Les Rose
Jacques et Félix Rose. Image fournie par Babel films (onf.ca).

Les Rose, un récit des origines

Le documentaire Les Rose de Félix Rose ne cherche pas à applaudir les actions des membres du FLQ. Il enquête sur les raisons profondes de leurs actions et propose une vision plus entière de la vie de ces deux frères, qu’on voit de manière plus intime dans le film.

Rien ne sert de faire semblant que les quatre membres du Front de libération du Québec de la cellule Chénier ont bien agi quand ils ont kidnappé et été responsables de la mort de Pierre Laporte. Leurs actions étaient condamnables, et la gravité de celles-ci n’était certainement pas justifiée par les circonstances ni par les fins politiques visées.

Le documentaire Les Rose de Félix Rose ne cherche d’ailleurs pas à applaudir les actions des deux frères Rose, figures centrales du film aux côtés de leur mère, Rose Rose. Il enquête sur les raisons profondes de leurs actions ; il propose une vision plus entière de la vie de ces deux frères. 

De façon tout à fait intrigante et rafraichissante, il montre également un exemple de force morale. Rose Rose, une mère au foyer de classe ouvrière, devient une militante politique pour les droits et libertés des prisonniers politiques. 

L’action est le contexte

Les Rose suit d’abord la famille Rose dans Ville-Jacques-Cartier. Banlieue au sud de Montréal, elle était si pauvre qu’elle se comparait autrefois à de véritables bidonvilles. Cette municipalité, intégrée à la ville de Longueuil en 1969, est née de la crise du logement au milieu des années quarante, juste après la Deuxième Guerre mondiale. Elle n’a eu ni aqueducs ni électricité jusqu’aux années soixante, et la plupart des maisons étaient construites de peine et de misère avec des matériaux trouvés ou volés. 

La mère des Rose, ayant cinq enfants à elle, hébergeait durant l’hiver les plus jeunes enfants d’une famille de treize, pour éviter à ces êtres plus fragiles les durs effets de l’hiver. Cette anecdote dévoile à elle seule le degré de pauvreté de cette banlieue de Montréal. 

La mise en valeur de l’humanité et de la sensibilité de ceux appelés communément des terroristes choque par son omniprésence, mais ne tombe jamais dans la complaisance.

Le documentaire de Félix Rose propose aussi une thèse historique : pour lui, c’est la rencontre entre l’expérience des classes populaires du Québec et l’accès à l’éducation qui a été la source de la lutte politique du FLQ. Durant l’adolescence des frères Rose, les patrons et propriétaires de grandes entreprises étaient anglophones. Les salariés du bas de l’échelle étaient francophones, et s’ils voulaient monter les échelons, ils devaient passer à l’anglais. 

Cependant, un plus grand accès à l’éducation est survenu dans la deuxième moitié des années soixante. Il a atténué la disparité culturelle, économique et sociale dans la société québécoise ; il a entrainé une perspective différente sur le monde, chez les jeunes tout particulièrement. La misère et le changement des mentalités ont créé un terreau fertile aux idées du FLQ. 

Retourner le regard

Félix Rose ne se montre toutefois pas seulement comme relecteur de l’histoire, mais comme continuateur du cinéma québécois. 

Le documentaire s’inscrit dans une tradition de documentaires politiques québécois. Sa forme rappelle spontanément celle de La Liberté en colère (1994) de Jean-Daniel Lafond, un mélange d’images d’archives et d’entrevues informelles dans leur apparence et leur ton, ainsi que quelques scènes de travail manuel. Dans le cas qui nous intéresse, le réalisateur aide son oncle, Jacques Rose, à changer les fenêtres de sa maison, une image, en quelque sorte, du changement de regard que le documentariste veut susciter. 

Félix Rose crée également un esprit de familiarité et d’intimité, notamment par l’identification des personnes interviewées en fonction du lien de sang. 

Paul Rose est identifié comme « mon père », Jacques Rose comme « mon oncle » et ainsi de suite. La mise en valeur de l’humanité et de la sensibilité de ceux appelés communément des terroristes choque par son omniprésence, mais ne tombe jamais dans la complaisance. 

Il ne s’agit pas de changer le passé, mais de le mettre en scène plus entièrement et avec les nuances qui lui sont propres. 

Christianisme en filigrane

Il n’est jamais mention de la foi chrétienne dans ce documentaire, et d’ailleurs le FLQ faisait la promotion d’un socialisme athée. Pourtant, plusieurs principes humanistes aux racines chrétiennes, parfois dévoyées dans une idéologie politique sans nuances, se révèlent dans la parole des Rose.

L’amour y est signalé comme une source d’action pour le bien d’autrui. La solidarité dans la famille et dans la communauté est une nécessité dans le chemin déterminé vers ce bien. 

La mère des frères Rose, Rose Rose, véritable femme de front, répond ainsi à une femme qui la critique dans sa défense de ses fils : « Moi je suis contente d’avoir des fils comme j’ai, j’aimerais bien un jour que les vôtres puissent faire des actions pour les autres, et pas juste pour eux-mêmes. » Elle forme elle-même le Comité d’information sur les prisonniers politiques pour informer le public de la brutalité et de l’isolement que vivent ces derniers, parmi lesquels se trouvent ses deux fils. 

Le film accentue ainsi l’importance d’une figure singulière et originelle : la mère. Il montre avec nuance et sensibilité le poids des origines familiales et sociales dans un parcours politique et un parcours de vie.


Isabelle Gagnon

Doctorante en lettres à l’Université du Québec à Rimouski, Isabelle étudie les littératures de langue française et celles de l'Antiquité classique. Épouse et mère, elle s'émerveille devant les réalités du quotidien autant que devant les illustres récits et poèmes du passé.