Le miraculé, la martyre et le prodige

Le 15 septembre dernier, grâce au Festival de cinéma de la ville de Québec, a eu lieu au Palais Montcalm une projection que l’on pourrait qualifier de miraculeuse.

La Passion de Jeanne d’Arc, film muet réalisé en France par Carl Theodor Dreyer en 1927, aurait très bien pu ne jamais être diffusé aujourd’hui. En effet, il faut savoir que la copie originale du film a d’abord été censurée, puis perdue dans un incendie. Le réalisateur s’était alors acharné à reconstituer une deuxième version du film à partir de chutes de pellicule non utilisées, mais cette dernière, une fois finalisée, est aussi partie en fumée dans un autre incendie.

Le glas semblait sonné et ce film destiné à l’oubli.

Cependant, en 1981, l’improbable – pour ne pas dire l’impossible – survient : dans un hôpital psychiatrique d’Oslo, on découvre une copie du négatif original de l’œuvre, sans censure! La Cinémathèque française s’est alors affairée à effectuer la restauration du film et c’est cette version qui a été projetée à Québec, la semaine dernière.

Le procès

Dreyer prend le pari de ne raconter ni les combats menés par la pucelle d’Orléans ni tout ce qui précéda son arrestation. Il s’en tient au procès, sans aucune mise en contexte préalable. Pour les cinéphiles aguerris comme pour le commun des mortels, la forme de ce film est franchement désarçonnante.

Nous sommes seuls avec Jeanne, qui, elle, est seule avec Dieu.

Son audace esthétique est inouïe, surtout lorsqu’on se rappelle qu’il a été réalisé en 1927. Jeanne d’Arc, interprétée, ou plutôt incarnée, par la transcendante Renée Maria Falconetti, n’est filmée qu’en gros plans. Nous sommes seuls avec Jeanne, qui, elle, est seule avec Dieu.

Le montage saccadé, déstabilisant, ne permet pas aux spectateurs de respirer, pas plus que les bourreaux de Jeanne d’Arc ne lui donnent de répit avant de la condamner.

Un orgue en direct

Non seulement le fait même de voir sur grand écran ce film, qui fut qualifié de chef-d’œuvre par les plus grands théoriciens du cinéma, est exceptionnel, mais la projection du 15 septembre dernier avait une forte valeur ajoutée.

L’équipe du Festival de cinéma de la ville de Québec a fait des pieds et des mains pour que le jeune prodige polonais Karol Mossakowski puisse traverser l’océan afin de rendre une prestation musicale en direct, sur le fameux orgue Casavant du Palais Montcalm.

Âgé de seulement 27 ans, le musicien avoue en entrevue que ce film, qu’il a visionné une quantité innombrable de fois, « a une telle intensité [qu’il en faisait] des cauchemars la nuit. » N’existant pas de musique définitive choisie par Dreyer de son vivant, l’organiste a étudié le film et composé une partition de base, sur laquelle il improvise savamment sur les images qui défilent. Le ciné-concert auquel Québec a eu droit était donc tout à fait inédit.

Mossakowski a su exploiter l’orgue Casavant à son plein potentiel, en jouant même des cloches, à un moment clé du procès de Jeanne d’Arc. Son interprétation maitrisée, dosée, tourmentée, a su nourrir la tension ininterrompue qui traverse le film du début à la fin, ainsi que les nombreux frissons d’échine chez les spectateurs.

Si La Passion de Jeanne d’Arc a péri (par deux fois!) par les flammes et que Jeanne elle-même est morte martyre sur le bucher, on ne peut pas dire qu’ils aient sombré dans l’oubli. L’orgue de Karol Mossakowski a certes rendu « le plus beau film du monde » (1) et cette grande sainte de l’Église catholique majestueusement vivants, vendredi dernier.

__________

Note :

« Si Dreyer est l’égal des plus grands par le langage, il est supérieur aux plus grands par son propos. Et s’il est vain et probablement impossible de choisir le second chef-d’œuvre du cinéma, il est aussi impossible d’hésiter en ce qui concerne le premier. « La Passion de Jeanne d’Arc » est le plus beau film du monde. » (Chris Marker)

Noémie Brassard

Noémie est mère de 4 enfants. Dans son ancienne vie, elle a complété une maitrise en cinéma à l’Université de Montréal. Ses recherches portaient sur les films réalisés par les religieuses au Québec. Elle a préalablement réalisé deux courts métrages documentaires ayant voyagé plus qu’elle-même. Elle siège sur notre conseil éditorial.