Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Des fenêtres sur le passé… dans votre écran!

En cette période grise et froide où l’on prend plaisir à s’enrouler dans une couverture pour regarder un bon film, voici quelques suggestions qui évoquent l’histoire ou le patrimoine du Québec. À défaut de vous transporter vers les contrées du sud, ces œuvres – fiction, documentaire ou film d’animation – vous feront au moins voyager dans le temps!

Crac!  

Cette perle du cinéma d’animation, qui a remporté un Oscar en 1982, est à regarder en famille absolument. Le court métrage de 15 minutes (on en prendrait volontiers une heure de plus), fait par le réalisateur de L’Homme qui plantait des arbres, est un sublime hommage à la culture matérielle et immatérielle de nos ancêtres. Sur fond de musique traditionnelle, on y suit l’histoire d’une chaise berçante, témoin de la vie d’une famille canadienne-française typique. L’humour bon enfant, la conception géniale des dessins et de l’animation charment les petits comme les grands. Après le visionnement, mes filles s’amusaient à redessiner cette mignonne « chaise avec une face ». Mais c’est la profondeur du message véhiculé qui en fait un film vraiment universel : la préservation de la mémoire du passé est créatrice de liens, tandis que son rejet au profit d’une modernité désincarnée (objets usinés, style de vie individualiste, omniprésence des machines, art moderne froid et abstrait) est plutôt synonyme d’une triste solitude.

Frédéric Back, 1981

Maria Chapdelaine

La plus récente version cinématographique du célèbre roman de Louis Hémon est magnifique. Tourné dans les forêts du Lac-Saint-Jean, le film est tout imprégné de cette nature sublime et d’une lumière particulière, chaque scène formant un tableau à contempler. Il s’agit davantage d’un film contemplatif que d’un film d’action, mais en cela comme dans presque tout le reste, le long-métrage est très fidèle au roman. Il est aussi fidèle au contexte de l’époque – la colonisation de l’arrière-pays en 1910 – dans le parler des personnages, dans le décor et les costumes. En effet, rarement a-t-on vu un film québécois jumeler l’authenticité historique à la finesse artistique de manière aussi réussie. Le jeu remarquable des acteurs y est pour beaucoup; principalement celui, tout en douceur et subtilité, de Sara Montpetit qui incarne le personnage principal. Si la foi de Maria Chapdelaine est moins présente à l’écran que dans l’œuvre littéraire – on a omis le fameux passage où elle récite ses mille Ave –, les vertus chrétiennes sont exaltées et triomphent : sens du devoir, piété filiale, valeur du travail, humilité, pauvreté préférée à la richesse et au confort.

Sébastien Pilote, 2021    

Pierre-Fortunat Pinsonneault, artiste photographe, éditeur

Pour les amateurs d’histoire et de photos anciennes, je vous suggère ici un film plus « artisanal », soit un documentaire concocté par le photographe et cinéaste Gilles Roux. Un impressionnant travail de recherche en archives et une immense collecte d’images d’époque ont dues êtres nécessaires pour réaliser ce film sur l’un des plus importants studios de photographies de l’histoire du Québec : celui des Pinsonneault. Si plusieurs membres de la famille ont pratiqué cet art, c’est surtout Pierre-Fortunat qui a marqué l’histoire. Pendant cinquante ans, soit de 1888 à 1938, il a été le chroniqueur visuel de son époque et de sa ville, Trois-Rivières. Par son travail et son audace, il a acquis une renommée comparable à celle des Livernois à Québec. Ce film aborde diverses facettes de son œuvre – portraits, journaux illustrés, cartes postales, etc. – tout en étant aussi un document fascinant sur l’histoire de Trois-Rivières, qui défile en images saisissantes. On y voit notamment ses communautés religieuses et ses églises, mais aussi l’activité industrielle et commerciale, puis les bouleversements du paysage urbain à la suite du grand incendie de 1908.  

Gilles Roux, 2024

La Loi du silence (I Confess)

Œuvre singulière dans la filmographie du grand maitre du suspense, La Loi du Silence a été tournée à Québec en 1952. Choisie pour son univers catholique et ses riches éléments symboliques (clochers, statues, etc.), la ville est littéralement l’un des personnages centraux du film. Les images superbement filmées montrent ses vieux quartiers, mais aussi sa périphérie : Limoilou, la traverse de Lévis, et même l’île d’Orléans. Bien que son succès ait été mitigé à sa sortie, on a dit beaucoup de choses sur ce classique du cinéma. Hitchcock, lui-même catholique, serait reparti en maudissant la Belle Province après qu’une scène ait été censurée lors de la première. Le scénario, qui raconte le combat d’un prêtre accusé d’un meurtre et ne pouvant se défendre en raison du secret inviolable de la confession, a choqué les sensibilités et laissé certains dans l’incompréhension. Renoncer à sa vie pour demeurer fidèle à sa foi : voilà un sujet auquel le public hollywoodien était peu habitué! Pour l’anecdote, Montgomery Clift, pour étudier son rôle de prêtre, a passé une semaine dans un monastère de Québec pour apprendre les mouvements et la démarche caractéristiques du clergé en soutane. Qui sait s’il n’en a pas retiré davantage?   

Alfred Hitchcock, 1953 | Disponible sur toutes les grandes plateformes

Le son des Français d’Amérique

Cette série documentaire, inscrite au « Registre Mémoire du monde » de l’UNESCO, est un joyau inestimable en tant que témoin du patrimoine musical et du folklore des francophones d’Amérique. Tournés sur une période de six ans dans les années 1970, les 27 films d’une durée d’environ trente minutes nous présentent une galerie de personnages issus d’un monde alors en train de disparaitre : quêteux-violoneux, « gigueux », « turluteux », joueurs de ruine-babines, danseuses de quadrilles, etc. Conçu à la manière typique du cinéma direct, l’ensemble donne la parole à des gens « ordinaires » – cultivateurs, bûcherons, ouvriers – qui sont en même temps des trésors vivants.

Quelques épisodes ont été filmés en Acadie, chez les Franco-américains, en France et en Irlande. On s’étonne des dérives scrupuleuses du clergé de jadis, dont se remémorent certains protagonistes des films : comment a-t-on pu, par exemple, considérer comme péché de danser un « set carré » ? Le catholicisme a pourtant joué – avec le folklore – un grand rôle dans la conservation de notre culture au fil des siècles. Heureusement, des initiatives contemporaines mélangent aujourd’hui dans la joie ces deux piliers de l’héritage de nos ancêtres : la foi et la musique traditionnelle.    

Michel Brault et André Gladu, 27 courts métrages tournés de 1974 à 1980     

Agathe Chiasson-Leblanc

Formée en histoire de l’art, Agathe réalise une multitude de travaux sur le patrimoine culturel du Québec. Elle trouve sa joie dans tout ce qui élève l’âme : les arts, les livres, les grandes amitiés, la connaissance de la vie des saints. Mariée, elle est mère de quatre enfants.