sacré
Photo: Gadiel Lazcano/Unsplash

Qu’est-ce qu’un lieu sacré ?

Nous l’avons tous déjà ressenti: certains endroits, qu’ils soient naturels ou bâtis par la main de l’homme, dégagent une énergie difficilement explicable qui fait naitre en nous un sentiment d’élévation spirituelle. Mais qu’est-ce qui nous donne cette impression?  Cherchons à comprendre ce qui fait le caractère sacré d’un lieu.

Avant de parler de lieux sacrés, il nous faut d’abord examiner ce que nous entendons par le terme de « lieu ». Généralement, un lieu est tout simplement défini comme une portion délimitée de l’espace. Puisque le lieu est une limite spatiale arbitraire que l’on appose sur un espace donné, il peut-être petit, comme l’une de nos maisons, ou immensément grand, comme un continent ou un océan.

Définir le lieu

La géographie moderne insiste largement sur l’idée selon laquelle c’est le regard humain et l’affect qui transforment le simple espace en lieu. C’est ce qui fait dire au géographe Yi-Fu Tuan « qu’un espace quelconque devient un lieu dès que nous le connaissons mieux et que nous lui accordons une valeur »1. Son collègue Bernard Debarbieux dit du lieu « qu’il renvoie toujours pour celui qui l’expérimente à une signification que l’on y a placée et que l’on peut ressentir en sa présence »2.

En somme, selon la géographie moderne, un lieu est un espace X que l’on délimite et sur lequel on projette un affect. Le simple fait de s’y retrouver provoquerait en soi un sentiment particulier. Selon cette définition, tout endroit aurait le potentiel de devenir un lieu signifiant pour un individu donné. Évidemment, une certaine hiérarchisation demeure, puisque certains lieux ne seront référentiels que pour un nombre très limité d’individus, alors que d’autres le seront pour l’ensemble de l’humanité.

Par exemple, l’endroit où vous avez embrassé votre amoureuse ou votre amoureux pour la première fois sera un lieu signifiant pour vous sans l’être pour l’ensemble de votre communauté. Le parc du quartier, le stade municipal ou le bistrot du coin seront quant à eux signifiants pour l’ensemble de la communauté locale qui les fréquente.

Tandis que des monuments comme la tour Eiffel ou la statue de la Liberté le seront pour l’ensemble de la nation, voire pour l’ensemble de l’humanité. C’est d’ailleurs en partie sur ce raisonnement que s’appuie la méthode de classement de l’UNESCO en ce qui a trait aux sites classés comme patrimoine mondial de l’humanité.   

Et le sacré dans tout ça ?

Ce qui différencie le simple lieu du lieu sacré relève à la fois de l’usage et de la nature de l’espace. Définissons maintenant ce que nous entendons par le terme « sacré ».

Le sacré est ce qui est situé en dehors des choses ordinaires; il s’oppose au profane et à l’utilitaire. Ainsi, le lieu sacré est réservé à des fonctions qui sont uniquement en lien avec une forme de culte. Peu importe les pratiques cultuelles, depuis le début de la grande aventure humaine, il est indéniable que certains endroits ont toujours été réservés exclusivement à des fins religieuses.

Pour illustrer la question de l’usage voué uniquement au culte, considérez simplement qu’il ne serait pas plus indiqué pour les hommes du mésolithique et du néolithique de casser la croute sur une pierre sacrée qu’il le serait pour vous de vous servir de l’autel de votre église paroissiale en guise de table pour grignoter votre sandwich du midi.

Le caractère sacré donné à un lieu en limite donc les usages, faisant du lieu un espace où le profane et l’utilitaire sont bannis. D’où la notion de profanation qui soulève le scandale pour toutes les sociétés humaines, précisément parce qu’elle implique un mélange du sacré et de profane en transgressant les usages prévus pour le lieu. 

Cela s’explique, entre autres, par le concept aristotélicien de l’energeia (ἐνέργεια) présente dans tout ce qui existe.

Pour Aristote, les objets et les lieux porteraient en eux-mêmes une énergie transcendante. C’est ce qui fait dire à des historiens de l’art comme Horst Bredekamp que les objets et les lieux « parlent » à ceux qui en font l’expérience3. Cette énergie, vous le devinez, est plus présente dans les objets et les lieux sacrés que dans ce qui relève de la sphère profane.  

L’église comme lieu sacré

Pour comprendre spécifiquement ce qui définit une église comme lieu sacré pour les chrétiens, il faut d’abord considérer les origines juives des églises chrétiennes. Le premier lieu sacré dédié au Dieu d’Abraham à avoir été construit par les hommes le fut autour du 10e siècle avant Jésus-Christ par le roi Salomon.

Ce Temple comportait trois sections : un portique et deux pièces. Tout d’abord, le lieu saint (Hekhal), une grande pièce menant vers le sanctuaire, et le Saint des Saints (Débir), le sanctuaire en lui-même. Ce sanctuaire était l’espace le plus sacré pour tous les juifs, il était considéré comme le point de contact sur terre entre Dieu et les hommes. C’est dans cette pièce qu’était conservée l’Arche d’Alliance contenant les Tables de la Loi remises à Moise par Dieu. Seul le grand prêtre du Temple pouvait pénétrer dans le Saint des Saints, et qu’une seule fois par an, lors de Yom Kippour (la fête du grand pardon).

Pour les catholiques et les orthodoxes, le Saint des Saints est présent dans chaque église sous la forme du tabernacle. Le tabernacle rappelle le Temple de Salomon érigé à la suite de la première alliance entre Dieu et le peuple juif. Mais il est également le lieu mémoriel de la seconde alliance entre Dieu, par la personne du Christ, et l’humanité. C’est dans le tabernacle qu’est réservé le pain qui, une fois consacré pendant la messe, devient une forme éminente de la présence du Christ. D’ailleurs, la norme liturgique veut que seul le prêtre et les personnes à qui il octroie la permission puisse avoir accès au tabernacle et à ce qu’il contient.

Ce point de contact entre Dieu et l’humanité est considéré comme licite par l’Église dès que le rituel de dédicace a été complété. C’est à la suite de ce rituel que le bâtiment cesse d’être un lieu profane et devient un lieu sacré. On pourrait penser que c’est la pose de la première pierre qui constitue en quelque sorte « l’anniversaire de naissance » d’une église, mais il n’en est rien. C’est le jour de la dédicace que l’on célèbre l’anniversaire de tout lieu de culte catholique!  

En somme, pour les Juifs comme pour les catholiques, c’est la présence d’un point de contact entre Dieu et les hommes qui fait qu’un lieu est considéré comme sacré!

Emmanuel Lamontagne

Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.