L’art visuel contemporain paraît vide et dénué de sens aux yeux de plusieurs, particulièrement chez les croyants. À l’inverse, la recherche de sens existentielle vers une transcendance et le témoignage de foi chrétien par l’art sont vus comme suspects – voire inquiétants – aux yeux des habitués du milieu.
Au Québec, toute démarche créative en ce sens est quasi de facto disqualifiée. On donne par contre la chance à l’occasion à certains artistes non-croyants d’aborder ces questions, pour autant que leurs œuvres – et surtout leur démarche en général – ne prennent pas trop parti pour la religion. Stéphanie Chalut nous en présente ici quelques-uns.
Si vous êtes bouddhiste ou versé dans l’univers de l’ésotérisme, on risque fort de vous écouter et de vous encourager (c’est le cas de Massimo Guerrera par exemple, honoré à maintes reprises). Mais si vous êtes un croyant monothéiste – et à plus forte raison, chrétien – on portera forcément un regard suspicieux sur vous et votre travail.
Si vous voulez en parler dans vos œuvres, il faut idéalement critiquer et détourner le christianisme, ou encore mieux, s’en moquer avec talent. Mais surtout ne pas faire de l’adoration ou de la récitation de chapelet un pilier de votre démarche créative, comme Guerrera le fait avec la méditation bouddhiste ou transcendantale… Les spiritualités orientales ou «nouvel-âgeuses», reçoivent ainsi carte blanche, alors que les spiritualités monothéistes, sont persona non grata. Car c’est bien connu, Dieu est mort (et de toute manière, il était un sale macho paternaliste oppressant les femmes et les minorités de tout acabit). Nietzsche l’a décrété du haut de sa chaire au 19e siècle. Et si Nietzsche l’a dit, c’est qu’il a raison!
On attend donc le jour où le Québec (et l’Occident) aura soigné son blocage psychologique face à l’Église (1) pour voir (ré)apparaître des démarches qui intègrent et honorent avec originalité l’héritage sacré dont nous sommes les héritiers.
Entre temps, certains créateurs athées ou agnostiques s’y risquent à l’occasion, avec bonne foi et sincérité. C’est le cas du cinéaste Bernard Émond (La Neuvaine, La Donation) très préoccupé par les questions de sens ; c’est aussi le cas de deux artistes visuels qui ont réalisé de magnifiques intégrations à l’architecture, à la cathédrale de Saint-Jérôme, à la demande du Musée d’art contemporain des Laurentides en 2012 et 2013 (Au commencement était le Verbe, de Barbara Claus, et Le deuxième jour, de Normand Forget).
Et plus récemment, Emmanuelle Léonard, artiste pratiquant la photo et la vidéo d’art, a également abordé le sujet dans deux œuvres filmiques. Ces deux monobandes ont été projetées l’automne passé, au Musée d’art contemporain de Montréal, dans le cadre de la Biennale de Montréal qui avait pour thème L’avenir.
Paysages existentiels
Tandis que plusieurs artistes adoptaient un ton engagé et revendicateur à travers leurs œuvres pour aborder le sujet imposé, d’autres – et trop peu – ont choisi de donner voix à des préoccupations plus existentielles ou métaphysiques.
C’est le cas des deux vidéos d’Emmanuelle Léonard montrées en boucle dans deux petites salles obscures. Deux morceaux dignes d’intérêt par le fait qu’ils creusent des questions essentielles sur le futur de l’Occident, sur le sens de l’existence, la fin de vie et la possibilité d’un prolongement dans un avenir… éternel.
Dans Postcard from Bexhill-on-Sea (description ici ; extrait là, malheureusement sans sous-titres), l’artiste montre des images de bord de mer d’une station balnéaire anglaise, pendant que des voix-off de couples âgés répondent à la question : comment voyez-vous le futur ?
Si certains affirment qu’ils veulent profiter du peu de temps qu’il leur reste à vivre ici-bas, le sentiment général qui se dégage en est un de nostalgie et d’inquiétude. Nostalgie d’une époque ancienne, où les manières et les mœurs étaient plus respectueuses de soi et d’autrui ; inquiétude devant la perte des repères identitaires, nationaux et spirituels, à une époque où tout le monde devient quasi interchangeable et anonyme ; inquiétude pour les plus jeunes, inquiétude devant la mort qui approche, etc.
Avec de longs plans fixes sur le paysage d’une beauté froide et d’une gravité certaine, plans enchevêtrés à des moments de silence méditatif où seul le bruit des vagues se fait entendre, le spectateur y lit en filigrane la sous-question : et après cette existence terrestre, qu’y a t-il ? Un anéantissement dans le vide ou une autre vie ?
Riches mémoires oubliées
Dans la même veine, on retrouve dans La Providence (description ici, extrait ici), quelques Sœurs de la Charité de Montréal, plus communément appelées Sœurs Grises, (la congrégation fondée par Sainte Marguerite d’Youville à l’époque de la Nouvelle-France).
Assises dans les pièces impersonnelles de leur nouvel immeuble (leur bâtisse ancestrale a été vendue il y a quelques années faute de relève), elles nous parlent de leur vie de religieuses, de leur foi en Christ et en Dieu le Père Éternel (la dévotion particulière de Mère d’Youville), de leur espérance, de la vie après la mort.
La très joyeuse et sympathique Sœur Réjeanne Fortin est particulièrement attachante avec ses sourires contagieux. Emmanuelle Léonard pose un regard empreint de tendresse, d’écoute et de respect sur ces femmes. Et encore une fois, en filigrane, elle fait ressortir un enjeu : celui de l’avenir de la culture québécoise, de son patrimoine, de son identité enracinée dans le christianisme. Que restera-t-il de cette mémoire dans l’avenir, compte tenu du fait que les jeunes gens ne se bousculent plus aux portes des séminaires et des couvents? (La maison mère des Sœurs de la Charité de Québec a elle aussi été vendue récemment).
Emmanuelle Léonard a le sens du cinéma documentaire. Elle pourrait très bien réaliser des longs-métrages. Je reconnais d’ailleurs dans sa sensibilité, du moins dans ces deux derniers opus, une proximité avec le cinéaste Bernard Émond : la ligne est parfois mince entre la vidéo d’art et le cinéma traditionnel.
Oui, il se fait de bonnes choses en art contemporain!
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Note :
(1) Il n’est pas question ici de nier les actes mauvais que certains membres du clergé ont commis dans l’histoire du catholicisme. Le courant janséniste (une hérésie, on le rappelle) a fait beaucoup de mal à l’Église au Québec. Mais il arrive un temps où la réconciliation et le pardon doivent arriver. Tout homme est pécheur, y compris les hommes de la hiérarchie. La guérison intérieure est essentielle pour quiconque veut avancer dans la vie. C’est d’ailleurs là que réside la signification profonde du christianisme : par la mort de Jésus sur la croix, en prenant toutes nos fautes et en nous offrant une vie nouvelle par sa résurrection. Ce don d’amour gratuit est constamment renouvelé par le sacrement du pardon et par l’immense miséricorde du Père.