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Photo: Maxime Laurin

Renouer: pour tisser le lien social

Le 11 mars dernier, trois députés du parlement québécois, Catherine Dorion, Émilise Lessard-Therrien et Sol Zanetti, et deux cinéastes de Québec, Maxime Laurin et Samuel Matteau, ont lancé RenouerLe Verbe a vu cette oeuvre de cinéma direct qui désire récolter la parole des Québécois et communiquer un vrai projet de société.

Plus jeune, j’avais l’habitude de rejoindre mes amis sur les remparts de la vieille ville. Seul lieu de la capitale où l’horizon se dégage des édifices, où l’on peut contempler tous les soirs notre étoile se faufiler derrière les Laurentides.

À l’arrivée des lueurs incandescentes de la nuit tombante, il y avait les punks d’un côté, les musiciens de l’autre, et nous, les hippies chercheurs de sens. Notre quête d’exister pleinement, ensemble, pour l’instant d’une nuit, pour la durée du temps, a fini par être perturbée par les tournées régulières des policiers. 

Un de leur mandat, on le suppose : garder immaculée l’image de la belle carte postale promise aux touristes par les agences de markéting.

Des lieux où il fait bon être ensemble, gratuitement, hors du champ du GardaWorld et des caméras, il en existe de moins en moins. 

C’est à ce souvenir que j’ai pensé en voyant le film Renouer.

Sonder le désir

Je rencontre l’un des réalisateurs du film, Maxime Laurin, qui l’a coréalisé avec le cinéaste Samuel Matteau et la députée sortante de Taschereau, Catherine Dorion. La profondeur de notre échange spontané dresse la table de sa démarche artistique. Nous parlons de la mort récente de son père, de son deuil, de l’importance de prendre du temps avec ses proches tant qu’ils y sont. 

— Bon… il faudrait bien commencer l’entrevue sur le film! (rires)

Maxime me raconte la quête de ces trois députés de Québec solidaire de sonder le désir des Québécois pour le Québec et de le porter au grand écran. Il ne s’agit pas d’aller rencontrer de potentiels électeurs ou de faire valoir la ligne du parti. Le premier film de l’histoire à être financé par l’Assemblée nationale avait d’ailleurs comme condition d’être non partisan.

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Photo: Maxime Laurin

« Le processus était de partir à l’aventure, sans se donner une ligne directrice. On voulait rencontrer le plus de monde possible, le plus de classes sociales, rencontrer des personnes d’âges variés ou de cultures différentes. On ne voulait pas imposer nos idées et aller voir seulement des gens d’accord avec nous. »

Qu’ils partent à la rencontre d’autochtones dans le Témiscamingue ou de membres de communautés ethniques de Québec, rien d’étonnant.

Les voir rencontrer des ainés dans le fabuleux décor du Poulet Frit Chester en bordure d’un boulevard ou sous les feux d’artifice et la boucane du Rodéo du camion a quelque chose de plus surprenant. La splendeur du contraste traduit leur vertu d’adaptation, finalement plus facile à pratiquer qu’ils ne l’avaient anticipé. 

« Au Rodéo du camion, on a posé beaucoup de questions à tellement de monde. Les gens aiment leur territoire, en sont fiers. Il y avait beaucoup de familles, des gens avec le désir de vivre en communauté. Ça, on pouvait vraiment le comprendre. Ils nous ont invités dans leur truck

« Finalement, plus tu rencontres une personne, plus tu vois ses nuances. C’est la même chose avec des groupes de personnes : plus tu t’insères, plus tu es à l’écoute, plus c’est difficile de garder ses préjugés », pense le réalisateur.

Sauver son âme

Le film de 53 minutes ouvre sur la scène d’un oiseau virevoltant dans les débris d’une sorte de hangar. Il bat frénétiquement des ailes pour trouver la lumière, l’issue vers le grand air. La scène est emblématique de la démarche des députés, m’explique Maxime.

« Une fois que tu es arrivé au pouvoir, l’idée n’est pas de rester seulement dans les lieux de pouvoir : à l’Assemblée nationale, dans ton bureau de comté, auprès des personnes qui partagent le même niveau d’influence. La démarche du film, c’était pour eux une manière de reconnecter avec la parole des gens pour ramener ça à l’Assemblée nationale. C’était important pour eux d’alléger le fardeau du parlement, de sauver leur âme de cette machine trop lourde. »

Les questions posées mènent à l’essentiel, sont à la portée de tout un chacun : quels sont vos souhaits pour le Québec ? Que voulez-vous qu’il reste quand vous ne serez plus là ? Qu’est-ce qui est important pour vous ? 

Les réponses, parfois d’une simplicité désarmante, traduisent quelque chose de l’âme d’un peuple, se font écho les unes aux autres.

« Il n’y a rien de surprenant dans le film. Ce sont des choses que nous savons tous, mais que parfois, on oublie de se dire. Ça parle de l’affect, de ce qu’on ressent. Après ça, comment fait-on un projet de société avec ça ? C’est un film sans conflit, car on cherche ce qui nous rassemble », constate Maxime.

On comprend bien que les députés se rangent sous le dénominateur commun qui se dégage des rencontres dans des milieux aussi variés que nombreux : le désir de renouer avec le temps, le territoire et la communauté.

Tous reliés

Autour d’un feu, après un périple en canot avec les grands et les petits, Catherine constate que notre identité culturelle s’est construite au contact de la nature. Au Québec, le territoire est vaste. « Est-ce qu’on serait Québécoises, demande Catherine Dorion, s’il n’y avait pas la forêt, les rivières, des lacs partout, le pédalo ? » 

Assise à son métier à tisser, Émilise appuie sur sa pédale, tisse des fils colorés représentant les identités diverses et les générations. Elle constate que manquent les occasions de faire communauté, qu’il presse d’avoir des lieux où se rassembler.

Dans un chalet en plein hiver, guitare à la main, Sol chante sur des airs improvisés les mots épars que Catherine note sur des petits papiers : on n’a plus le temps, « on devrait en faire un axe principal, une campagne nationale. »

Un film qui fait ce qu’il dit

« Le film est un tremplin pour pouvoir jaser. C’est un film-évènement. La présence d’un des députés est requise pendant la présentation du film. Et personne ne va payer pour voir ce film », explique Maxime.

Après la projection du film au cinéma Cartier, Sol Zanetti et Catherine Dorion étaient présents avec des questions pour nous. « Avec quoi voulez-vous renouer ? », nous ont-ils entre autres demandé.

Dans la salle, quelqu’un a fait remarquer qu’avant, on construisait des cathédrales, ces œuvres collectives, faites sur des générations. Maintenant qu’elles s’effondrent, quels seront nos nouveaux parvis ? La question est légitime. Les députés la posent. Et dans le monde postpandémique, la tâche de retisser les liens est colossale. Le film tente de le faire un peu plus, à sa manière.

***

En finissant, je demande à Maxime ce que signifie pour lui la foi : « Se battre contre le cynisme, trouver la lumière chez les autres. »

Dans l’obscurité de la salle, j’ai vu quelque chose de cette lumière qu’il a trouvée en réalisant le film. Et en même temps, comme un écho à cette parole d’évangile : Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Pour connaitre les représentations à venir : https://renouer-lefilm.quebec

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.