À l’hiver 2018, la relique composée de l’avant-bras et de la main de l’un des fondateurs de l’Ordre des Jésuites, saint François Xavier, a été exposée dans quelques paroisses québécoises. Cette tournée canadienne, organisée par CCO-Mission campus et par Mgr Terrence Prendergast, s.j., archevêque d’Ottawa, a attiré l’attention du grand public et des médias. Malheureusement, pas toujours pour les bonnes raisons.
Alors que des centaines de personnes étaient réunies à la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec pour vénérer la relique de saint François Xavier, un célèbre animateur d’une station de radio de Québec termine une entrevue avec un spécialiste des nouvelles religieuses. Ce dernier a expliqué de manière simple, mais juste, le concept des reliques au sein de l’Église catholique.
On aurait pu croire qu’après cette entrevue, le segment de l’émission portant sur les reliques se terminerait là-dessus. Mais non ! Comme en fait foi l’extrait suivant, l’animateur entame un dialogue frisant l’absurde avec son coanimateur :
Animateur : « Je trouve cela un peu macabre ! »
Coanimateur : « Ce n’est pas un peu macabre, c’est très macabre ! »
Animateur : « Mais on va au Temple de la renommée du hockey et l’on tripe sur le chandail de Martin Brodeur. C’est une relique pareille. Que ce soit un bras ou un teeshirt… »
Coanimateur : « C’est symbolique… »
Animateur : « C’est un symbole… »
Coanimateur : « Que ce soit le saint Suaire ou le chandail de Johnny Bower [célèbre gardien de but des Maple Leafs de Toronto, décédé en décembre dernier à 93 ans], ce n’est pas comme d’aller se recueillir devant une pierre au foie qu’Elvis Presley a déjà eue, cela n’a pas d’allure ! C’est vraiment bizarre ! Pis, c’est juste la religion qui peut faire des affaires de même ! »
Au-delà du malaise
Manifestement, le malaise est très grand ! Ce malaise est également partagé par des catholiques qui ne comprennent pas un tel engouement pour un bout d’os d’un saint homme ou d’une sainte femme. « Pourtant, il n’y a rien de plus humain que de vouloir préserver le corps de quelqu’un que l’on aime », me fait remarquer en entrevue Michel Dahan, responsable des archives historiques de l’archevêché de Montréal.
« Pensons au mausolée de Lénine. Nous conservons aussi les restes de Napoléon aux Invalides à Paris. Ses restes attirent des milliers de personnes par année. Ses cheveux sont considérés comme des reliques. Cette tradition dépasse les limites de l’Église. Cela est présent dans toutes les cultures et toutes les époques », m’explique Michel Dahan.
Pour l’Église catholique, les reliques ne sont pas que de simples restes humains. La symbolique va bien au-delà.
Celui qui consacre sa thèse de doctorat à la dévotion aux reliques des saints des catacombes de Rome dans le Québec des 19e et 20e siècles croit que, si « l’on appose une étiquette de macabre à cette pratique, cela veut dire que l’on n’est pas arrivé à la comprendre. La seule manière de comprendre la dévotion aux reliques, c’est de se demander ce que les fidèles y voient. Il faut mettre de côté nos propres réticences. Il faut savoir que, derrière cela, il y a quelque chose. »
Justement, pourquoi l’Église catholique garde-t-elle des reliques qu’elle expose parfois aux fidèles ?
« Il faut se rappeler, m’explique M. Dahan, qu’une relique, c’est d’abord et avant tout ce qui nous reste d’un saint ou d’une sainte. Ce sont ses restes humains. C’est un souvenir. Théologiquement parlant, la tradition des reliques est liée à la notion de communion des saints. Elle est également reliée à l’idée évangélique que le corps est le temple de l’Esprit Saint. Par ailleurs, la relique est intimement liée à l’idée du miracle. Dieu, par l’entremise de la relique, peut faire des miracles. C’est pour cela que les gens viennent vénérer les reliques. »
Une relique dans l’autel
Les miracles ? Ne sont-ils pas eux-mêmes des reliques d’un temps révolu ? Contribuent-ils au malaise entourant les reliques chez certains fidèles, y compris au sein de la hiérarchie ? Pour répondre à la question, Michel Dahan s’aventure sur le sentier de la sociologie.
« Du moment que l’on ne croit plus que Dieu agit à travers les reliques, celles-ci perdent de leur importance. Je m’interroge : au Québec, aurions-nous perdu cette croyance que Dieu agit aujourd’hui ? La foi ne serait-elle plus qu’un ensemble de valeurs qui nous incitent à aider notre prochain, à prendre soin de lui ? »
Cet article est paru dans le numéro du printemps 2018 de la revue Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.
Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraitre, les reliques jouent un rôle crucial dans l’eucharistie. En effet, sans la présence de reliques dans l’autel, il ne peut pas être consacré.
« Les reliques sont au milieu de l’église, dans l’autel, à l’endroit le plus important, c’est-à-dire l’endroit où l’on célèbre l’eucharistie. La pratique consistant à intégrer dans l’autel des reliques de saints prend sa source dans un verset de l’Apocalypse : “Et quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui furent égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu’ils avaient porté” (Ap 6,9). Lors de la réforme du Droit canonique de 1983, le saint pape Jean-Paul II a maintenu cette tradition millénaire », souligne Michel Dahan.
Donc, pour l’Église catholique, les reliques ne sont pas que de simples restes humains. La symbolique va bien au-delà. Cela est tellement vrai que le Vatican a rappelé, dans un document daté du 2 décembre 2017, qu’il est absolument interdit de vendre les reliques et d’en faire le commerce. Malheureusement, cette directive n’est pas suivie par tous, comme nous l’avons constaté sur des sites de petites annonces ou d’antiquaires québécois. Le marché noir des reliques existe bel et bien !
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C’est avec toutes ces considérations en tête que je me suis présenté à la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal le 29 janvier 2018. La relique de saint François Xavier y était exposée. J’ai foulé le saint lieu en tant que journaliste. Pourtant, l’atmosphère incitait à la contemplation et à la prière. Les fidèles qui s’approchaient de la relique étaient manifestement en dialogue avec le saint missionnaire.
Voir toutes les mains tendues vers cette main qui a baptisé des milliers de personnes était quelque chose de profondément émouvant. Mon âme a frémi devant cette communion fraternelle entre le saint et le simple croyant marchant vers sa sainteté. L’espace d’un instant, le ciel était avec nous. Là réside sans doute la raison d’être des reliques.
Ainsi comprises, les reliques ne sont plus des hics, mais des transformateurs de hec et de hic1.
Alors Dieu, au moyen de la relique, s’immisce dans la vie du fidèle et lui donne la force de poursuivre son chemin vers la sainteté.