Charles de Foucauld
Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Frère Charles de Foucauld : « Le saint de la porte d’à côté »

Le Verbe s’est entretenu avec le père Bernard Ardura, président du Comité pontifical des sciences historiques au Vatican et postulateur de la cause en canonisation de Charles de Foucauld (1858-1916). Canonisé le 15 mai prochain, l’ermite du Sahara est moins éloigné de nous qu’on pourrait le croire.

Français d’origine, Charles de Foucauld avait une quête radicale qui l’a conduit au Sahara pendant 15 ans, où il est mort assassiné. Pourquoi un tel exil ?

Au départ, Charles de Foucauld n’était pas un païen, mais un chrétien. C’est un chrétien qui perd la foi, pendant 12 ans. Il dit ne plus croire en rien. C’est un homme qui redécouvre la foi, ou plus exactement, la personne de Jésus-Christ.

Lorsqu’il va voir l’abbé Huvelin, dans une église de Paris, il lui demande des cours de religion. Que lui dit le prêtre ? « Confessez-vous et mettez-vous à genoux. » Il l’envoie communier sur-le-champ. Charles de Foucauld comprend à partir de ce moment-là que sa vie devra être tout entière à Jésus, dès le commencement et jusqu’à la fin.

Il y aura des étapes, comme dans toute vie, où la foi doit grandir et se purifier.

Il comprend d’abord que suivre Jésus, ce sera de le suivre presque physiquement. Il entre à l’abbaye Notre-Dame-des-neiges, en Ardèche. Il se dit que la vie des cisterciens est la plus proche de celle de Jésus par son austérité, le silence, la place donnée à la prière, la pauvreté.

Mais cela ne lui suffit pas. C’est pourquoi il va partir en Terre sainte : il veut vivre là où Jésus a vécu. C’est une autre étape dans sa vie.

Puis, il va comprendre que suivre Jésus et l’imiter n’est pas seulement lié à un contexte géographique, qu’on peut le rencontrer n’importe où. Il choisit d’aller rencontrer Jésus parmi les plus abandonnés, les plus pauvres et inconnus de tous. C’est ainsi qu’il se retrouve dans le Sahara.

Que pensez-vous de l’idée selon laquelle Charles de Foucauld aurait été un colonisateur ou un agent au service des opérations militaires françaises ?

Il suffit de lire sa vie pour voir qu’il a trop aimé les musulmans pour se comporter comme un colonialiste. Mais il faut lire sa vie et interpréter ses écrits dans la culture de son temps. La culture unanimement partagée à son époque, c’est que l’Europe est un continent civilisé qui doit porter la civilisation dans les pays sous-développés.

On peut dire néanmoins qu’il s’est démarqué du comportement des militaires ou des administrateurs civils. Son action s’est située sur le plan culturel, par les travaux qu’il a faits sur la langue locale. Ou bien sur l’œuvre d’apostolat, centrée essentiellement sur la présence, le témoignage, l’accueil. Parce qu’en tout homme et en toute femme, il rencontrait le Christ.

Quelle relation a-t-il entretenue avec le peuple touareg ?

Il vivait avec ses voisins tout simplement. Il entretenait des relations fraternelles et amicales avec eux. Il les voyait prier, et eux savaient qu’il était à genoux dans son petit oratoire, qu’il priait lui aussi.

Il se définira comme un missionnaire, mais c’est un missionnaire qui ne va pas prêcher par la parole. Il va prêcher par l’exemple, par sa charité et sa capacité d’accueil.

Il avait déjà rencontré les musulmans autrefois dans son séjour au Maroc. Leur fidélité à la prière, renouvelée sept fois par jour, l’a profondément marqué. Il leur doit cette ouverture de cœur à un au-delà, une transcendance.

Il se définira comme un missionnaire, mais c’est un missionnaire qui ne va pas prêcher par la parole. Il va prêcher par l’exemple, par sa charité et sa capacité d’accueil.

Les musulmans le prennent dans une telle considération qu’ils vont même l’appeler « le marabout ». Lorsqu’il sera gravement malade, ce sont eux qui vont le sauver.

Est-ce qu’il y a eu un prophétisme à la vocation de Charles de Foucauld ? Son message est-il aussi un message pour le Québec ?

Les canonisations ont lieu à Rome. Ça veut dire que c’est secondaire que Charles de Foucauld soit français : il devient un saint pour toute l’Église. Pour l’Église universelle, c’est le trésor commun ; dans le credo, nous disons que nous croyons à la communion des saints.

Nous voyons qu’il a pratiqué, avant que ça existe, le dialogue interreligieux. Comment ? Par un dialogue concret dans la vie quotidienne. Dans ce rapport, c’est le saint de la porte d’à côté.

C’est une grande leçon que nous laisse Charles de Foucauld : vouloir connaitre l’autre pour l’aimer, et plus on l’aime, plus on le connait.

Et aussi, on dirait que Charles de Foucauld est comme le patron céleste des « recommençants », c’est-à-dire de ceux qui, comme lui, ont perdu la foi et redécouvrent le Christ.

Son parcours a été ponctué d’échecs : refus de ses supérieurs à accepter son appel de radicalité, échec de fondation d’une communauté religieuse. De quelle manière ces épreuves ont-elles contribué à le transformer ?

Il a eu des projets qui n’ont pas abouti. Il y a plusieurs moments, d’ailleurs, qui ont été très durs pour lui. Par exemple, dans les règles liturgiques anciennes, un prêtre ne pouvait pas célébrer la messe sans au moins avoir un servant. Il est donc resté longtemps sans célébrer la messe ou avoir la permission de garder la présence du Saint-Sacrement dans le tabernacle.

Ça a fait partie de son chemin de purification. À Rome, dans la basilique Saint-Pierre, il y a la statue de la Pietà de Michel-Ange. Savez-vous ce que disait Michel-Ange ? « La statue était déjà dans le bloc de marbre, je n’ai fait qu’enlever ce qu’il y avait en trop. »

La Pietà de Michel-Ange. Photo : Juan M Romero.

Le saint que nous connaissons, c’est le Charles de Foucauld qui été élagué, comme le fait le vigneron pour sa vigne.

C’est ce qui lui est arrivé et ce qui est susceptible d’arriver dans la vie de tout homme et de toute femme. Peu à peu arrivent des circonstances particulières qui font que nous devons abandonner ce qui n’est pas l’essentiel.

Pourquoi Charles de Foucauld est-il devenu si populaire, alors qu’il vivait d’une manière inconnue de tous dans le désert ?

Dans son temps, on écrivait beaucoup. Aujourd’hui, on téléphone. Charles de Foucauld a écrit des milliers de lettres à ses amis, à des membres de sa famille, à des militaires, à son évêque. Ses écrits ont été un moyen de faire rayonner précisément ce charisme, parce que c’est un charisme très particulier, fondé sur l’amour. Et l’amour ne passera jamais, nous dit l’écriture.

Le charisme de quelqu’un, c’est quelque chose qu’il a reçu, pas pour lui seul, mais pour le partager. C’est ce qui reste, une fois que la personne a disparu, et qui peut être vécu par d’autres. Il y en a très peu qui vivent là où Charles de Foucauld a vécu dans le Sahara, mais il y en a des milliers dans le monde qui vivent de sa spiritualité.

Charles de Foucauld avait une forte interpellation à vivre l’ascèse. Comment pouvons-nous être rejoints dans notre vie ordinaire par cette forme si radicale de sainteté ?

Nous devons être saints dans l’exercice de notre devoir d’état, dans les circonstances où Dieu nous a placés. Comme homme ou femme mariée, célibataire, religieux, religieuse, prêtre, missionnaire. Dans l’exercice de notre profession, nos responsabilités familiales, au milieu de nos amis et jusque dans les moments de détente. Nous avons à être saints dans le monde d’aujourd’hui. C’est la vocation de tout baptisé.

Il ne faut pas chercher à imiter personnellement Charles de Foucauld qui a voulu mettre ses pieds sur la terre où Jésus a vécu. Nous n’avons pas à l’imiter à la lettre, mais à essayer de vivre avec la même attitude du cœur et d’intelligence.

Les saints sont des saints pour tous les âges. Autrement, si on devait seulement les regarder dans leur contexte précis, ils seraient datés, dépassés. Ils ne seraient plus des modèles.

Et les saints, ce sont des modèles, mais aussi des intercesseurs. Dans la communion des saints, ils prient avec nous et pour nous. Ils ne jouissent pas égoïstement de la vision de Dieu.

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.