Lucas Cranach , "Adam et Ève", huile sur toile, 1532 (Wikimedia Commons).
Lucas Cranach , "Adam et Ève", huile sur toile, 1532 (Wikimedia Commons).

La pomme d’Adam était-elle une pomme?

L’épisode vétérotestamentaire du Jardin d’Éden est l’un des récits bibliques les plus connus. Il est aussi l’un des épisodes les plus représentés en art. Qui n’a jamais vu une représentation d’Adam croquant une pomme qu’Ève, tentée par le serpent enroulé autour de l’arbre, vient de lui tendre ? Mais, au fait, pourquoi une pomme ?

Le texte de la Genèse (Gn 3-1) mentionne que Dieu indique à Adam et Ève de ne manger du fruit d’aucun des arbres du jardin. Quelques versets plus loin (Gn 3-6) le texte mentionne qu’Ève, tentée par le serpent, prit donc de son fruit et en mangea. Elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea.

Au verset suivant (Gn 3-7), les premiers humains découvrent qu’ils sont nus et ils s’empressent de se faire des pagnes en cousant ensemble des feuilles de figuier. Le texte biblique ne mentionne donc jamais explicitement de quel type est le fruit ingéré par le couple. Il est bien question d’un figuier, dont le fruit pourrait être hypothétiquement le fruit défendu, mais le texte ne fait aucune mention de la fameuse pomme.

Un peu d’histoire…

Ce qui est cependant certain, selon le texte biblique, c’est que le geste d’Adam et d’Ève entraine leur chute puisqu’ils ont désobéi à un commandement direct de Dieu.

C’est le Malin, sous la forme d’un serpent, qui a convaincu Ève de désobéir. Ce qui entrainera éventuellement l’expulsion du Jardin d’Éden du couple avec pour ultimes conséquences de les rendre mortels.

Pourquoi les artistes ont-ils choisi de représenter l’arbre de la connaissance du bien et du mal sous les traits d’un pommier?

Il est raisonnable de se demander pourquoi les artistes ont choisi de représenter l’arbre de la connaissance du bien et du mal et son fruit sous les traits d’un pommier et d’une pomme malgré aucune référence apparente dans le texte.

Pour bien comprendre ce choix, à première vue étrange aux yeux d’une personne du XXIsiècle, il faut se replacer dans le contexte d’origine des premiers chrétiens. Ces derniers vivaient sous l’Empire romain, qui était la première puissance mondiale à cette époque.

Suivant la conversion de l’empereur Constantin, ainsi que l’acceptation du christianisme comme religion officielle d’empire, au IVe siècle, la langue désormais utilisée par l’Église sera celle des élites romaines, c’est-à-dire le latin.

Le « mal » bien croquant

C’est peu après cette époque que Jérôme de Stridon réalisera la Vulgate, une première version de la Bible en latin traduite du grec. Il faut donc regarder du côté du vocabulaire latin pour trouver une explication à notre interrogation. Le mot latin pour désigner un mal, physique ou moral, est malum.

Dans la Vulgate, au livre de la Genèse, verset cinq du chapitre trois, lorsque Dieu interdit de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, le mot malum apparait pour qualifier l’un des deux aspects de la connaissance.

Or, le mot latin pour désigner une pomme est également malum.

Étant donné la très forte diffusion de la traduction de Jérôme de Stridon, les artistes auront tôt fait d’exploiter ces sens multiples issus de la version latine de la Bible. Puisque la référence au mot malum est double pour un public latin, il est aisé pour un artiste de créer une œuvre ayant plusieurs niveaux de lecture aux symboliques différentes.

Dans le contexte où le fruit est figuré dans la main d’Adam, il évoque également le mal.

Au niveau strictement visuel de la composition artistique, la  pomme représente ainsi le fruit comme objet visible par lequel survient la chute. Dans le contexte précis, où le fruit est figuré dans la main d’Adam, il évoque également son homonyme, le mal, qui est la cause profonde et invisible de la chute des hommes.

Il n’y a donc aucune raison textuelle directe issue du texte biblique pour que le fruit défendu soit représenté sous les traits d’une pomme puisque l’unique usage du mot malum dans le chapitre trois de la Genèse sert à signifier le mal. Cette représentation traditionnelle du fruit défendu sous les traits d’une pomme repose donc sur une interprétation artistique se basant sur l’homonymie entre deux termes latins.


 

Emmanuel Lamontagne

Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.