Nobody Wants This
Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

«Nobody Wants This» : une série cliché, mais qui fait du bien

Depuis le mois de septembre 2024, Netflix diffuse la série Nobody Wants This (Problème de couple), qui relate l’histoire d’amour entre une femme non croyante et un rabbin libéral. Plusieurs journalistes juives ont reproché à cette comédie romantique de promouvoir des « stéréotypes problématiques » et une image « méchante et repoussante » de la femme juive. Le Verbe a voulu recueillir l’avis d’une juive orthodoxe traditionaliste et d’un rabbin libéral ayant tous deux vu la série. Entretien avec la sociologue, auteure et dramaturge Sonia Sarah Lipsyc et le rabbin Boris Dolin de la congrégation reconstructionniste Dorshei Emet, à Montréal.

Elle est agnostique, décomplexée et animatrice d’un balado portant sur ses déboires romantiques et sexuels. Il est rabbin, séparé de sa fiancée depuis peu, né dans une famille traditionnelle juive et convoite le poste de grand rabbin. Alors que tout semble séparer Joanne (Kristen Bell) et Noah (Adam Brody), et que leur entourage tente de les éloigner l’un de l’autre à maintes reprises, les deux quarantenaires tombent profondément amoureux. Aux premiers abords, Nobody Wants This s’apparente à une comédie romantique comme les autres : légère, divertissante et réconfortante. Mais cette légèreté cache-t-elle des clichés erronés vis-à-vis les Juifs ? Voire antisémites ?

Le Verbe : Avez-vous trouvé que la série divulguait des clichés ou des stéréotypes vis-à-vis les Juifs ?

Boris Dolin : Les idées principales de la série sont vraies, et la réalisatrice a fait du bon travail pour montrer, à travers le personnage du rabbin, que le judaïsme peut être inclusif. On peut être rabbin et « normal », ouvert à la culture séculaire. En tant que rabbin libéral, je me suis reconnu dans le personnage de Noah. Après, je crois que le fort accent de la mère juive ainsi que la manière dont les femmes juives agissent et leurs façons d’être très contrôlantes sont clichées. Les Juives sont fortes, mais on a voulu les associer à cette idée péjorative de « la princesse juive américaine », qui obtient tout ce qu’elle veut et exige que tout soit fait à sa manière.

En tant que Juive, avez-vous, vous aussi, été choquée par l’image de la femme juive méchante et autoritaire qui est projetée dans la série ?  

Sonia Sarah Lipsyc : Si l’on sait que c’est une comédie caricaturale, on peut prendre une certaine distance par rapport aux personnages des femmes, qui — à part le rabbin qu’on voit dans un épisode — sont toutes affreuses. La seule fois où la mère et la belle-sœur juives sont un peu clémentes à l’égard de Joanne, c’est quand celle-ci fait preuve de solidarité envers elles. Ça ne peut pas être représentatif, puisque c’est caricatural du début à la fin et qu’aucune figure de femme juive sympathique n’est présentée. C’est à se demander s’il ne s’agit pas d’un petit règlement de compte de la part de la réalisatrice de la série, qui s’est elle-même convertie au judaïsme.

Je n’ai pas été atteinte par ça, car je sais que c’est une caricature et parce que je ne me reconnais dans aucune des femmes de la série. Mais que d’autres femmes juives aient pu être touchées, je le comprends totalement. Lorsqu’on parle d’une minorité qui a vécu des persécutions — comme les Juifs —, c’est sûr qu’il faut prendre certaines précautions, parce que ça peut réveiller de mauvais souvenirs ou parce que ça peut alimenter, de façon inconsciente ou involontaire, une tendance antisémite.

Comment sont réellement perçues les « shiksa », comme Joanne, dans votre communauté ?  

S. S. L. : On a un mot pour dire « non-juive », et c’est « goïa ». Le terme « shiksa » est péjoratif et signifie la non-juive qui vient prendre les hommes juifs. En réalité, les non-juifs en cheminement spirituel sont acceptés par le judaïsme. Il n’y a pas de racisme à leur égard, contrairement à ce que la série sous-entend. S’il y en a, c’est une dérive qu’il faut tout de suite condamner.

Toutefois, dire que des parents juifs se réjouiraient d’emblée d’apprendre que leur fils ou leur fille souhaite faire sa vie et avoir des enfants avec un non-juif serait faux, il y aurait un moment de réticence. Mais s’ils sont des parents aimants, ils vont à un moment donné s’interroger sur les qualités de la personne que leur enfant a choisie.

Est-il proscrit de faire sa vie, voire de se marier, avec une personne non-juive ?

B. D. : Cela dépend de la branche du judaïsme à laquelle vous appartenez. Dans les communautés orthodoxes, par exemple, il est obligatoire d’épouser une personne juive. Dans la congrégation reconstructionniste Dorshei Emet, ce n’est pas le cas. Nous sommes l’une des deux synagogues au Québec qui autorisent les mariages interconfessionnels — j’en célèbre entre 20 et 30 par année —, et je crois que c’est une bénédiction pour notre communauté. Évidemment, il y a une certaine peur à l’égard de ces unions, chez les libéraux comme chez les non-libéraux, car tout parent juif souhaite que son fils ou sa fille trouve un partenaire juif pour que leurs enfants soient à leur tour Juifs et grandissent dans la religion. En tant que rabbin libéral, je préfère accueillir les non-juifs qui souhaitent se marier avec un juif — qu’ils envisagent de se convertir ou non — et qui veulent éduquer leurs enfants dans la religion juive, plutôt que de les repousser et de me montrer fermé. Qui sait, ils se convertiront peut-être un jour et pourront connaitre la joie d’être juif.   

Selon vous, cette série télévisée fait-elle plus de mal ou de bien au judaïsme ?

S. S. L. : Je donne du crédit à la réalisatrice pour la façon dont elle aborde des questions importantes comme la conversion, le mariage interreligieux, l’homosexualité et l’importance de la bat-mitsvah. Ce qui m’a le plus gênée dans cette série est l’absence de vertus spirituelles, chez tous les personnages, aussi caricaturaux soient-ils. Je me demande où est leur spiritualité. On voit leur aspiration communautaire et leur désir de préservation, c’est tout.

Il y a bien sûr des conséquences à cette série, puisqu’on voit que des femmes juives ont été vexées. Est-ce que ça peut alimenter des stéréotypes antisémites ? Peut-être… Certains pourraient penser que les Juifs ne sont pas ouverts, qu’ils ne veulent pas de non-juifs dans leur communauté, que c’est compliqué de se marier. Mais on parle ici d’un rabbin, alors non, ça ne peut pas aller plus loin dans sa relation avec une femme non-juive, d’un point de vue orthodoxe. Il y a des règles, c’est comme ça. Il y a un léger risque de dérapage, mais franchement, à l’heure actuelle, le danger de l’antisémitisme n’est pas là.

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Chose certaine, en ces temps où l’image du judaïsme est sujette à la polémique, Nobody Wants This change les idées et, malgré quelques travers, représente positivement la communauté juive. La série étant déjà renouvelée pour une deuxième saison, on ne peut qu’espérer mieux.

Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique Bérubé écrit pour nos magazines… et nos réseaux sociaux! Ce qu’elle préfère : voyager et partager des histoires inspirantes.