L’amour et la sexualité nous lient les uns aux autres. Ces liens, qui souvent nous attachent, nous contraignent et nous retiennent, sont-ils autant d’entraves à la liberté? Ou, au contraire, peuvent-ils devenir le moyen, voire le lieu privilégié d’expression de cette liberté? Rencontre avec Katerine Perrault, diplômée en psychologie et formée à l’Institut Jean-Paul II. Elle est actuellement co-directrice du centre diocésain pour le mariage, la vie et la famille à Montréal.
Le Verbe: Peut-on dire que notre société est aujourd’hui vraiment libre sexuellement?
Katerine Perrault: Peu importe la manière dont on comprend la liberté, la majorité des gens ne sont pas libres sexuellement. Si l’on comprend la liberté comme une absence de contraintes, alors cela voudrait dire que nos sentiments et nos désirs superficiels, en constant changement, ne nous tiennent pas à leur merci eux non plus. Mais selon la mentalité actuelle, être libre sexuellement signifie justement n’avoir aucun autre maitre que ceux-ci. Dans ce sens, la liberté n’est pas de n’avoir aucun maitre, mais de pouvoir choisir celui qu’on sert.
La vraie liberté est celle qui nous permet de faire les choix, parfois difficiles, afin d’atteindre les objectifs les plus élevés qu’exigent les profonds désirs de notre cœur. Car le bonheur ne consiste pas à être capable d’établir nos préférences, mais à pouvoir vivre ces choix concrètement. Une personne qui voudrait en aimer seulement une durant toute sa vie n’est pas libre si elle est incapable des actions qui la rendent fidèle, de se sacrifier pour l’autre et de rechercher d’abord son bonheur, etc. Elle ne l’est pas non plus si elle s’est entrainée à faire ses choix uniquement en fonction de ses besoins immédiats.
Nous pouvons nous entendre pour dire que le bonheur se trouve au cœur de nos relations. Et pour établir et maintenir de bonnes relations, certaines qualités et attitudes sont nécessaires. Par exemple, la colère ne contribuera jamais à une relation de qualité. Alors logiquement, nous devrions faire chacun de nos choix en fonction de leur capacité à soutenir de bonnes relations. Liberté n’est pas synonyme de facilité.
La question ultime est donc: voulons-nous vivre selon le principe de plaisir ou selon celui de bonheur?
Le Verbe: Quels sont les principaux problèmes ou enjeux de notre société actuelle avec l’amour, voire la sexualité?
Katerine Perrault: Aujourd’hui, plutôt que de nous ouvrir vers les autres, la sexualité nous replie souvent sur nous-mêmes. Nous laissons nos sentiments, nos besoins et nos préférences non seulement guider nos actions, mais même définir notre identité. La sexualité nous permet de faire diverses expériences qui nous informent sur ces sentiments, préférences, attirances, etc. Elle n’est donc plus un code qui cache déjà une richesse à découvrir, mais une manière de rassembler de l’information pour construire notre identité.
Les relations amoureuses servent donc à remplir nos propres besoins et fonctionnent tant et aussi longtemps que les deux partenaires en retirent quelque chose de satisfaisant. Lorsque ce n’est plus le cas, ils en cherchent un autre qui réponde mieux à leurs besoins. On utilise l’autre comme un moyen.
On laisse aussi souvent aux sentiments l’autorité de déterminer la durée de la relation et l’existence ou l’absence d’amour. Pourtant, si l’on regarde les profonds désirs du cœur d’un amoureux, on s’aperçoit qu’il veut aimer une seule personne durant toute sa vie, vieillir avec elle. Mais les sentiments seuls sont incapables de le mener là où il voudrait aller.
La liberté est vue comme une absence de contraintes, mais la vraie liberté est une liberté pour rejoindre un objectif qui répond aux désirs profonds du cœur.
L’amour concerne le cœur, le corps et la tête. Il comprend donc les désirs et les sentiments, mais aussi une décision. Est-on vraiment libre lorsqu’on vise un objectif, mais qu’on est incapable d’accomplir les gestes qui nous permettent de l’atteindre? La liberté est vue comme une absence de contraintes, mais la vraie liberté est une liberté pour rejoindre un objectif qui répond aux désirs profonds du cœur.
Le Verbe: En quoi amour et sexualité sont-ils liés?
Katerine Perrault: Pour bien comprendre, il faut savoir que l’unique objectif de Dieu dans toute la Création était de faire une déclaration d’amour à chaque personne qu’il créerait. En fait, chacun de nous est un débordement de son amour sur deux pattes, qui veut partager sa vie avec nous!
Mais dans toute la Création, le «code» le plus clair pour découvrir l’amour de Dieu est le corps humain. Notre corps d’homme ou de femme n’a en effet pas de sens seul. Il nous révèle que nous n’existons pas pour nous replier sur nous-mêmes – avez-vous déjà rencontré une personne parfaitement égoïste qui rayonne de bonheur? –, mais pour établir des relations avec les autres.
Et c’est bien normal, puisque nous sommes créés à l’image de Dieu, l’«Amour pur», et que l’amour existe pour se donner aux autres afin de leur rendre la vie plus belle. C’est donc la sexualité, à cause du code qu’elle est, qui rend le plus image de Dieu! Elle nous fait découvrir cet aspect vital de notre identité: nous sommes créés pour aimer et être aimés.
Puisque nous sommes un corps et un esprit, notre corps représente toute la personne que nous sommes. Il a donc un véritable langage et exprime ce que nous voulons dire comme personne. Il faut donc que notre corps, notre cœur et notre tête soient d’accord pour dire la même chose.
À l’image de Dieu qui nous a créés pour nous faire découvrir son amour total, gratuit, sans conditions ni limites et qui donne la vie, nous sommes invités à aimer les autres de la même manière, y compris à travers notre sexualité. En réalité, la sexualité nous fait découvrir que nous ne devrions jamais nous satisfaire de moins que «l’intégrale» de l’Amour!
Le Verbe: Une véritable éducation sexuelle devrait-elle avant tout être affective? Si oui, devrait-elle se limiter à cette dimension?
Katerine Perrault: Puisque nous sommes formés d’un corps, d’un cœur et d’une tête et puisque la sexualité est l’aspect le plus intime de notre identité, l’éducation sexuelle ne doit se limiter ni à la dimension du corps, ni à celle du cœur, ni à celle de la tête. Elle doit les comprendre toutes. En fait, puisque notre sexualité est un code qui nous permet de comprendre qui nous sommes et ce pour quoi nous sommes créés – aimer et être aimé –, nous devrions plutôt parler «d’entrainement pour aimer», plutôt que d’éducation sexuelle.
Nous n’aimons pas seulement avec notre corps, ni seulement avec notre cœur, ni seulement avec notre tête, alors l’amour nous montre clairement que nous sommes une personne unifiée et pas une personne «en morceaux».
Afin de bien s’entrainer pour aimer, il est essentiel de partir des désirs les plus profonds de notre cœur: désir d’être apprécié pour ce que nous sommes, accepté inconditionnellement, valorisé, de contribuer à la société, d’être heureux, d’aimer et d’être aimé, etc. Ces désirs sont inscrits dans notre cœur par Dieu, car il veut les combler. Ils nous apprennent le chemin à suivre pour être heureux et l’infini bonheur qu’Il nous réserve.
Un bon entrainement pour aimer comprend donc la capacité à déterminer nos désirs et nos sentiments et à les orienter en fonction de la personne que nous voulons devenir. Cela signifie aussi les orienter de telle sorte que nous traitons les autres selon leur immense dignité et selon le plan de Dieu pour l’amour. Il comprend donc la découverte et la pratique des qualités et des habitudes qui permettent de développer de bonnes relations et de faire des choix difficiles si cela est nécessaire au vrai bonheur.
Le Verbe: Quelles sont, pour les époux, les clés d’une vie affective et sexuelle vécue dans la liberté?
Katerine Perrault: La meilleure manière d’être aussi heureux et libres que possible demande de prendre conscience d’une chose: ce n’est jamais l’autre personne qui peut remplir les profonds désirs de notre cœur. Il n’existe pas deux amours: celui de Dieu et le nôtre. Le seul et unique amour est celui de Dieu. Lorsqu’un homme et une femme se marient à l’église, ils reconnaissent devant Dieu qu’ils sont incapables de s’aimer autant, aussi bien et aussi longtemps qu’ils le désireraient profondément. Ils demandent donc à Dieu, l’Amour parfait, de s’engager avec eux, d’être vraiment présent avec eux, durant toute leur vie. Le mariage est donc une union à trois!
Les fiancés s’engagent ainsi l’un envers l’autre, et aussi envers Dieu, à être fidèles pour toujours et à rester ouverts à toutes les manières dont Dieu voudrait faire déborder son amour sur leur entourage, avec leur collaboration, potentiellement au travers de leurs enfants, eux aussi débordements d’amour sur deux pattes! Et Dieu s’engage précisément à les combler de son amour à un point tel qu’il déborde sur leur entourage.
Ainsi, en se mariant, chaque personne accepte de collaborer avec Dieu pour aimer l’autre. Elle devient l’instrument à travers lequel l’amour de Dieu peut passer. Et cela implique quelque chose de vital: puisque c’est l’amour de Dieu qui passe à travers celui de l’autre, il restera toujours disponible même si l’un ou l’autre ou les deux ne ressentaient plus d’émotions. Dans les moments difficiles, il s’agirait simplement de rester disponible à Dieu et de compter sur lui pour faire durer l’amour.
Plus personne n’a d’attentes irréalistes envers l’autre. Plus personne ne s’attend à la perfection de la part de l’autre.
De plus, savoir que ce n’est pas l’autre, mais Dieu, qui comble nos profonds désirs enlève un immense poids des épaules de chacun: plus personne n’a d’attentes irréalistes envers l’autre. Plus personne ne s’attend à la perfection de la part de l’autre. Et plus personne ne compte sur ses propres forces pour aimer l’autre comme il le voudrait.
Rester connecté à l’amour de Dieu à travers la prière et les sacrements est donc essentiel pour faire l’expérience de la vie en abondance que Dieu veut donner aux mariés et pour ne pas en venir à «se tolérer pour rester ensemble».
Le Verbe: Quels sont les conseils que vous donneriez à de nouveaux époux?
Katerine Perrault: Le mariage n’est pas fait pour vous! Surprenant? Je dis cela dans le sens où, pour réussir son mariage, on doit arrêter de penser qu’on se marie pour être heureux. Parce que cela implique que nous nous marions pour ce que ça nous apporte personnellement. Aucun mariage ne peut durer s’il est centré sur ce que chacun peut en retirer. Ou alors, on finit par simplement «se tolérer». Mais qui a le profond désir de tolérer son amoureux et d’être toléré par lui?
Nous marier, c’est nous engager à rechercher le bonheur de l’autre avant le nôtre durant toute notre vie. Et paradoxalement, c’est ainsi que nous atteignons le plus haut niveau de bonheur! En fait, ce n’est pas si paradoxal quand nous nous souvenons que nous existons pour nous donner aux autres, à l’image de l’Amour par lequel nous sommes créés.
Mes grands-parents, qui ont été mariés durant 70 ans, m’ont un jour dit que l’un des éléments essentiels pour le mariage était l’ouverture à s’adapter à l’autre. Cela ne veut pas dire perdre notre personnalité pour se plier aux caprices de l’autre, mais être prêt à faire tous les efforts nécessaires pour apporter des modifications à nos manières d’être et de faire les choses, si nécessaire. «Je suis comme ça, je ne changerai jamais, tu m’as marié (ou mariée) comme ça» n’aidera aucun mariage.
Aussi, ne laissez jamais les enfants se placer entre vous. La plus grande garantie de la solidité de votre famille est la santé de votre couple. Ne laissez jamais les enfants semer la discorde entre vous.
Enfin, n’attendez pas d’avoir des difficultés pour renforcer votre amour et pour travailler sur votre couple! Pendant que vous traversez de beaux moments, faites des «rénovations»! Apprenez à mieux vous connaitre, développez des outils pour prévenir les conflits ou pour les surmonter d’une manière constructive, pratiquez de bonnes habitudes, par exemple vous dire un compliment par jour, etc.
Et bien sûr, commencez tout de suite à prier en couple et en famille. Une famille qui prie ensemble reste ensemble!
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Pour écouter la version radiophonique de cet entretien à l’émission du 12 février 2018: