extraterrestres
Photo : Stephen Leonardi / Unsplash.

Les extraterrestres, ces monstres du 21e siècle

Pourquoi tant de films, de livres et de bandes dessinées sur des extraterrestres ? Les histoires mettant en scène de telles créatures existent depuis longtemps, mais c’est vraiment depuis le 20e siècle que le genre a explosé. Maintenant, de nombreux films à grand budget sortent chaque année sur ce thème.

Et pourquoi des récits si variés ? Dans certains films comme Aliens ou La guerre des mondes, ces créatures sont dangereuses et effrayantes. Dans d’autres films comme L’Arrivée ou Avatar, elles sont au contraire bonnes, voire meilleures que nous. 

C’est parce que nous tentons de comprendre le monde technologique que nous créons actuellement. Comme les anciens utilisaient les monstres comme symboles, nous utilisons aujourd’hui les extraterrestres.

Monstres : créatures périphériques

L’existence de monstres dans les régions éloignées est extrêmement répandue dans la mythologie. Pensez par exemple au chevalier qui doit s’aventurer loin de son village pour aller affronter un dragon. Ou bien, pensez à l’explorateur qui, rendu loin de chez lui, découvre des créatures semi-humaines.

Ces monstres ne sont pas uniquement négatifs. Même les dragons gardent de l’or et des princesses, après tout. Et il est évidemment possible de discuter de façon courtoise et fructueuse avec les créatures semi-humaines que l’on rencontre, aussi étranges et hostiles soient-elles initialement.

Le nombre incroyable de récits comportant des monstres et des créatures étranges a pour but de nous apprendre à discerner ce qu’il faut faire face à ces situations ambigües.

Le fait est que les périphéries sont ambigües. Pour le meilleur et pour le pire, ce qu’on y trouve, c’est du potentiel. C’est très naturel : en vous aventurant loin de chez vous, vous rencontrerez vous-mêmes à la fois des opportunités et des risques.

Le nombre incroyable de récits comportant des monstres et des créatures étranges a ainsi pour but de nous apprendre à discerner ce qu’il faut faire face à ces situations ambigües. Ces récits nous aident à exploiter les occasions favorables qui s’offrent à nous dans les périphéries sans succomber aux risques qu’elles comportent.

Monstres : créatures hybrides

C’est aussi pour pratiquer notre discernement que les monstres sont justement des créatures hybrides et difficiles à catégoriser. En mélangeant les catégories, on exerce notre perception en la sortant légèrement de sa zone de confort. C’est pourquoi les dragons, par exemple, sont des mélanges de félins, de serpents et d’oiseaux de proie. Après tout, c’était extrêmement important pour nos ancêtres d’apprendre à bien discerner la présence de ces animaux.

De même, les peuples très lointains étaient souvent représentés comme des créatures semi-humaines. Si on regarde les périphéries de vieilles mappemondes, on peut voir par exemple des cynocéphales (hommes à tête de chien).

Mélanges d’hommes et de chiens – créatures proches de l’homme –, les cynocéphales représentaient les peuples lointains qu’on ne comprenait pas, les barbares qui semblaient aboyer plutôt que parler. Les récits médiévaux de rencontres avec des cynocéphales visaient ainsi à enseigner à mieux comprendre les peuples lointains.

Extraterrestres : monstres modernes

Évidemment, nous n’avons plus aujourd’hui de cynocéphales dans nos cartes du monde et nous ne croyons plus aux dragons… mais nous avons les extraterrestres.

La quantité très impressionnante de films explorant aujourd’hui ce thème témoigne de notre important désir d’apprendre à discerner la frontière entre les innovations technologiques à intégrer et celles à rejeter.

Après tout, les découvertes que nous faisons aujourd’hui sont de nature technologique. Ce n’est plus principalement en quittant notre village ou en parcourant la savane que nous rencontrons de la nouveauté. C’est plutôt en explorant les innovations technologiques. Ainsi, nos monstres modernes sont des extraterrestres qui sont soit technologiquement plus avancés que nous, soit découverts lors d’expéditions humaines dans l’espace, toujours grâce à notre propre technologie. 

La quantité très impressionnante de films explorant aujourd’hui ce thème témoigne de notre important désir d’apprendre à discerner la frontière entre les innovations technologiques à intégrer et celles à rejeter. Par exemple, l’intelligence artificielle prendra-t-elle le dessus sur nous pour nous éliminer, comme dans La guerre des mondes  ? Ou bien nous fournira-t-elle des enseignements importants pour mieux nous épanouir, comme le font les extraterrestres dans L’Arrivée ?

Saint Christophe : patron des monstres

Image : Wikimedia Commons.

En analysant tous ces films, on pourrait se demander si le christianisme contient des histoires qui pourraient aussi contribuer à la réflexion. 

Est-ce qu’on sait ce que Jésus ferait, lui, face à des extraterrestres ? Dans sa sagesse populaire, le peuple chrétien a conservé au moins un récit mythique qui nous permet de répondre par l’affirmative.

Il s’agit de la légende de saint Christophe, qui est représenté comme un géant ou un homme à tête de chien. Soldat romain, de surcroit, il vient de la ville, qui est associée au développement technique et à la périphérie. C’est l’image de l’extraterrestre. 

Ultimement, Jésus va jouer un tour à Christophe pour l’amener à lui.

Étant un personnage marginal, Christophe a un désir original. Ce qu’il veut plus que toute chose, c’est servir le maitre le plus puissant au monde. Il en viendra ainsi à servir le diable, jusqu’à ce qu’il le voie frémir de peur devant le crucifix. 

Christophe demande alors au diable qui est donc cette personne qui lui fait peur. Craignant de perdre Christophe, son serviteur, le diable refuse de répondre. Christophe est rusé et menace alors le diable : il rétorque que si ce dernier ne répond pas, alors il s’en ira de toute façon. Le diable avoue finalement que c’est Jésus qui lui fait peur. Christophe quitte alors le diable et part à la recherche du Christ.

Il arrive dans un monastère où il demande à rencontrer Jésus. Un moine l’invite à venir prier. Christophe, qui est après tout un monstre, répond qu’il en est incapable. Le moine l’invite alors à jeuner. Christophe répond encore qu’il en est incapable. Le moine lui demande donc de se tenir près de la rivière et d’aider les voyageurs à traverser en les prenant sur ses épaules et en marchant d’une rive à l’autre.

Éventuellement, un petit enfant se présente et demande passage à Christophe, qui accepte. Or, à sa grande surprise, il se noie presque lors de la traversée : l’enfant est beaucoup plus lourd qu’il ne parait. Enfin arrivé de l’autre côté, Christophe s’empresse de demander à l’enfant pourquoi il est si lourd.

Le petit enfant, qui est en fait Jésus, répond que c’est parce qu’il porte les péchés du monde.

Comme Christophe a été rusé avec le diable, ainsi Jésus a joué un tour à Christophe. Il a trouvé une façon mystérieuse et inattendue d’intégrer le monstrueux Christophe dans le corps du Christ, et d’en faire un saint.

Jean-Philippe Marceau

Jean-Philippe Marceau est obtenu un baccalauréat en mathématiques et informatique à McGill et une maitrise en philosophie à l'Université Laval. Il collabore également avec Jonathan Pageau au blogue « The Symbolic World » et à sa chaine YouTube «La vie symbolique».