Le film Le dernier repas de Maryse Legagneur, lauréat du Grand prix du meilleur long métrage du Festival de cinéma de la Ville de Québec, nous transporte auprès d’un homme en fin de vie et de sa fille qui se porte à son chevet. On s’aperçoit, au fil de leurs rencontres, à quel point il avait déjà côtoyé la mort dans son passé, en prison en Haïti. Mais ce film montre d’abord et avant tout la vie, « dans ce qu’elle a de plus précieux », selon la réalisatrice.
Ce n’est pas un hasard si le premier long-métrage de fiction de Maryse Legagneur aborde le thème de la mort. La cinéaste de 47 ans a consacré une partie de son parcours universitaire à un programme de maitrise en études sur la mort. Formée en musicothanatologie, elle a accompagné avec sa harpe des personnes en fin de vie pendant plusieurs années. Elle connait bien son sujet, surtout qu’elle a vécu elle-même une expérience de mort imminente qui a réconcilié son rapport à la mort. Mais, insiste-t-elle, c’est de la vie dont il est question ici, avec ce qu’elle comporte de souffrance et de beauté, de blessures et de possibilités de réconciliation.
Pendant près de dix ans, elle a recueilli les témoignages et les récits de survivants de la prison de Fort-Dimanche, sous le régime de Jean-Claude Duvalier. Comme aucune trace de ce qui se passait dans cet endroit ne demeure, la parole qui exprime la douleur passée relève d’un « devoir de mémoire », selon elle. Les atrocités vécues à l’époque constituent un « trauma collectif » que les Haïtiens portent « dans leur corps, mais aussi au niveau psychologique, et spirituel ».
Un « drame culinaire »
Reynold (Gilbert Laumord), le personnage principal du film, est profondément marqué par ce passé, qui ressurgit lorsque sa fille Vanessa (Marie-Évelyne Lessard) lui apporte, à sa demande, des plats typiquement haïtiens qu’elle apprend à préparer avec sa tante, Tati Dado (Mireille Métellus). Cela met fin à près de vingt ans d’éloignement et amorce enfin un rapprochement entre les deux. Vanessa découvre alors la part d’ombre qui hante son père et dont elle ne soupçonnait pas l’ampleur.
C’est donc dans les effluves de diri djon djon, de soupe joumou et de griot que Reynold raconte son histoire. Tati Dado offre son cahier de recettes à sa nièce, en lui disant qu’il s’agit de sa Bible. On dirait, en effet, que le rituel qui s’installe entre le père et la fille a quelque chose de sacré. Atteint du cancer de l’estomac, Reynold éprouve de grandes difficultés à s’alimenter, mais le simple fait de sentir l’odeur réconfortante des plats fait remonter en lui tous ses souvenirs emplis pourtant de grandes souffrances.
Le sacré dans le profane
Plusieurs éléments du film ont cette particularité de faire émerger le sacré dans des éléments aussi concrets que les divers ingrédients des plats cuisinés, ou encore dans des images récurrentes comme celle de l’arbre au milieu de la cour de la prison, un quenettier dont les fruits sont si succulents. Maryse Legagneur dit s’être inspirée des travaux de Mircea Eliade et de la notion de hiérophanie et cela se sent dans sa façon de manier les différents symboles et leur pouvoir de signification.
Une scène poignante du film évoque d’ailleurs la foi comme un secours contre l’atrocité humaine. Après qu’un prisonnier se soit fait battre à mort par les gardiens, un autre prend la parole avec force pour dire qu’il s’agit d’une « délivrance » et d’un « passage vers le monde de l’éternel ». Il se met ensuite à chanter le Libera me du Requiem de Fauré. Un autre prisonnier l’accompagne en « jouant » sur un clavier qu’il a dessiné avec une craie sur le mur de la cellule.
À la recherche d’un refuge
Si certains prisonniers ont le réconfort de la foi, d’autres développent des comportements qui agissent comme « des mécanismes de défense pour passer au travers de l’insoutenable ». Ils fuient dans la folie ou dans le jeu, à l’aide d’un peu de mayi moulen (la seule nourriture qu’ils recevaient) séché pour faire des pions et jouer aux dames. Autant d’échappatoires pour oublier, l’espace d’un instant, toute l’horreur qui les entoure.
De même, lorsque Reynold découvre les plats que Vanessa lui sert, le temps semble s’arrêter, et la douleur diminuer. Il y a quelque chose de l’ordre du mystique dans ces rencontres où passe enfin un amour qui a toujours peiné à se manifester. Maryse Legagneur a déjà été témoin de ce genre d’expériences en fin de vie. On est là « en plein cœur de l’expérience humaine », au moment même où elle s’achève.
Le plus grand souhait de Reynold, à savoir que le bon Dieu (auquel il ne croit plus) lui envoie « un dernier bon repas avant de crever », se réalise. Mais ce qui compte surtout, comme lui dit l’accompagnateur spirituel dont il ne veut rien savoir, c’est plutôt celle avec qui il le partage, et à qui il peut enfin transmettre ce que la vie a d’essentiel.
Le dernier repas sort en salle aujourd’hui, le 27 septembre.