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Photo: Gracieuseté du Trident.

Une épopée socialiste et burlesque au Trident

Le théâtre du Trident, à Québec, ouvre sa saison avec un blockbuster allemand très divertissant. Le cercle de craie caucasien est la pièce la plus populaire de Bertolt Brecht, mais peut-être pas sa plus singulière.

La guerre vient d’éclater en Géorgie et la jeune servante Groucha se retrouve avec le bébé de sa maitresse dans les bras. Cette dernière, plus absorbée à préserver ses richesses et sa vie que son enfant, l’a « oublié » dans sa fuite.

Alors que tous cherchent à fuir le regard du bambin, la pauvre fiancée voit son instinct maternel s’éveiller en contemplant son visage : « Il me regarde comme un être humain ».

Elle deviendra la mère de cet enfant, le protégeant et l’élevant au risque de sa vie.

S’ensuit une épopée qui oscille étrangement entre le tragique et le comique. Le tout culminant dans un procès burlesque entre la mère naturelle, la mère adoptive de l’enfant… et une question : à qui l’enfant sera-t-il accordé ?

Reste cependant l’idée qu’est véritablement mère celle dont les entrailles s’émeuvent pour son enfant plus que pour elle-même.

Le juge tranchera finalement par une reprise du stratagème du jugement de Salomon (1 Roi 3,16-28) pour identifier la « vraie » mère. Mais cette fois, ce n’est plus la chair, mais le cœur qui l’emporte.

Reste cependant l’idée qu’est véritablement mère celle dont les entrailles s’émeuvent pour son enfant plus que pour elle-même.

Une caricature socialiste

Quand la guerre éclate, le temps des nuances s’estompe.

L’urgence ne nous donne plus le temps de penser la complexité du réel. S’il y a du feu et du sang, il doit y avoir des bons et des méchants. La pièce de Bertolt Brecht, écrite en 1944 au coeur de la Seconde Guerre mondiale, n’échappe pas à cette simplification.

Tout au contraire, elle l’exacerbe.

Il faut dire que l’auteur allemand a trouvé refuge dans des cercles communistes après avoir été chassé de sa terre natale et avoir vu son œuvre brulée par les nazis, en 1929.

Idéologie oblige, on sent que la dialectique marxiste traverse toute la pièce construite autour d’une série d’oppositions tranchées : les charitables contrent les avares; les violents contre les doux; les amoureux contre les légalistes; les riches contre les pauvres. Bref, vous l’aurez compris, les bourgeois contre les prolétaires.

Enfin, la petite morale en conclusion pèche par simplicité.

Malgré la passerelle qui divise en deux l’audience et donne ainsi un effet 3D réussi à la pièce, le verdict, lui, est unanime et plat : le cœur a préséance sur le sang. Difficile de penser autrement quand on demande de choisir entre les bons ou les méchants.

Mais qu’aurions-nous pensé si les deux femmes étaient également pleines de bons sentiments ? On se serait attendu à plus de distinctions et de profondeur de la part d’un philosophe et d’un médecin comme Brecht.

Du cinéma au théâtre

Heureusement, la mise en scène cinématographique vient donner du relief et de la complexité au texte. Le « réalisateur » Olivier Normand nous livre une épopée quasi « marvelesque » au rythme effréné.

Quand un tableau manque de détails, aussi bien l’assumer et le recycler en caricature.

Un drôle de mélange avec héros et méchants bien campés, musique forte et effets spéciaux, scènes de combat, d’amour, et d’humour.

Coup de génie qui sauve une œuvre en l’amplifiant.

Quand un tableau manque de détails, aussi bien l’assumer et le recycler en caricature. C’est la plus juste interprétation d’un texte qui se veut à gros traits. C’est aussi un merveilleux écho à la démarche de Bertolt Brecht qui a terminé ses jours en Californie, s’inspirant du 7e art pour développer sa théorie du théâtre épique.

Rire plus que réfléchir

Bravo, les acteurs, bravo, les musiciens, bravo le metteur en scène! Un peu moins bravo l’auteur (ou ceux qui ont charcuté son texte).

On pensait aller voir un drame sur la condition humaine et l’on assiste plutôt à un vaudeville socialiste.

Certes, du comique au tragique la ligne est souvent mince. Mais cette ligne est aussi celle entre rire et réfléchir.

S’il est impossible de s’ennuyer en assistant au Cercle de craie caucasien, il est tout aussi difficile d’en ressortir transformé.

Mais après tout, quand le théâtre joue au cinéma, il n’est pas si étonnant qu’il devienne un divertissement.

En rafale

On aime :

  • La mise en scène hollywoodienne captivante et la musique « live » avec deux musiciens sur scène.
  • L’énergie et le jeu convaincant des acteurs.
  • Les scènes d’humour détonantes.

On aime moins :

  • Le texte de Bertolt Brecht qui propose de faux dilemmes et des personnages caricaturés.
  • La première demi-heure où tout va trop vite et qui peine à nous accrocher à l’histoire.
  • La voix et les paroles des acteurs parfois difficiles à entendre.

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Présentée au Trident jusqu’au 12 octobre.

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.