CastoR : aux sources mystiques du jazz

Ces jours-ci parait l’album de jazz Caritas de CastoR qui déjà a su attirer l’attention de quelques médias spécialisés et s’est même fait remarquer par La Presse qui l’a ajouté à sa liste de découvertes sur Spotify. Le Verbe s’est entretenu avec Marc-Antoine Guay-Rochon, le pianiste à l’origine du projet musical aux nombreuses notes spirituelles. 

« Je n’ai pas le caractère d’un rebelle, mais cet album n’est définitivement pas à la mode! » Un bel euphémisme, convenons-en tout de suite. Du jazz instrumental fabriqué au Québec, ça ne court pas les rues. Et pourtant, même si ça n’a rien à voir avec la pop de Taylor Swift ou de nos Cowboys, le premier album de CastoR (Caritas, disponible dès le 14 juin 2024) demeure très accessible pour les mélomanes moins aguerris.

Rejoint quelque part entre la fin de l’enregistrement et le lancement de l’album, Marc-Antoine Guay-Rochon nous raconte généreusement la genèse de l’œuvre. À l’issue d’une maitrise en composition à l’Université de Montréal, le pianiste a réuni quelques bons amis en studio pour faire vivre les pièces de Caritas. Pour un premier opus, le résultat est d’une cohérence musicale et d’une maturité impressionnantes.

Une démarche profonde

Dès les premiers accords du morceau « Rosa Mystica » – premier extrait lancé par la formation –, on comprend que l’univers musical proposé par CastoR est porté par une profonde réflexion, un élan spirituel, voire une mystique.

« Caritas est le nom de l’album, mais c’est aussi le nom de l’une des plus longues pièces de l’album. Et je pense que c’est l’une des plus intéressantes aussi. Le titre m’avait été inspiré par la lecture de l’épisode de Jésus au Jardin des Oliviers. C’est quelque chose qui me fascine. »

Le jazzman, qui ne cache pas ses croyances, s’explique davantage : « Dans la foi, on peut avoir des périodes de doute, des périodes d’angoisse quand même. Puis, de penser que la nature humaine du Christ soit passée par une période comme ça aussi, même s’il savait le projet de son Père, ça me dépasse complètement. Je me suis donc arrêté sur le mot caritas – qui est charité, en latin – parce que le Christ a fait le choix d’aller jusqu’au bout, de faire l’acte de charité de donner sa vie, même si ça ne s’est pas fait sans angoisse. »

Une inspiration pas gnangnan 

Marc-Antoine Guay-Rochon n’est certainement pas le premier compositeur de jazz à se laisser inspirer par l’amour pour créer. 

« L’histoire du jazz est teintée d’une forme d’amour moderne… superficiel. On ne compte plus le nombre de standards de jazz qui ont le mot « love » dans le titre. Bien que j’aime encore beaucoup jouer ces pièces-là, ce n’est pas ce que je voulais communiquer en tant que compositeur. »

Simple sentiment passager ou choix délibéré de vouloir le bien de l’autre, quitte à en pâtir? Ici, on ne fait pas l’économie de la douleur qui traverse la véritable caritas. « Pour un titre qui se veut très positif, ce n’est pas nécessairement la pièce la plus joyeuse de l’album. »

Et on retrouve le même jeu des contraires dans « L’hiver de force » (un gros clin d’œil à Ducharme) où la chaleur des rythmes, presque latins, est contrecarrée par une descente tonique évoquant d’hivernales précipitations.  

« Je pense que même les pièces plus joyeuses de l’album ont aussi un côté mélancolique; et les pièces plus mélancoliques ont toutes une dose d’humour ou de chaleur. C’est intentionnel. »

Tout le paradoxe assumé par CastoR est là.

Aux sources de CastoR

L’artiste admet d’emblée l’influence des Brad Meldhau et Keith Jarret sur son écriture, mais pas que. En prêtant l’oreille à Caritas, on perçoit aussi quelques traces du passé punk et rock-prog du guitariste converti en pianiste… entre autres conversions.

« Il y a quelque chose dans l’éthos du punk qui m’intéresse beaucoup. Il y a même certains aspects qui se réconcilient avec l’éthos chrétien : le jusqu’au-boutisme et le sans compromis, sur certaines valeurs en tout cas. On retrouve aussi l’idée de faire un pied de nez au malheur, on passe par-dessus, puis s’il faut en rire pour le dédramatiser, on va le faire. C’est également ce qu’on entend beaucoup dans le jazz… dans le blues, en fait. Ça vient de là, cette idée qu’on va chanter tous nos malheurs, puis après ça va être moins pire. »

« Je pense qu’il y a quelque chose de vrai et de cathartique là-dedans, poursuit le musicien. C’est un peu comme un kyrie où l’on se reconnait pécheur, on se reconnait très imparfait, mais on passe au travers, on se réconcilie, et on avance. »

Les racines blues et gospel du jazz – et toute la culture afro-américaine – ont alimenté toute l’histoire du genre. Cependant, il y a quelque chose d’audacieux d’inscrire Caritas, album aux sources résolument spirituelles, dans le contexte du Québec de 2024.

Aux sources de CastoR, il y a le punk, le prog… et l’évangile!

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L’album Caritas (Odd Sound, 2024) est disponible à compter du 14 juin 2024. 

En spectacle à L’Arquemuse le 16 juin 2024 et au Lion d’Or le 19 juin 2024.

Photos : Samuel Campeau-Rivard

Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.