Les Juifs célèbreront Pourim au soir du 25 février jusqu’au soir du 26 cette année. À cette occasion, ils ont l’obligation d’entendre le récit du Rouleau d’Esther, un livre singulier à plus d’un titre. Se déroulant l’hiver, cette fête annonce la fin prochaine de l’obscurité.
Le livre (ou le Rouleau) d’Esther qui figure dans la troisième partie de la Bible hébraïque est, avec le Cantique des Cantiques, l’un des deux ouvrages bibliques où le nom de Dieu n’apparait jamais. Si ce n’est par allusion : « Car si tu persistes à garder le silence à l’heure où nous sommes, la délivrance et le salut surgiront pour les Juifs d’autre part […] ».
« Autre part » ferait référence, selon la tradition juive, à la Providence. C’est ce que signifie Mardochée, à l’heure du danger, à sa cousine Esther devenue reine. Et il ajoute : « qui sait si ce n’est pas pour une conjoncture pareille que tu es parvenue à la royauté ? » (Est 4, 14).
Nous sommes, toujours selon la tradition juive, au sixième siècle avant l’ère chrétienne dans l’immense royaume de Perse et de Médie ; le livre d’Esther nous rapporte la chronique d’un génocide annoncé.
En effet, Aman, le conseiller antisémite du roi, a persuadé ce dernier d’exterminer les Juifs : « […] Il est un peuple répandu, disséminé parmi les peuples de toutes les provinces de ton royaume. Leurs lois sont différentes de celles de tous les peuples […]. Il n’est donc pas dans l’intérêt du roi de les garder […], qu’il soit rendu un ordre écrit de les faire périr » (Est 3, 8-9).
Rhétorique funeste que les Juifs entendent depuis des siècles…
Une femme qui sauve son peuple
Esther, qui hésitait à se rendre au palais, car elle n’y était pas conviée, s’y risque au péril de sa vie pour tenter d’annuler l’infâme décret homicide contre son peuple. Ou du moins, d’œuvrer pour lui donner légalement les moyens de se défendre.
Cependant, elle demande au préalable à Mardochée que les Juifs se rassemblent, jeunent et prient, car, même si elle relève en apparence seule ce défi, elle sait ne pouvoir le réussir que portée par la solidarité de tout un chacun.
Et de fait, après moult imbroglios1Esther arrivera à confondre Aman (il sera finalement pendu) et à protéger son peuple.
C’est pourquoi Esther est également l’un des deux livres qui portent le nom d’une femme dans la Bible (juive ou chrétienne). Une autre singularité qu’elle partage avec le Livre de Ruth, elle aussi une femme vaillante dans d’autres circonstances.
Avoir le courage d’être soi même
Le courage d’Esther s’exerce aussi à l’égard des rabbins de son temps.
En effet, elle est à l’initiative de deux exigences. Elle souhaite que cette histoire, qu’elle a pris soin d’écrire avec Mardochée, soit intégrée dans le canon biblique. Et, de plus, que ce récit soit à l’origine d’une nouvelle fête, Pourim, célébrée chaque année dans le rituel. Les rabbins rechignent, ils ont peur, ils craignent paradoxalement d’éveiller l’antisémitisme en rappelant que les Juifs l’ont combattu.
Leur pusillanimité s’explique par des blessures encore vives.
Toutefois Esther tient tête et obtint gain de cause comme le rapporte la tradition orale transcrite dans le Talmud. Elle plaide en affirmant qu’il n’y a rien de plus important que d’écrire sa propre histoire et de ne point laisser d’autres le faire à sa place. Encore un enseignement d’actualité.
Le livre est ainsi inscrit dans le canon biblique, donnant lieu à la fête de Pourim. C’est là encore une singularité, puisque le Rouleau d’Esther est le seul livre du canon biblique qui, en dehors des cinq livres de la Torah, ait donné lieu à une fête juive2.
Des masques pour démasquer Dieu
À Pourim, les Juifs festoient. En temps normal, ils vont les uns chez les autres et apportent des mets pour resserrer les liens sociaux. Cette année, ils les déposeront devant les portes. Et ils portent avec joie une attention particulière aux plus démunis qu’ils n’oublient jamais.
Les enfants ont aussi l’habitude de se déguiser, et parfois même les adultes : c’est la période des carnavals. Mais au-delà de ces recoupements calendaires, que signifie cette coutume ?
Étymologiquement, Pourim a une double acceptation. Il signifie « les sorts », car Aman a tiré au sort la date du massacre et de son l’annulation, puisque ce mauvais sort a été renversé grâce à Esther. Il y aurait donc une espérance de pouvoir échapper parfois à une fatalité apparemment incontournable.
Que de rebondissements inattendus dans le Rouleau d’Esther, et ce, jusqu’au sauvetage !
Tout se passe comme si Dieu agissait systématiquement de façon voilée au travers des hasards. À Pourim, les Juifs se déguisent pour signifier qu’il faut chercher derrière les masques les traces de la Providence. C’est d’ailleurs la traduction littérale du Rouleau d’Esther (en hébreu Meguilat Esther) à savoir « révéler le caché ».