à l’exposition, hors des heures d’ouverture. Elle est décédée deux jours plus tard.

«C’est ça les soins palliatifs, mettre la personne au centre. La garder consciente tout en lui faisant progressivement perdre le souvenir même de la douleur.»

On trouve aujourd’hui des services de soins palliatifs dans la majorité des hôpitaux et on compte trente-quatre maisons au Québec et ailleurs au Canada.


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James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.