Durant mon secondaire 5, la direction de mon école a engagé une firme de marketing pour se faire un rebranding : nouveau projet éducatif, nouvelle image, nouveau slogan. Ce nouveau slogan : L’énergie du succès. Ça sonne bien, vous ne trouvez pas ?
Mais pourquoi le « succès » ? Pourquoi la « réussite » ne suffit-elle pas ? C’est bien, la réussite, non ? Pourquoi n’est-ce pas assez ? Pourquoi viser toujours plus haut ?
Parallèlement, durant la même année, quatre filles de mon niveau seulement ont été suivies en pédopsychiatrie pour des troubles alimentaires. Étrangement, c’étaient les élèves avec les meilleures notes au bulletin. On dit des troubles alimentaires qu’ils sont une façon pour ceux/celles qui en souffrent de reprendre un certain contrôle sur leur vie…
Mais le message n’est pas du tout affecté par ce qui devient des détails : la projection des parents sur leurs enfants fait de réels ravages.
Si vous saviez le nombre de fois où j’ai consolé des amies qui pleuraient en recevant un résultat d’examen… Et je ne parle pas de 45 % ! J’avais une amie qui craignait de se faire frapper par son père si elle avait moins de 90 % ! D’autres étaient privées de sortie, avaient toutes sortes de conséquences si leurs notes n’atteignaient pas les attentes de leurs parents…
Je me suis retrouvée dans cette classe de cinquième secondaire quand j’ai écouté Le guide de la famille parfaite, sorti la semaine dernière sur Netflix. Le dernier film de Ricardo Trogi et Louis Morissette s’attaque à l’idole de la performance, et j’avoue que ça fait vraiment du bien !
Mission accomplie !
L’histoire, inspirée par la relation de Morissette avec son ainée, présente un père qui a l’obsession du succès de sa fille. Il lui impose qu’elle excelle partout : à l’école, au hockey, en danse. Il paie des tuteurs qui viennent à la maison pour qu’elle performe. Ils ont même une entente selon laquelle il lui donne 100 $ pour chaque bonne note. Pour la motiver. Mais sous toute cette pression, la jeune Rose ne trouve pas la place pour exprimer la détresse profonde qui l’habite.
Le propos est vraiment pertinent, et il est rendu de façon très efficace, selon moi. Pour ce qui est des attributs cinématographiques du film, toutefois, on repassera.
La qualité douteuse du jeu de certains acteurs, les répliques parfois trop faciles, certains gags puérils dérangent un peu. Mais le message n’est pas du tout affecté par ce qui devient des détails : la projection des parents sur leurs enfants fait de réels ravages. Pas étonnant qu’autant de Québécois aient été aussi touchés par ce film !
Je pense que si le but de ce long métrage est de susciter des discussions dans les maisons entre parents et enfants, les créateurs peuvent se dire mission accomplie !
Anxiété de performance
En marge de l’écriture du Guide de la famille parfaite, Louis Morissette a fouillé le sujet de l’anxiété de performance et a décidé de réaliser un documentaire pour présenter ses recherches. La barre haute, présenté sur Tou.tv, fait intervenir plusieurs spécialistes sur cet enjeu, de même que quelques jeunes qui souffrent de ce phénomène de plus en plus fréquent.
À mon avis, le documentaire est meilleur et encore plus pertinent que l’œuvre de fiction, parce qu’il traite avec beaucoup de rigueur de la complexité du problème.
Et même si Le guide de la famille parfaite dépeint un portrait plutôt caricatural de cette famille, on peut certainement reconnaitre ce qui se passe dans plusieurs foyers de nos jours. D’un côté, une exigence démesurée des parents qui se projettent dans le succès de leurs enfants, et de l’autre, des enfants épuisés, blasés, dépressifs et anxieux de tout ce qui est attendu d’eux.
Une partie de la solution est exposée dans le documentaire La barre haute.
On propose entre autres aux parents de laisser leurs enfants vivre des épreuves, et ce dès leur plus jeune âge, pour ne pas les priver d’occasions de grandir, de croitre. On doit accompagner ses enfants à faire face à leurs limites, à arrêter de « se gérer », et à traverser les difficultés et accueillir les émotions au lieu de les évacuer complètement.
Mais peut-être que la réponse la plus efficace et durable à ce fléau est la charité. Que les exigences et l’intransigeance laissent la place à la bienveillance, les déceptions à l’empathie et à l’indulgence. Au fond, il faut que cet amour commercial et intéressé, où l’enfant est un investissement, se transforme en un amour profond et inconditionnel qui pardonne et qui accompagne.