Quand on pense au patrimoine religieux du Québec, on a en tête nos belles églises du 19e siècle, abondamment ornées de sculptures, de dorures et de peintures. Nous sommes moins nombreux à considérer comme du patrimoine ces églises plus récentes, manifestations de la modernité architecturale. Pourtant, ces bâtiments aux formes surprenantes, construits au milieu du siècle dernier avec les matériaux et selon les techniques les plus innovateurs de l’époque, méritent que l’on s’y intéresse. Si elles ne sont pas toutes de la même qualité, certaines de ces églises sont des œuvres d’art marquantes et des jalons importants de notre histoire religieuse.
Un peu de contexte
L’architecture religieuse moderne du Québec fait son apparition durant l’après-guerre et connait sa période faste dans les années 1950-1960. À l’époque, l’aménagement des banlieues amène la création de nouvelles paroisses, souvent par le démembrement de paroisses plus anciennes. Les petites villes manufacturières se développent, et certaines régions connaissent un essor économique et démographique considérable.
D’autre part, le babyboum et l’hégémonie de la religion catholique dans toutes les sphères d’activités culturelles et sociales créent un besoin d’espace : les nouvelles églises en tiennent compte et comprennent la plupart du temps une salle communautaire au sous-sol, des bureaux… et même parfois une « garderie », sorte de salle familiale vitrée avec vue sur la nef!
Sur un autre plan, la fin des années quarante voit émerger un mouvement de renouveau liturgique qui aboutira à une réforme à la suite du concile Vatican II (1962-1965). Différents groupes ou autorités dans l’Église prônent une participation plus active des fidèles à la messe. On fonde beaucoup d’espoir sur le prochain concile et on prévoit déjà que les églises devront être aménagées différemment pour s’adapter à la nouvelle manière de célébrer le Saint Sacrifice.
Ainsi, les églises de cette période sont construites selon des principes liés aux changements liturgiques, effectifs ou à venir : aménagement de la nef de façon à ce que tout le monde puisse avoir une vue sur l’autel (plan en éventail, absence de colonnes), table d’autel placée au milieu du sanctuaire et mise en valeur par un éclairage zénithal (puits de lumière), présence d’un ambon dans le chœur au lieu d’une chaire dans la nef, entre autres.
Aspects techniques
Autre chose stimule aussi la créativité des architectes : des techniques de construction et des matériaux nouveaux offrent des possibilités intéressantes. Certains matériaux ont déjà fait leurs preuves, comme le béton armé utilisé depuis quelques décennies, tandis que d’autres, comme les poutres en bois lamellé-collé, sont encore inédits en architecture religieuse. En outre, les chantiers de construction modernes bénéficient de la mise en commun de différentes expertises, les architectes travaillant dorénavant en équipe avec des ingénieurs et des entrepreneurs.
L’église Saint-Marc de Bagotville, au Saguenay, construite en 1955 et considérée comme l’une des premières églises véritablement modernes au Québec, constitue un bon exemple de ce genre de procédé. L’architecte Paul-Marie Côté a travaillé de concert avec d’autres spécialistes afin de s’assurer de la solidité des pans du toit, faits d’une dalle de béton plissé autoportante de 10 cm d’épaisseur et descendant jusqu’aux fondations. Une sorte de tente en accordéon… du jamais vu jusqu’alors!
Épanouissement d’un style
Mis à part les régions urbaines de Québec et de Montréal, c’est au Saguenay-Lac-Saint-Jean que se déploie le modernisme le plus franc, formant une école stylistique que l’on a appelée « les églises blanches du Saguenay » pour décrire ces bâtiments en béton à la plasticité audacieuse.
Pourquoi une telle créativité dans ce coin du Québec? L’intense activité industrielle de la région depuis le début du 20e siècle (aluminium, pâtes et papiers), la création de villes de compagnies (Arvida, Kénogami et plusieurs autres) en faisait déjà un terrain d’expérimentation pour les architectes et les ingénieurs. Ajoutons à cela que durant les années 1950, de talentueux architectes saguenéens et jeannois reviennent vers leur terre natale après avoir été formés dans les meilleures écoles : Paul-Marie Côté, Evans St-Gelais, Léonce Desgagné, Jacques Coutu, pour nommer les plus connus.
Parmi les églises modernes se distinguant pour leurs qualités esthétiques et architecturales, il faut mentionner celles de l’architecte montréalais Roger D’Astous, dont l’église Notre-Dame-des-Champs à Repentigny. « Affectueusement » surnommée la Sacoche par les habitants de cette banlieue – j’ignore si c’est par ironie ou par sympathie – le bâtiment à la forme originale pourrait être inspiré de la lyre de David ou de mains jointes pour prier. À l’intérieur, on a l’impression d’être à la fois dans une tente, dans un bateau et sous un nuage!
Il faut dire que les églises modernes ont une dimension symbolique importante et que leur forme et leur décor dépouillés revêtent une puissance d’évocation particulière. La forme du triangle, omniprésente dans ce courant architectural, suscite diverses interprétations. Certains y voient un rapprochement avec les tipis des Autochtones, d’autres la tente abritant l’Arche d’Alliance au temps de Moïse, etc. L’éclairage feutré, les matériaux laissés bruts, les œuvres d’art modernes participent également à cet effet mystérieux, primitif, méditatif.
De « jeunes » églises qui vieillissent mal?
Les églises modernes laissent peu de gens indifférents : on les aime ou on les déteste. Il faut dire qu’il y a des risques à vouloir se détacher de la tradition; ce ne sont pas toutes les œuvres qui passent le test. L’épreuve du temps a parfois donné raison à certains détracteurs de ce style. Souvent, les puits de lumière si caractéristiques de cette architecture occasionnent des infiltrations d’eau. Et quand vient le temps d’effectuer de couteuses réparations, on préfère mettre nos efforts pour conserver les vieilles églises, plus précieuses à nos yeux.
Malgré tout, les plus remarquables de ces bâtiments acquièrent tranquillement une reconnaissance de leur valeur. L’historien de l’architecture Claude Bergeron, qui a rédigé un ouvrage de référence sur le sujet, souligne le fait qu’en deux décennies seulement, l’architecture des églises québécoises a davantage évolué qu’en 400 ans! Compte tenu de ces changements rapides et radicaux, il nous faudra peut-être un certain temps pour apprendre à apprécier ces œuvres. Mais moderne ou pas, si la conception d’une église a été inspirée par l’Esprit Saint, il y a de fortes chances que sa beauté transcende les époques.
*Crédit phtoto : Bagotville, Chicoutimi – Église Saint-Marc, 1950-1966, BAnQ Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, (03Q,E6,S8,SS1,SSS321,D1407), Luc Chartier, Gérard Morisset, Jean-Paul Morisset, Omer Parent.