Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles, le deuxième long-métrage de Lyne Charlebois (Borderline, série télé Toute la vérité) est inspiré de la relation épistolaire entre le frère Marie-Victorin et son alter ego féminin Marcelle Gauvreau. Le film est une ode magnifique à la nature, à l’amour, au Québec et à Dieu… Juste à temps pour la Fête nationale.
La parution, en 2018, des inédites Lettres biologiques (Boréal, Yves Gingras, 2018) n’est pas passée inaperçue. On apprenait ainsi que le célèbre religieux avait échangé par écrit pendant une dizaine d’années avec son assistante sur des sujets considérés à l’époque comme pas très catholiques… Bien plus, leur correspondance révélait une amitié profonde, voire un amour platonique qui se voulait ancré en Dieu, respectant, jusqu’à preuve du contraire, les limites vocationnelles de chacun. Les réponses de Marcelle Gauvreau au frère sont parues un an plus tard, en 2019, avant que l’on réunisse la totalité de la correspondance en un seul volume pour la sortie du film : Lettres sur la sexualité humaine (Boréal, 2024).
N’empêche que, pour le contexte de l’époque, il est sulfureux cet amour; hypocrite pour les uns, castré pour les autres, il est tout de même célébré par Lyne Charlebois : « Moi ce qui m’a fascinée, c’est qu’ils ont eu une intimité comme peu de gens qui ont baisé comme des malades ont eue. L’intimité, ce n’est pas seulement de se mettre tout nu, c’est une question de confiance », a expliqué la réalisatrice au Verbe.
Le film nous plonge ainsi dans une mise en abyme – un film dans un film – où les comédiens Roxane (Mylène Mackay) et Antoine (Alexandre Goyette) doivent interpréter Marcelle et Marie-Victorin. Or, leur vie de plateau est troublée par les relents de leur aventure sans lendemain. Avec des transitions douces, mais efficaces, les deux relations sont ainsi juxtaposées, pratiquement entrelacées, faisant ressortir la supériorité d’un amour sans sexualité sur une sexualité sans amour.
Même si la religion a été capable du meilleur comme du pire selon la réalisatrice, cette mise en abyme d’un couple contemporain lui a permis d’éviter « de stigmatiser ces deux êtres par la religion, que le film soit un procès contre la religion », souligne-t-elle.
Le plus beau des jardins
Au-delà de leur relation qui fait l’essentiel du récit, Lyne Charlebois n’occulte aucune facette de ce frère des écoles chrétiennes qu’elle considère très riche. Les éléments de contextes spatiotemporels demeurent flous. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un film biographique sur le scientifique, mais les initiés sauront reconnaitre quelques éléments importants de sa vie comme la fondation du Jardin botanique et son travail dans les contrées cubaines.
On peut d’ailleurs y entendre un extrait d’un très beau discours prononcé par l’auteur de la Flore Laurentienne quelque temps avant l’ouverture du jardin et du 300e anniversaire de Montréal, discours éloquent qui montre merveilleusement sa vision imbriquée de la société, de l’art et de la science :
« On fêtera bientôt le troisième centenaire de Montréal. Montréal, M. le maire, c’est Ville-Marie, c’est une femme. Vous ne lui offrirez tout de même pas un égout collecteur ou un poste de police. Alors, par Dieu, mettez des fleurs dans son corsage, jetez dans ses bras toutes les roses et tous les lys des champs. Offrez-lui le plus beau des jardins ! »
Pour peu que l’on considère le fait d’être avant-gardiste comme une qualité, c’est aux yeux de la réalisatrice ce qui fait que Marie-Victorin est aussi pertinent encore aujourd’hui.
Mais n’est-ce pas difficile de le rendre intéressant pour un Québec si frileux à la question de la foi ou de la religion ?
« C’est ça le film. Si tu ne vas pas voir un film en raison du mot «Dieu», reste chez vous. Il faut être ouvert. Marie-Victorin et Marcelle étaient deux personnes excessivement spirituelles. Lui, ce qui est intéressant, c’est qu’il n’est pas allé dans les ordres parce que ça plaisait à sa famille, comme c’était souvent le cas à l’époque, mais par conviction. Il avait la foi. »
Lyne Charlebois se dit touchée par cette foi. Celle qui ne se décrit pas comme catholique ou religieuse dit tout de même avoir eu besoin d’une vie spirituelle pour vivre certaines épreuves.
De la beauté du monde
« Je voudrais savoir pourquoi toutes ces choses sont belles », c’est la devise de l’Éveil, l’école d’initiation aux sciences naturelles pour les enfants de quatre à sept ans fondée par Marcelle Gauvreau.
« La plus grande philosophie est celle de la nature, donc celle de la vie, c’est le grand cadeau de Dieu. Vous savez, moi je veux connaitre tout ce qui surgit de notre terre, Tout ce que Dieu a créé », réplique Alexandre Goyette en Marie-Victorin.
Cette curiosité, elle brulait candidement chez les inséparables botanistes autant pour l’anatomie végétale que génitale, qui partagent une certaine similarité par ailleurs.
Dans le choix du titre, on voit le clin d’œil de la réalisatrice à cet esprit d’émerveillement et d’ouverture à la beauté, non seulement de l’amour, mais de la nature : «Je voulais faire un film sur la bonté. J’étais tannée du sarcasme de la plupart des films et des séries», lance-t-elle.
Elle avoue ne plus regarder la nature de la même façon depuis ce film. Et on sent que c’est ce qu’elle veut transformer aussi en nous : ils sont rares au Québec, ces films qui nous édifient, nous rendent le cœur léger. C’est un film poétique, contemplatif, dont les scènes entrecoupées d’images de la nature peuvent rappeler l’esthétique du réalisateur américain Terrence Malick.
Pas mal certain que si Marie-Victorin et Marcelle avaient connu le cinéma contemporain, c’est ce genre de film qu’ils auraient créé, aimé, espéré.
Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles sera à l’affiche ce vendredi 21 juin.
Photo : Marlene Gelineau Payette