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Histoire de famille

Depuis trois jours, j’ai la tête dans les souvenirs, le cœur dans le passé et les yeux dans l’eau. 

Je suis dans mes photos de famille.

Mon salon et ma salle à manger ont l’air d’un entrepôt. J’ai sorti la grande table qu’on sort à Noël et j’y ai mis toutes les photos, les enveloppes, les albums, les boîtes. Il y a aussi cinq bacs de souvenirs de famille que j’ai sortis du garage. 

Tant qu’à être enfermée encore pour trois semaines, autant en profiter pour faire ce que j’ai toujours remis au lendemain. 

J’ai décidé de faire l’histoire de notre famille avec ma fille. Mon mari qui travaille juste à côté se retourne à tout bout de champ, chaque fois qu’il nous entend pousser un « Ahhh ! » ou un « Ooooh! ». On va créer un scrap-book pour chaque année.

Le temps qui passe

Hier soir, j’étais seule au salon. Les enfants dormaient. Moi, je pleurais comme une Madeleine. Que voulez-vous ? Quand ça fait huit mots d’amour que tu lis de tes enfants qui sont aujourd’hui de jeunes adultes ; et qu’en plus, il y en a trois qui sont confinés chez l’autre parent, eh bien… tu brailles ! 

Le temps passe vite. Ils vieillissent. Et moi aussi.  

Mon père m’a envoyé une belle photo de ma maman ce matin. Il a écrit : « Ta maman adore sa chatte ! ».

Maman, qui aura bientôt 80 ans, est assise avec Boo sur ses genoux, sa magnifique chatte persane. Elle l’avait emmitouflée dans une couverture et la serrait tout contre elle.

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Sainte Thérèse de Lisieux, enfant. Photo tirée du site Internet du Sanctuaire de Lisieux.

Les yeux bleus de ma mère étaient aussi perçants que de coutume. Son sourire était celui d’une âme d’enfant. Un peu comme celui qu’avait la petite Thérèse sur cette photo si célèbre où elle est âgée de huit ans.

Conserver les témoignages

Il n’y a pas si longtemps, un peu plus de 40 ans, c’était moi qui étais là assise sur ses genoux et qu’elle serrait tout contre son cœur. Je ne sais pas si elle, elle a vécu ça, ma mère, d’être assise sur les genoux de sa mère, Edwige, que mon grand-père appelait affectueusement Dwina. 

Après le confinement, faudra poursuivre l’histoire de ma mère. Je retournerai l’écouter, avec mon enregistreuse, me raconter sa vie dans une ferme de la Gaspésie, dans un village qu’on a fini par fermer, Saint-Octave-de-l’Avenir, où elle a dû quitter l’école pour aider sa mère avec les dix autres enfants parce qu’elle était l’aînée des filles. 

Faudra qu’elle me raconte tout avant qu’elle oublie tout parce que, comme vous savez, y’a rien de pire pour gruger ta vie et ton histoire que l’Alzheimer. 

En attendant, je fais notre histoire à nous, avec ma fille qui grandit trop vite et qui sera bientôt une femme, parce qu’on ne connaît ni le moment ni l’heure, et qu’il ne nous appartient pas de le savoir (Mt 24, 36). 

Tout ce qui nous appartient, c’est ce jour, aussi fugace soit-il. 


Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.