Maria Montessori
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La face cachée de Maria Montessori

Écrit en collaboration avec Anne-Sophie Richard

Plus de 20 000 écoles et garderies partout à travers le monde se réclament (parfois à tort à et travers) de Maria Montessori (1870-1952) ; son héritage en éducation est aujourd’hui incontestable. Dans le monde francophone, depuis une dizaine d’années, on peut de surcroit constater un regain d’intérêt notable pour sa pédagogie. Cet engouement a permis de dévoiler certaines facettes occultées de cette médecin italienne, dont sa foi catholique et sa pédagogie religieuse.

Féministe, fasciste, théosophe ou rousseauiste, voilà quelques-uns des qualificatifs utilisés pour caractériser la dottoressa. Il s’est dessiné dans le monde francophone un faux portrait, à tout le moins incomplet, d’une sorte de Montessori laïque, anticléricale, à mille lieues de ce qu’elle était réellement. 

Première femme à avoir intégré les facultés de médecine en Italie (au grand dam de son père), elle fait plier le ministère de l’Éducation qui, avant elle, refusait d’y admettre les femmes. Elle décrochera des bourses et se rendra jusqu’au doctorat en psychiatrie.

Montessori restera célibataire toute sa vie, mais aura une aventure amoureuse, de laquelle naitra un enfant dit « illégitime », puisque hors mariage. Il retournera vivre avec elle pour la première fois à ses douze ans.

Par ailleurs, Mussolini l’a encouragée et a voulu lui confier des écoles d’État et la formation des enseignants. Le jour où il veut lui imposer l’uniforme fasciste dans ses écoles, elle refuse. Mussolini lui tournera le dos à jamais, en condamnant et en fermant tous ses établissements.

Au début du 20e siècle, c’est la montée du mouvement de l’éducation nouvelle en Europe. Fortement inspirés de Rousseau, ces regroupements de pédagogues sont aussi traversés par l’influence de la théosophie. Les points qu’elle partage avec ces deux courants de pensée la feront entrer en contact avec ses représentants, mais elle s’en détachera rapidement.1

Bref, plusieurs éléments de son parcours laissent présager une femme de caractère à contrecourant de son époque. Tout sauf une catholique…

Dévoilement des sources

Dans la mise à jour du véritable portrait de Montessori, il faut saluer le travail remarquable de plusieurs maisons d’édition françaises qui ont publié, dans les dernières années, des textes inédits de Maria Montessori et de ses collaborateurs de la première heure. 

Desclée de Brouwer a d’abord pratiquement publié tout le corpus pédagogique de Montessori en français. Dernièrement, ce même éditeur publiait Une vie au service de l’enfantune biographie de Maria Montessori mise à jour par les plus récentes découvertes d’archives. 

Mentionnons au passage le rôle important qu’a joué, en 2011, la reconnaissance des vertus héroïques de la vénérable mère Luigia Tincani dans l’accès à d’importants documents sur Montessori. 

Luigia Tincani a entretenu une correspondance proche de la direction spirituelle avec Maria Montessori. Cette autre pédagogue italienne a fondé les Missionnaires de l’école (des tertiaires dominicaines dédiées à l’enseignement).

En ouvrant ses archives, on a découvert notamment une « règle de vie » écrite par Maria en vue de la fondation d’une « union pieuse » de personnes consacrées à l’éducation. On peut se douter de l’influence réciproque qu’elles avaient l’une sur l’autre.

Toujours est-il qu’Artège a pratiquement créé une collection sur le thème. La maison d’édition a publié successivement La pédagogie religieuse de Maria Montessori et Le potentiel religieux de l’enfant de 3 à 6 ans de Sofia Cavaletti, l’une de ses premières disciples (voir plus bas). Aussi, chez Salvator, on peut trouver L’enfant et le mal, une conférence de 1921 prononcée à Rome dans laquelle elle répond à ses détracteurs qui accusent sa pédagogie bienveillante de vouloir nier le péché originel. Parole et Silence, finalement, ont publié un autre recueil de textes inédits intitulé Dieu et l’enfant.

Il est on ne peut plus difficile maintenant d’ignorer, dans le monde francophone, cette facette de la pédagogue.

Une véritable tradition

La vision déformée, ou incomplète, de Maria Montessori s’explique de plusieurs manières. 

Deux grandes guerres marquent la première moitié du 20e siècle ; on voit partout en Europe la montée d’idéologies antireligieuses. Le contexte n’était donc pas favorable pour qu’elle s’exprime librement sur le sujet. D’autant plus qu’elle voyait à plusieurs endroits ses écoles fermées, détruites.

Voilà qui expliquerait peut-être pourquoi on ne trouve aucune dimension religieuse dans l’Association Montessori Internationale (AMI). Fondée par Maria elle-même en 1929, cette association assure l’orthodoxie et l’orthopraxie de sa pédagogie.

Elle a plutôt fondé son premier centre de formation catholique en 1939, à Kensington au Royaume-Uni. C’est au cœur du Maria Assumpta College, où elle intervenait couramment. Les religieuses de l’Assomption dirigeaient cette institution.

Mère Isabel-Eugénie, la directrice du couvent, est l’une des toutes premières personnes formées par Montessori en pédagogie religieuse. C’est toute une génération de « disciples catholiques » qui s’en suivra.

Deux des principaux :

E.M. Standing, un quaker qui rencontre Montessori en 1921 et qui se convertit deux ans plus tard au catholicisme. Il devient un philosophe thomiste et un grand collaborateur et diffuseur de Montessori dans la sphère anglophone.

Sofia Cavalleti, l’assistante d’Eugenio Zolli, le grand rabbin de Rome converti au catholicisme qui choisit son nom de baptême en l’honneur de Pie XII (Eugenio Pacelli). Drôle de coïncidence, ce pape était né dans le même immeuble ou vivait Cavalleti.

Elle a perfectionné certains aspects de la pédagogie religieuse de Montessori sous le nom de Pastorale du Bon Berger. Les sœurs de mère Teresa utilisent désormais cette approche et plusieurs séminaires l’enseignent à leurs futurs prêtres.

Padre Pio, Montessori et sa secrétaire

Impossible de passer sous silence l’histoire de sa jeune secrétaire Adelia McAlpin-Pyle. Née presbytérienne dans l’une des familles les plus riches de New York, elle apprend dès son jeune âge le français, l’allemand, l’italien et l’espagnol.

À 16 ans, elle voyage en Europe avec ses parents. S’intéressant aux questions d’éducation, elle suit certaines conférences de Maria Montessori. Elle aboutit à Rome pour passer du temps avec Maria et deviendra sa secrétaire et interprète. Ensemble, elles parcourent le monde pendant dix ans grâce à la connaissance des langues de celle-ci. Il va sans dire que sa pédagogie ne se serait pas diffusée aussi rapidement et efficacement sans l’aide d’Adelia.

Dans une de ses biographies, Adelia relate comment Maria et elle priaient et assistaient à la messe quotidiennement. C’est ainsi qu’Adelia finit par se convertir et sera déshéritée et reniée par sa famille pour cette raison.

Au cours d’un voyage, elle rencontre Padre Pio et abandonne sans avertir Maria pour entrer dans le Tiers-Ordre de Saint-François. Elle ira même jusqu’à accueillir chez elle les parents de Padre Pio jusqu’à leur décès.

Semble-t-il que cette histoire est bien connue en Italie. Maria Montessori serait la seule personne à avoir quitté San Giovanni Rotondo plus mécontente qu’à son arrivée !

Église, pédagogie et liturgie

Maria Montessori désirait par-dessus tout que les autorités catholiques approuvent ses idées. D’ailleurs, Pie X a salué son livre Pédagogie scientifique comme une « œuvre de régénération de l’enfance ». Benoit XV lui a envoyé une bénédiction personnelle écrite en 1918. Et Paul VI, lors d’un congrès international sur Montessori à Rome, n’a eu que d’éloges pour son œuvre.

C’est toutefois Pie X qu’elle cite le plus dans ses écrits. En (re)donnant accès à la communion aux enfants en bas âge, le saint pape venait confirmer indirectement ce que Maria Montessori soutenait par rapport au développement religieux et spirituel des enfants, à savoir qu’ils peuvent avoir un sens précoce et pratiquement naturel pour Dieu.

Sa conception pédagogique « naturelle » et religieuse s’appuie sur une même vision anthropologique. La psyché de l’enfant possède tous les mécanismes nécessaires à son épanouissement si elle est entretenue, protégée et cultivée par la médiation de l’adulte.

À Barcelone, elle fait bâtir le premier exemplaire de ce qui deviendra un incontournable dans sa pédagogie religieuse : l’Atrium.

Nommé selon l’espace réservé aux catéchumènes dans l’Église primitive, l’Atrium est une pièce exclusive pour la transmission de la foi. Les enfants peuvent y être aussi actifs qu’ils le veulent sur le plan religieux. Tous les objets présents dans une église s’y trouvent et peuvent être utilisés.

Une figure à se réapproprier

Bien d’autres paroles et gestes de Montessori viendraient restituer son œuvre pédagogique dans ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire une œuvre profondément chrétienne qui poursuivait la construction du royaume de Dieu par l’éducation. 

Si tout un pan de la société moderne voit chez elle une source inépuisable d’inspiration, qu’attend le monde catholique pour se réapproprier cet héritage qu’il a lui-même engendré ? On ne peut rester indifférent devant l’histoire de cette femme qui a quelque chose comme l’aura d’une sainte…

Pour l’instant, méditons ce qu’elle a écrit en introduction à son ouvrage La messe expliquée aux enfants :

« Notre Seigneur percevait dans les enfants quelque chose que les adultes ne percevaient pas il y a deux-cents ans et qu’ils ne perçoivent toujours pas. Cependant, les Évangiles affirment pleinement que beaucoup de mystères doivent être révélés aux plus petits. L’enseignement du Christ sur les enfants touche le cœur de leur éducation. Ils ont une personnalité différente de la nôtre et certaines impulsions spirituelles sont vivantes en eux qui sont souvent atrophiées chez l’individu devenu adulte.

« Nous devrions toujours garder cela à l’esprit pour ne pas seulement leur offrir le plus noble des enseignements, mais leur offrir dans la forme qui leur convient. Nous sommes tenus d’aider les enfants en leur enseignant ce qu’ils ont besoin de savoir sur la religion, mais nous ne devrions pas oublier que l’enfant peut nous aider aussi, car il nous montre le chemin vers le royaume de Dieu. »


James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.