Jean-Michel Blais
Jean-Michel Blais. Photo : William Arcand.

Jean-Michel Blais : le piano au service de la communion

Il y a six ans, le premier album de Jean-Michel Blais, II, s’est élevé avec surprise jusqu’au top 10 du célèbre magazine Time. Début de la pandémie : le Nicolétain d’origine se retrouve seul dans son nouvel appartement de Montréal, en rupture amoureuse, alors qu’il venait de mettre fin à une tournée. Ce qui s’annonçait pour être une période morne a été plutôt un tremplin énergique et lumineux vers son troisième opus Aubades, qu’il qualifie de renaissance. Le Verbe a voulu en savoir plus sur la quête et les aspirations qui traversent tout le travail de cet éducateur spécialisé converti en pianiste néoclassique.

Je suis vraiment honoré que tu m’accordes cet entretien parce que ta musique m’a beaucoup habité dans les dernières années et elle a accompagné la naissance de mon premier enfant… J’imagine que tu dois te faire dire ça souvent ?

C’est la première fois que je suis interviewé par un magazine à connotation catholique et je suis super à l’aise avec ça ! J’étais très impliqué dans la communauté paroissiale de Nicolet quand j’étais plus jeune : j’ai beaucoup fait la musique pour les baptêmes, les jeunes, les mariages, etc. J’ai aussi fait des études humanistes ; ça ressemble quand même beaucoup à ce qui se faisait autrefois au séminaire de Nicolet. J’allais souvent dans les archives de l’établissement pour essayer de comprendre… J’ai décidé de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain par rapport au passé religieux du Québec. Avec les études humanistes, j’ai été amené à lire autant la Torah que le Nouveau Testament, que saint Thomas d’Aquin. Ce sont des écrits qui m’ont réellement marqué parce qu’ils contiennent une pensée très profonde.

Je suis sur une scène devant 2000 personnes, ce n’est pas une prière, mais on connecte dans l’universel, la musique, quelque chose de spirituel, on touche à des questions sur le sens de la vie.

J’ai tellement lu sur dieu la première année de mes études que j’ai dû, à un moment donné, m’en donner une définition personnelle, parce que le mot était associé à certaines connotations et j’y étais donc réfractaire.

Honnêtement, je voulais être curé quand j’étais petit. Je me dis parfois que ce n’est pas si loin de ce que je fais : je suis sur une scène devant 2000 personnes, ce n’est pas une prière, mais on connecte dans l’universel, la musique, quelque chose de spirituel, on touche à des questions sur le sens de la vie. Je m’adresse à ma façon au public, je ne fais pas des sermons, mais il y a un rapport vraiment similaire.

Il y a Jean-Michel sur CD et Jean-Michel en show. En show, c’est clair qu’il y a une expérience du partage, de la communion. Ça me rappelle quand on allait à l’église. Chaque Noël, j’y vais avec ma grand-mère et j’adore ça.

Cet article est d’abord paru dans notre magazine de janvier 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

J’ai enterré un bon ami, la semaine passée, qui avait demandé l’aide médicale à mourir. C’est la première fois que je côtoie la mort d’aussi près : c’est ça la vie, ça finit de même, ça finit que tu meurs. On fait quoi entretemps ? Comment on donne un sens à ça ? La société est bien faite en ce moment pour nous cacher la souffrance et la mort, puis nous encourager dans la consommation.

Comment, toi, tu donnes sens à la vie ? Tu as travaillé dans un orphelinat au Guatemala, en pédiatrie sociale comme éducateur spécialisé, tu as étudié la psychologie et les études humanistes. On sent que tu as une quête…

Oui, la musique, pour moi, ce n’est pas une fin, c’est un moyen. La façon dont je décris la musique, c’est extrêmement spirituel. Si je monte sur scène ou je m’en vais au piano, ou je compose, je suis un moyen, un vecteur, un prophète, ça passe à travers moi, je suis un point dans l’espace-temps. Ma responsabilité, c’est d’être disponible, d’être en forme, d’être à l’écoute des autres, de me forcer de m’assoir au piano, de faire une tournée. Avant de monter sur une scène, le travail est déjà fait à la moitié, je n’ai rien fait, mais de rassembler 2000 personnes qui sont prêtes à passer 1 h 30 en silence ensemble. Quand la pièce est faite, elle ne m’appartient plus. Je ne dis pas ça par prétention, c’est très modeste la manière dont je conçois mon travail, ma passion, ma job, ma vocation…

La pièce la plus forte que j’ai composée jusqu’à maintenant s’appelle Roses. C’est la mère d’une amie qui est morte du cancer du sein avec tous les hauts et les bas qui se sont déroulés sur un an et demi. Ça m’a pris toute cette année et demie avant de la terminer et j’ai fini de la composer le jour où elle est morte. C’est comme si, à ce moment-là, je savais ce qu’allait être la fin. Cette pièce, le nombre de fois que des gens viennent me voir pour me dire à quel point elle leur fait du bien parce qu’ils accompagnent quelqu’un atteint du cancer… C’est comme si j’avais encapsulé une notion. C’est pour ça que je dis que quelque chose me dépasse.

Jean-Michel Blais
Photo : avec l’aimable autorisation de Jean-Michel Blais.
Tu utilises le terme « vocation ». Est-ce que tu dirais donc que, pour toi, ta vocation, c’est la musique ?

On ne sait jamais. Pendant la pandémie, j’ai pogné un creux en appréhendant l’avenir des concerts. La passion du piano solo, à un moment donné, on en a fait le tour, comme tout. Je travaille à beaucoup d’autres projets qui me tiennent à cœur aussi, musicaux ou pas. Mais je dois être honnête, j’ai atteint quelque chose par la musique. Mes journées sont très variées, j’ai une liberté, qui peut parfois être angoissante. Je me rappelle quand j’étais plus jeune, je faisais des concerts et je débarquais de la scène en me disant : « Pourquoi je ne fais pas ça tous les jours ? » Il y a une intuition forte d’être à ma place quand je compose une nouvelle pièce, quand je finalise un album, quand je fais un concert puis que je me donne. Je reste toujours pour parler aux gens à la fin. Souvent même plus longtemps que le concert lui-même. J’essaie de donner à chaque personne qui vient, en groupe ou individuellement. Je sens que les gens, ça leur apporte beaucoup. C’est là que ça se passe, il y a vraiment un travail, une connexion réelle avec la personne, autant sur scène ou quand je compose. C’est ça qui donne un sens. J’ai commencé à faire de la musique parce que mes amis m’ont dit un jour que c’était égoïste que je garde ce talent pour moi. Je ne suis pas là pour la gloire ou l’argent : mon premier album, je le donnais et j’invitais les gens à le copier. Je comprends que j’ai une fonction. C’est tellement puissant, j’avoue, que je commence à y prendre gout, pas au niveau de l’égo, mais je ne suis pas loin de trouver ma place, une place que j’aimerais garder longtemps. Je suis content de faire ça de ma vie.

Tantôt, tu disais que tu avais ta propre définition de dieu. Alors, quelle est-elle ?

C’est vraiment dur. J’aime vraiment le mot YAHVÉ en hébreu, qui veut dire : « Je suis celui qui suis. » Moi, je le normalise en disant « c’est ce qui est », la notion d’être. C’est prélangagier quasiment. Nous, on lit le monde en apposant nos catégories logiques. Je m’obstine souvent avec mes amis qui sont hyperscientifiques en essayant de leur montrer qu’il y a plusieurs manières philosophiquement de déconstruire le paradigme scientifique dans lequel on est mur à mur aujourd’hui. On a l’impression qu’on comprend tout. Le problème est beaucoup ce qu’on a fait du mot « dieu », ce que l’Église en a souvent fait dans l’application souvent avec les abus, comme toute forme d’autorité historique. Comme il y en a eu aussi au nom de l’athéisme communiste, au nom des Aryens… Mais pour moi, c’est une façon langagière de nommer l’innommable, une partie de l’inexplicable. Je ne suis pas théologien, ha ! ha ! je ne pensais pas parler de ça ce matin…

La question : « Est-ce que dieu existe ? » je trouve qu’elle est restrictive parce qu’il faut définir dieu. Déjà, en revenant à ce que veut dire YAVHÉ, je ne suis même pas certain de comprendre ce que ça veut dire… Mais ce que je sais, c’est qu’il y a une expérience.

On parlait beaucoup de l’Esprit Saint quand j’étais jeune : je ne savais pas c’était quoi. Mais je peux te dire que quand je suis devant une foule et qu’il y a quelque chose qui passe, je déconnecte, je ne suis plus là, ce n’est plus moi qui joue, il y a un état. Je pense que toutes les grandes traditions religieuses parlent de cet état.

J’ai un ami russe dont la mère est une chrétienne orthodoxe très intense. Il faut trouver une façon de dialoguer avec elle. Si je suis toujours en train de la voir comme une croyante fermée, on n’aura jamais de discours possible. Comment on fait pour dialoguer ? Parce qu’on veut la même chose, au fond. C’est juste un langage différent.

Tu dis qu’elle et toi voulez la même chose, mais c’est quoi ?

Au fond, je pense qu’on cherche le beau, le bien, l’amour, on revient vraiment à la base. C’est ce qui est commun à toutes les cultures, les classes sociales. Qui va s’opposer à une vie heureuse pour tout le monde ? C’est qu’à un moment donné, on s’emballe, on en veut plus et on tombe dans l’excès. Dans notre société actuelle, on perd de plus en plus la possibilité d’entrer en relation avec l’autre. Ce qu’on cherche, la mère de Vladimir et moi, c’est qu’un jour on laisse tomber les arguments, les croyances, puis on se fait un câlin, on n’a peut-être même pas de mots… C’est de l’amour qui reste, des trucs aussi universels et beaux que ça.


Aubades, Jean-Michel Blais, Arts & Crafts.

À paraitre le 4 février 2022.

www.jeanmichelblais.com

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.